Mes chers collègues, c'est avec plaisir que je vous présente le dispositif des « emplois d'avenir professeur » dont notre Commission s'est saisie pour avis – je remercie notre président de cette initiative.
L'article 2 du projet de loi portant création des emplois d'avenir est destiné à accompagner les jeunes qui souhaitent poursuivre des études pour devenir enseignants, mais ne peuvent le faire faute de moyens. Il s'agit du premier pilier – celui du pré-recrutement – d'un système entièrement rénové de formation initiale et de prise de fonction des maîtres, qui reposera, conformément aux engagements du Président de la République, sur le rétablissement de l'année de stage en alternance, supprimée en 2010, et sur la création des écoles supérieures du professorat et de l'éducation. En attendant ces mesures, le Gouvernement a souhaité tirer parti de l'examen d'un projet de loi visant à faciliter l'emploi des jeunes non diplômés pour tenter de remédier, le plus rapidement possible, aux conséquences sociales de la réforme dite de la mastérisation.
Les dysfonctionnements structurels de cette réforme ont déjà été analysés par la précédente majorité parlementaire, dans le rapport de la mission d'information sur la formation des enseignants présenté par M. Jacques Grosperrin en décembre 2011, ainsi que par la Cour des comptes dans son dernier rapport public annuel. Je me limiterai donc à évoquer la crise du recrutement qu'elle a provoquée.
Conjuguée à la réduction des postes mis au concours par le précédent Gouvernement, la mastérisation et ses conséquences, notamment les conditions déplorables d'entrée dans le métier qui en résultent, ont entraîné la diminution de moitié du nombre d'inscrits aux concours de professeur des écoles entre 2008 et 2012 et une baisse de 40 % des inscrits au CAPES sur la même période.
On peut espérer qu'à moyen terme, les choix budgétaires du nouveau Gouvernement permettront de redynamiser le recrutement des enseignants ; les inscriptions à la session 2013 ont d'ailleurs témoigné d'un renouveau des vocations. Mais, dans l'intervalle, il nous faut nous préoccuper des effets de la mastérisation sur le vivier de candidats issus de milieux modestes. L'équation est simple : il y a moitié moins d'étudiants en master qu'en licence, les étudiants boursiers sont beaucoup moins nombreux en deuxième cycle universitaire qu'en premier cycle et les enfants de cadres réussissent les études universitaires longues trois à quatre fois plus fréquemment que les enfants d'employés ou d'ouvriers.
Si nous ne faisons rien, dans quelques années, le corps enseignant sera composé de filles de cadres supérieurs qui devront enseigner à des classes de plus en plus hétérogènes. Le risque est grand de voir disparaître l'adéquation entre la composition sociologique du professorat et celle de la nation, adéquation dont le rôle dans la réussite scolaire est pourtant incontestable. En outre, ce que l'on pourrait qualifier de « clôture sociale » du recrutement irait à l'encontre d'une tradition républicaine d'ascension par le mérite dont nous sommes tous fiers – et comptables.
Sous le précédent quinquennat, plusieurs rapports ont d'ailleurs préconisé l'adoption de mesures en faveur d'un recrutement diversifié des enseignants. Ainsi la commission sur la condition enseignante, installée par M. Xavier Darcos, s'est-elle prononcée pour la résurrection des anciens instituts de préparation à l'enseignement secondaire – les IPES – à l'intention des jeunes issus de catégories sociales défavorisées.
Je me réjouis donc que le Gouvernement ait utilisé le véhicule législatif des emplois d'avenir pour instaurer un pré-recrutement qui devrait permettre de préserver le rôle de promotion sociale et républicaine des concours destinés à recruter les enseignants.
Le dispositif proposé est ciblé et rigoureusement encadré. Il bénéficiera aux étudiants boursiers âgés de vingt-cinq ans au plus et visera en priorité les jeunes issus des zones urbaines sensibles ou ayant effectué leurs études dans des établissements implantés dans ces zones ou relevant de l'enseignement prioritaire. Ces jeunes devront s'engager à poursuivre leur formation dans un établissement d'enseignement supérieur et à se présenter à l'un des concours de recrutement des corps enseignants de l'éducation nationale. Cet engagement sera matérialisé par la signature d'une convention entre l'étudiant, l'employeur et l'établissement d'enseignement supérieur dans lequel le bénéficiaire effectue ses études, et sera renouvelé chaque année, en même temps que le contrat d'accompagnement.
Les étudiants concernés pourront être pris en charge pendant trois ans – c'est un point capital à mes yeux. D'une part, en effet, cette durée est assez longue pour inciter les jeunes issus de milieux modestes à concrétiser leur vocation ; c'est une différence notable avec les bourses de mastérisation créées par le précédent Gouvernement, qui n'étaient versées que pendant la première année de master. Voilà pourquoi la prise en charge, sans être précoce, débutera dès la deuxième année de licence, ce qui la rendra attractive pour les jeunes issus de quartiers défavorisés. D'autre part, la préparation à l'entrée dans le métier d'enseignant sera réellement progressive – à l'inverse de la mastérisation, qui implique une affectation directe en école ou en établissement sans véritable formation professionnelle initiale. En trois ans, les étudiants deviendront capables de gestes professionnels de plus en plus complexes. Naturellement, ils ne se verront pas confier des classes, mais, la première année, des tâches péri-éducatives, comme la surveillance, puis, les années suivantes, des tâches pédagogiques en co-intervention.
L'entrée dans le dispositif sera subordonnée à l'avis d'une commission chargée de vérifier l'aptitude des candidats. Cette disposition doit garantir la qualité des profils des étudiants destinés à faire leurs premiers pas d'enseignants devant des élèves.
En cas de réussite au concours, bien entendu, le contrat prendra fin de plein droit, avant son échéance normale, à la date de nomination dans le corps correspondant.
Enfin, les étudiants concernés bénéficieront de trois types de revenus. Premièrement, la rémunération des heures de service effectuées, dans le cadre du contrat d'avenir professeur, au service de l'éducation nationale. Financée conjointement par le ministère du travail et le ministère de l'éducation nationale, elle sera de l'ordre de 400 euros par mois. Ensuite, les bourses de service public, nouvelle aide allouée à chaque titulaire d'un emploi d'avenir professeur, en contrepartie de l'engagement à préparer un concours de recrutement de personnels enseignants et à s'y présenter ; son montant sera de 2 604 euros par an, soit 217 euros par mois. Enfin, les bourses sur critères sociaux perçues par les titulaires des emplois d'avenir. Ces trois sources de revenus étant cumulables, les jeunes concernés – soit 6 000 en 2013, puis 18 000 d'ici à 2015 – devraient bénéficier d'un revenu mensuel moyen de 900 euros environ.
Ce dispositif de pré-recrutement constitue un investissement indispensable à la cohésion de l'école et, au-delà, à celle du pays tout entier. Il pourra être amélioré par certains des amendements déposés, sur lesquels je me prononcerai au moment de leur examen. Je donnerai naturellement un avis favorable à l'adoption de l'article 2 de ce texte fondateur.