Intervention de Najat Vallaud-Belkacem

Réunion du 13 mars 2013 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement :

Merci, madame la présidente, de me donner l'occasion d'échanger avec vous sur la situation des femmes dans le monde, sujet dont l'actualité de ces derniers mois a rappelé toute la gravité, dans toutes les zones géographiques.

Lors des printemps arabes, les femmes ont été des actrices majeures de la mobilisation et se sont imposées comme des têtes de pont de la démocratie. Pourtant, dans bien des pays post révolutionnaires, se pose la question de la place qui leur est désormais réservée. En Tunisie, en Égypte et au Maroc, la question de l'égalité entre les femmes et les hommes est restée au coeur des débats sur les nouvelles constitutions.

Aux États-Unis, Barack Obama a tiré un large avantage, lors de l'élection présidentielle, de son bilan en matière d'égalité salariale – à commencer par la loi « Lily Ledbetter », qui était la première loi promulguée pendant son mandat. De fait, la question des droits de femmes a été au coeur de son programme. Mais vous vous souvenez sans doute aussi des polémiques qui sont nées autour de l'IVG, et des propos malheureux tenus par les Républicains.

En Russie, le mouvement de soutien au groupe des « Pussy Riot » a incarné la résistance d'une partie de la société russe au contrôle de la liberté d'expression. Il est intéressant de constater que, là encore, la résistance passe par des femmes.

Dans les zones de conflit, notamment en République démocratique du Congo, les violences sexuelles faites aux femmes sont devenues une véritable arme de guerre, et une arme de destruction quasi massive des populations.

Plus récemment, en Inde, le viol collectif d'une étudiante ayant entraîné sa mort a déclenché un vaste mouvement populaire de dénonciation des violences faites aux femmes appelant les pouvoirs publics et la société à un changement profond des mentalités.

Loin d'être isolés ou anecdotiques, ces évènements mettent en lumière l'enjeu qu'il y a aujourd'hui à affirmer sur la scène internationale l'émergence d'une diplomatie active des droits des femmes. Il s'agit de porter et de défendre trois objectifs majeurs : les droits éducatifs et politiques des petites filles et des femmes ; la protection contre les violences qu'on observe partout sur la planète ; les droits sexuels et reproductifs, par lesquels ont entend la libre disposition du corps et le droit d'accès à des services de santé sexuelle et reproductive.

Ces trois objectifs, que nous avons présentés avec Laurent Fabius lors du Comité interministériel des droits des femmes, le 30 novembre dernier, ont fait l'objet d'un ensemble d'initiatives dans un cadre à la fois bilatéral et multilatéral.

Dans le cadre bilatéral, nous travaillons avec ma collègue Hélène Conway-Mouret, en charge des Français de l'étranger, afin de renforcer les interventions de nos services consulaires pour rendre plus effectif le droit à l'asile des jeunes femmes victimes de mariages forcés. Nous travaillons également à consolider les liens entre les sociétés civiles sur les questions de protection des femmes victimes de violences ; une convention franco-marocaine est en préparation.

Dans le domaine du développement, nous avons élaboré avec Pascal Canfin un ensemble d'outils permettant de mieux prendre en compte les questions de genre dans notre politique française d'aide au développement, conformément aux recommandations du rapport « Genre et développement » remis par la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) et le Haut Conseil à l'égalité. Le Président de la République a eu l'occasion, dans son récent discours aux Assises du développement, de tracer un cap : parce que les femmes sont des actrices au coeur du développement, la politique française d'aide au développement doit intensifier les actions en faveur de l'égalité et de l'autonomie des femmes. Cela passera, notamment, par une augmentation des moyens financiers consacrés aux projets spécifiques de soutien aux droits des femmes, et à la lutte contre les violences et les discriminations liées au genre dans les pays concernés. Pour que l'aide au développement touche les femmes, nous avons décidé que désormais, la question du genre serait systématiquement intégrée dans les études d'impact de notre aide au développement.

Passons du niveau bilatéral au niveau européen, où il y a beaucoup à faire. Pendant longtemps, l'Europe a été le fer de lance en matière de droits des femmes, notamment parce qu'elle a porté la question de l'égalité salariale. Mais depuis quelques années, plusieurs dossiers attestent de ses difficultés à réinvestir ce champ.

Le projet de refonte de la directive « congé maternité » est actuellement dans l'impasse. Nous cherchons à relancer la négociation sur ce texte dans une approche élargie abordant la question de la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, afin de relever le niveau d'exigence au niveau européen.

Nous soutenons le projet de directive de la commissaire Reding sur la présence des femmes dans les conseils d'administration des grandes entreprises européennes.

