Intervention de Joël Giraud

Réunion du 13 mars 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoël Giraud :

Le sujet dont nous parlons n'est pas banal, bien qu'il soit souvent peu visible ou sous-estimé. À cet égard, le rapport commandé à Mme Revel par Mme la ministre du commerce extérieur dès septembre 2012, avec des objectifs clairs, marque le début d'un changement salutaire. Ce rapport fait un constat plutôt sévère sur le manque d'organisation de la France, surtout par rapport à l'Allemagne et au Royaume-Uni. Il suggère des pistes d'amélioration, dont la plupart ne semblent pas hors de portée, à l'exception du crédit d'impôt normalisation, sans doute plus coûteux. Ayant travaillé au sein d'organismes de normalisation internationaux, je me souviens avec un certain amusement de la façon dont les représentations permanentes de la France s'y exprimaient, parfois sans avoir lu les fiches techniques, ce qui provoquait de menues catastrophes. Nous avions aussi le plus grand mal à obtenir des ministères les moyens financiers nécessaires à de véritables actions de lobbying, sans parler des difficultés résultant de la piètre maîtrise des langues étrangères de nos représentants –aujourd'hui encore, les hauts fonctionnaires français parlant anglais, allemand ou italien ne sont pas très nombreux.

La première grande difficulté, en tout état de cause, est de faire travailler ensemble des intervenants disséminés dans de multiples instances, c'est-à-dire de passer d'une logique de silo à une logique de réseau. Reste que, dans un contexte de mondialisation déloyale des échanges, le malaise des peuples est réel : le modèle français en souffre tout particulièrement.

Nous ne pouvons plus faire l'impasse sur les normes qui encadrent le droit du travail, le droit sanitaire, le droit de l'environnement ou le droit de la protection sociale. Si ces normes sont bafouées par nos partenaires commerciaux, alors le principe de réciprocité doit s'appliquer pour rétablir la justice : c'est en lui donnant au plus vite une traduction concrète que nous défendrons notre modèle et protégerons nos entreprises contre l'asphyxie qui les menace à plus ou moins brève échéance, selon leur secteur d'activité et leur exposition à la mondialisation. Les électeurs nous envoient sur ce point des messages clairs, comme on l'a aussi vu récemment en Italie.

On nous demande de prendre acte de la privatisation croissante des règles : l'élaboration des normes, comme le contrôle de leur application, devraient être délégués à des experts et à des entreprises. Je reste très sceptique sur ces formes d'autocontrôle préconisées, par exemple, pour les normes sanitaires ; quant à la traçabilité dans l'agroalimentaire, on a vu ce qu'elle donnait : la sanction tombe en cas de fraude, mais des contrôles publics mieux organisés en amont permettraient d'éviter les dérives. Hier, Fleur Pellerin a aussi expliqué que, dans le domaine des télécoms, Alcatel-Lucent allait pâtir, sur le marché français, du « Long term evolution » (LTE), dont le niveau de normalisation est en deçà de la 3G. L'entreprise privée a choisi des normes technologiques qui avantagent les Américains : le secteur des télécoms français en subira des conséquences dramatiques. Si les pouvoirs publics français et européens avaient été plus actifs sur ces normes, même en se limitant à un rôle de prescription, nous n'en serions pas là. Ne pensez-vous pas, dans ces conditions, que l'articulation entre public et privé, dans l'ensemble des secteurs, doit être rééquilibrée en faveur du premier ?

Les rapports « Doing business » de la Banque mondiale, dont le premier date de 2004, classent la France en très mauvaise position sur la capacité de son droit à favoriser l'économie. Rédigés par des cabinets d'avocats d'affaires américains, ils reposent sur l'idéologie sous-jacente d'une concurrence entre les normes et sur l'idée qu'un modèle universel est possible et souhaitable. Cette vision mécanique des relations sociales et économiques est évidemment contestable : l'efficacité d'un système de droit est complexe, et dépend aussi de facteurs culturels, géographique ou linguistiques.

La France a répliqué par la création d'un organisme baptisé « Fondation pour le droit continental », dont l'originalité ne peut cacher le manque cruel de financements. Que pensez-vous de cette concurrence juridique ? N'avons-nous pas intérêt à défendre une vision plus juste et plus pragmatique de la diversité des droits sans favoriser les oppositions dogmatiques ? Comment pouvons-nous améliorer la défense du droit continental ?

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