Intervention de Olga Trotiansky

Réunion du 13 mars 2013 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Olga Trotiansky, présidente de la Coordination française pour le Lobby Européen des Femmes :

Madame la présidente de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, nous sommes très heureux, à la Coordination française pour le Lobby européen des Femmes (CLEF), de participer à cette table ronde.

Nous avons eu l'impression, ces dernières années, qu'on avait tendance à oublier la question spécifique des droits des femmes dans les relations internationales. Mais cette initiative est la preuve de l'intérêt que portent nos représentants et nos représentantes à cet enjeu qui est essentiel pour nous. Comme l'a dit Mme la ministre, il est du devoir de la France, terre des droits humains, de porter partout dans le monde cette parole et cette action.

C'est un honneur pour nous d'être entendus en même temps que la ministre des droits des femmes, dont je tiens à saluer l'engagement pour la défense et la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes, en France et dans le monde – engagement que nous avons pu apprécier il y a quelques jours à New York, lors de la Commission du droit des femmes de l'ONU.

La CLEF est l'une des coordinations d'associations de défense des droits des femmes en France. Elle regroupe 80 associations, qui sont implantées sur tout le territoire. Au travers de ces associations membres, la CLEF est présente sur l'ensemble des sujets traitant des droits des femmes : emploi, conciliation vie familialevie professionnelle, parité dans la vie politique, économique, sociale, luttes contre les violences faites aux femmes, contre les extrémismes religieux et les systèmes prostitutionnels. Ce sont ces mêmes sujets que nous abordons avec Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux Droits des Femmes de l'Assemblée nationale.

La CLEF est membre du LEF : le Lobby Européen des Femmes qui, à travers ses 27 coordinations nationales et des associations européennes, représente plus de 2 500 associations en Europe. Le LEF est présent dans l'ensemble des États membres de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe. La CLEF est très attachée à ce que sa voix soit entendue au niveau européen, et nous faisons remonter les revendications des associations françaises, particulièrement sur des sujets qui font débat en Europe comme la prostitution, les droits reproductifs ou la laïcité.

En retour, nous construisons avec le LEF des campagnes d'information et de sensibilisation à l'échelle européenne. Je vous incite à découvrir, si vous ne le connaissez pas encore, notre film de sensibilisation sur le sujet de la prostitution, qui a été repris dans le cadre de la campagne du LEF : « Ensemble pour une Europe libérée de la prostitution ». Nous avons également produit des films contre le développement de la prostitution en marge des grands évènements sportifs internationaux et participé à de nombreux échanges au niveau européen pour débattre d'expériences aussi opposées que celle des Pays-Bas ou de la Suède. Nous nous réjouissons enfin que Mme la ministre se soit prononcée pour l'abolition de la prostitution.

Il est important pour nous de relayer certaines des prises de position du LEF sur les discriminations. Je voudrais citer l'exemple de celles que subissent les femmes roms. Pour nous, la question n'est pas qu'européenne et nous souhaitons que l'on y réfléchisse au niveau international : ces femmes subissent des discriminations dans l'accès à l'éducation, à l'emploi, à la santé et au logement.

Au niveau international, la CLEF dispose d'une reconnaissance officielle, notamment au travers de son statut consultatif auprès du Conseil économique et social de l'ONU et sa participation, depuis de nombreuses années, à la Commission du statut des femmes de New York, comme au Conseil des droits humains, à Genève.

Au sein de la Commission du statut des femmes, nous avons organisé un atelier sur le viol, notamment dans les pays en guerre. Nous avons également, à cette occasion, poursuivi le travail de sensibilisation sur l'accès à un état civil pour toutes les femmes dans le monde. Je tiens à signaler que le cadre onusien est très utile pour nous, car il permet d'aborder des questions de portée internationale, sur lesquelles les commissions de la CLEF travaillent au quotidien.

Cela m'amène à vous donner quelques exemples de nos principaux axes de réflexion et d'expression au niveau international.

D'abord, la promotion de la laïcité et la lutte contre les extrémismes religieux, qui sont à la racine de tant de violences contre les femmes : les associations de femmes du monde entier, notamment dans les pays en voie de développement, nous permettent de porter le message. En effet, elles doivent sans cesse affronter les discours dominants faisant référence à la tradition religieuse, au relativisme culturel pour justifier un certain nombre de pratiques qui placent, de fait, les femmes dans une situation inférieure aux hommes. C'est d'ailleurs au nom du respect des traditions que la précédente réunion de la Commission du statut des femmes, en 2012, s'est soldée par un échec.