Dans ce même esprit, nous avons proposé à nos partenaires européens, lors du dernier Conseil EPSCO (Emploi, politique sociale, santé et consommateurs) qui s'est réuni le 6 février dernier, les éléments d'un pilier « égalité » de la nouvelle gouvernance économique de l'Union européenne autour de quelques données clés : l'évolution du taux d'emploi des femmes ; les inégalités de rémunération ; les inégalités de genre dans le système des retraites et le respect des objectifs de Barcelone s'agissant des capacités d'accueil de la petite enfance.

Dans le cadre multilatéral, ensuite, il s'agit d'être extrêmement vigilant contre les risques de recul des grands textes internationaux. Les menaces sont réelles.

Si le corpus international sur les droits des femmes a progressé de manière substantielle dans les années quatre-vingt-dix, notamment dans le cadre des textes fondateurs adoptés à l'issue de la Conférence internationale du Caire pour la population et le développement, en 1994, puis de la Conférence internationale de Pékin, en 1995, et des textes de suivi de ces exercices, en 1999 et 2000, aujourd'hui, le langage agréé, qui paraissait être une avancée définitive, en particulier en matière de droits sexuels et reproductifs, est en passe de disparaître. Une coalition de pays conservateurs s'active à faire reculer le socle fondamental des droits des femmes. Et pour ce qui est de l'état des forces, tous s'accordent à dire qu'il est bien plus défavorable aujourd'hui qu'il y a vingt ans. Il faut absolument tailler en pièces l'idée que le progrès serait linéaire et que la situation s'améliorerait forcément avec le temps : la réalité est tout autre.

Ces difficultés sont à nouveau apparues à l'occasion de la 57e réunion de la Commission de la condition de la femme de l'ONU à laquelle nous avons participé les 4 et 5 mars derniers, et dont le thème prioritaire était, cette année, la prévention et l'élimination de toutes les formes de violences faites aux femmes. La 56e commission n'avait pas abouti à des conclusions concertées. Il était d'autant plus important, pour la délégation française, d'y parvenir, notamment sur un sujet qui lui tenait à coeur et qu'elle a tenu à défendre : les droits sexuels et reproductifs, sur lesquels il me semble nécessaire de faire le point.

À l'époque de la Conférence du Caire, quatre grands objectifs de développement avaient été fixés : l'accès à l'éducation des filles, la réduction des taux de mortalité maternelle et infantile, la prévention du sida et des MST et l'accès universel aux soins de santé reproductive, y compris la planification familiale. C'est ainsi qu'en 1994, fut introduite l'idée que les femmes devaient pouvoir accès à des soins de santé reproductive. En 1995, un plan d'action, adopté en 1995 à la Conférence de Pékin, précisera que « les droits des femmes incluent le droit d'avoir le contrôle et de décider librement et de manière responsable des questions relatives à leur sexualité. »

Comme vous pouvez le constater, en 1994-1995, on était déjà allé assez loin. Mais alors qu'il semblerait logique de faire un pas supplémentaire et de reconnaître le droit à la fois à la sexualité et le droit reproductif comme un élément essentiel de l'autonomisation, un certain nombre de pays s'obstinent à le refuser.

Au contact de tous les acteurs mobilisés par les droits des femmes réunis à New York pour la 57e Commission, nous nous sommes rendu compte que les violences faites aux femmes ne sont pas des faits isolées, mais demeurent une donnée mondiale. Elles constituent la violation des droits de l'homme la plus répandue sur la planète. Chez les femmes entre 15 et 44 ans, ces violences causent plus de décès et de handicaps que le cancer, le paludisme, les accidents de la circulation et les guerres réunies. Aujourd'hui, on estime à 650 000 le nombre des femmes qui, chaque année, à travers le monde, font l'objet d'un trafic. Dans 80 % des cas, il s'agit d'une traite pour exploitation sexuelle. Enfin, environ 100 à 140 millions de filles et de femmes dans le monde ont subi des mutilations génitales.

Face à cette donne, une réponde mondiale est indispensable. En effet, et c'est tout le sens du message que nous avons porté à l'ONU, ce n'est pas parce que les phénomènes de domination masculine sont universels qu'ils doivent être considérés comme une fatalité. Les droits de l'homme, et les droits des femmes qui en font partie intégrante, sont universels eux aussi. Aucune forme de relativisme culturel ne saurait servir d'excuse pour ne pas le reconnaître.

Pour porter ce message, la France a, en raison de son combat de longue date pour les droits universels, une légitimité particulière pour mettre en oeuvre efficacement une véritable diplomatie des droits des femmes – comme cela a été décidé au Comité interministériel aux droits des femmes, le 30 novembre dernier. Mais la France ne pourra porter cette diplomatie internationale que si elle est elle-même exemplaire. Nous y travaillons activement, au niveau national et international. Par exemple, nous avons décidé de tout faire pour lever les réserves de la France à la Convention des Nations Unies de 1979 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (ou Convention CEDAW), à laquelle 185 États sont parties, et d'inciter les autres États à faire de même.

En outre, nous procédons actuellement à l'évaluation de notre plan national d'action pour la mise en oeuvre des résolutions « Femmes, Paix et Sécurité » du Conseil de sécurité afin de renforcer la participation des femmes aux processus de paix et la protection des femmes dans les conflits. Nous avons eu le plaisir de rencontrer un certain nombre d'acteurs d'ONG très engagés sur le terrain dans un certain nombre de pays que la France connaît bien par ailleurs, et de constater qu'ils s'étaient totalement saisis de cette résolution « Femmes, Paix et Sécurité » pour pousser leurs gouvernements à défendre les femmes dans les conflits. Il faut que la France soit aux côtés de ces militants et de ces ONG pour promouvoir le rôle des femmes dans la gestion des situations post-conflit – plus particulièrement au Mali.

Enfin, nous avons entamé le processus de ratification de la Convention d'Istanbul, convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre les violences à l'égard des femmes et la violence domestique. Pour pouvoir la ratifier, nous avions besoin de transposer un certain nombre de dispositions et d'aller plus loin dans notre législation relative à la lutte contre les violences. Pour ce faire, nous avons d'ores et déjà déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi sur plusieurs dossiers identifiés comme prioritaires.

Pour lutter contre les mariages forcés, le projet de loi introduit un nouveau délit dans le code pénal, constitué par le fait de tromper quelqu'un pour l'emmener à l'étranger et lui faire subir un mariage forcé.

Pour lutter contre l'excision et les mutilations génitales sexuelles, le projet de loi crée un nouveau délit constitué par le fait d'inciter quelqu'un à subir une mutilation sexuelle. Je remarque à ce propos que la France a été pionnière dans ce combat, dès les années quatre-vingt et que certains grands procès, qui ont abouti à de lourdes sanctions, ont eu une vertu pédagogique pour les familles. Il faut que nous poursuivions ce combat à l'échelle internationale. L'Assemblée générale des Nations unies s'est prononcée en décembre dernier en faveur de l'abolition de l'excision, ce qui est encourageant.

Pour lutter contre la traite des êtres humains, qui fait par ailleurs l'objet de la transposition de la directive communautaire de 2011, le projet de loi propose de renforcer le dispositif grâce à une amélioration de la définition de l'infraction. En 2009, trois condamnations seulement ont été prononcées en France pour des faits de traite, ce qui ne correspond pas à l'ampleur du problème.

Mais porter une diplomatie des droits des femmes, c'est aussi être moteur dans le domaine et susciter de rendez-vous importants. Mme la présidente en a évoqué deux.

Le 20 mars prochain, nous réunirons à Paris le premier Forum des femmes francophones, avec la conviction que la francophonie est un espace de valeurs partagées et de construction en commun d'une vision des droits humains. Ce forum, qui réunira 500 femmes de tous les pays de la francophonie, doit pouvoir nous aider à faire avancer les droits des femmes dans cet espace et au-delà.

Les 3 et 4 juillet prochains, toujours à Paris, nous organiserons une réunion ministérielle de l'Union pour la Méditerranée (UPM), qui sera spécifiquement consacrée au renforcement du rôle des femmes dans la société, avec les 43 pays de la zone euro-méditerranéenne. C'est clairement une façon de se saisir de la question de l'avenir des femmes qui se sont mobilisées dans les révolutions des pays arabes mais qui ont disparu des processus de transition politique. Là encore, nous espérons pouvoir avancer concrètement.

Nous souhaitons que ces évènements soient des jalons pour préparer, à plus ou moins long terme, d'autres échéances importantes : tout d'abord, en 2014, le 20e anniversaire de la Conférence internationale sur la population et le développement ; nous verrons alors si nous sommes capables ou pas – c'est la question que nous nous posions avec Michelle Bachelet – d'aller plus loin, ou au moins de préserver l'existant, compte tenu des menaces ; ensuite, en 2015, les travaux d'actualisation des Objectifs du Millénaire pour le Développement durable de l'humanité (OMD), dont plusieurs concernent la question de l'égalité entre les sexes.

Toutes ces échéances nous permettront de porter haut notre vision des droits de la personne humaine, et de faire des droits des femmes un marqueur de notre diplomatie et un élément de notre influence. La France est attendue sur ce sujet.

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