Ensuite, la lutte contre la prostitution et la traite des femmes : comme vous l'avez dit, madame la ministre, la France doit accentuer ses efforts dans la lutte contre les réseaux internationaux qui se développent de plus en plus sur internet.

Le thème de la lutte contre les violences faites aux femmes était au coeur de la réunion de l'ONU Femmes. Grâce à l'initiative conjointe de l'Organisation internationale de la francophonie, un plan d'action devrait contraindre davantage certains États qui sont peu actifs en ce domaine. Reste que les associations membres de la CLEF s'inquiètent fortement des exactions qui ont lieu au quotidien contre les femmes des printemps arabes, et des attaques qui sont menées contre des droits qui semblaient acquis. Récemment, en Tunisie, un député a osé assimiler l'excision à une opération esthétique ! La vigilance s'impose donc.

La protection des femmes et des fillettes, particulièrement dans les zones de conflit, en application de la résolution 1325 du Conseil de sécurité votée en l'an 2000 : le Mali en est un contre-exemple.

La représentation et la place des femmes dans le domaine sportif : il est très important de porter ce sujet au sein des instances internationales comme le CIO et dans les délégations nationales lors des grands évènements sportifs comme les jeux Olympiques, en nous appuyant sur le cadre que constitue la Charte olympique. On entend, par exemple, que le fait de porter le voile fait partie de la tradition et que le fait de porter la kippa fait partie de la religion. Or la Charte olympique écarte tout signe politique et religieux.

Vous avez évoqué les Objectifs du Millénaire pour le Développement durable de l'humanité. Nous souhaitons promouvoir le troisième objectif, à savoir l'égalité des sexes et l'autonomisation des femmes. Tout le monde s'accorde à dire que c'est à la fois un objectif en soi et une condition de la réussite de l'ensemble des autres Objectifs du Millénaire pour le Développement. Un rapport de l'ONU sur le droit à l'alimentation montre que lorsque la mère maîtrise le budget de la famille, les chances de survie des enfants augmentent de 20 %, et que l'accès à l'instruction des femmes explique pour la moitié la réduction de la faim dans les pays en voie de développement.

Pour la CLEF, il est indispensable que la voix de la France porte dans le monde des exigences très fortes en matière de réduction des inégalités entre les femmes et les hommes – en trouvant peut-être des alliés parmi les pays émergents comme le Brésil – et qu'elle pose des conditions très claires à l'octroi d'aide au développement dans le cadre de sa politique de coopération. Bien évidemment, cela suppose que les financements de la France soient à la hauteur de nos ambitions. En 2009-2010, ses budgets ont eu tendance à baisser. En tant qu'association, nous serons très attentifs à ce que la tendance s'inverse dans les prochaines années.

Les actions de terrain conduites au niveau des ambassades sont importantes. Mais l'engagement des négociateurs et négociatrices dans les instances internationales est tout aussi important. Nous ne devons pas baisser pas la garde et nous devons veiller à l'application des conventions.

Il faut avancer sur la Convention CEDOW. La CLEF propose que le rapport de la France soit étudié et partagé au sein des deux assemblées, Assemblée nationale et Sénat. De notre côté, nous travaillons à la présentation d'un rapport alternatif au rapport du Gouvernement français, qui sera remis au Comité de suivi de l'ONU.

En tant que Français ambassadeurs des droits humains dans le monde, nous devons faire preuve d'exemplarité et progresser en matière de parité de la représentation diplomatique. Il n'y a en effet que 11 % de femmes ambassadrices.

Madame la présidente, nous avons tout à fait conscience, en tant qu'association, que certaines de nos revendications ne sont pas « diplomatiquement correctes », et que la représentation officielle de la France ne peut pas s'en saisir de manière frontale. Pour autant, pour faire avancer l'égalité entre les femmes et les hommes dans le monde, pouvoirs publics et associations doivent parler et agir de concert et en complémentarité, en utilisant tous les leviers que sont les différentes chartes et conventions internationales.

Madame la ministre, l'été dernier, vous avez tenu un discours sans équivoque aux ambassadeurs. Nous espérons que votre appel à construire une véritable diplomatie des droits des femmes sera suivi d'effet. La commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale pourrait sûrement jouer utilement un rôle d'impulsion en la matière.

Soyez assurés, mesdames et messieurs les députés, que nos associations seront très attentives à la concrétisation des engagements gouvernementaux que vous nous avez présentés. Nous-mêmes, en tant que CLEF, en tant qu'association, nous adopterons une position vigilante, tout en vous soutenant sur l'ensemble de ces sujets.

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