Intervention de Claude Revel

Réunion du 13 mars 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Claude Revel :

Deuxièmement, je suis extrêmement sensible au problème de l'inflation normative et mon rapport propose des moyens pour lutter contre la norme inutile. « Développer une influence normative » signifie non pas multiplier les normes, mais être plus présent dans leur fabrication, ce qui peut parfois se traduire par la destruction de normes inutiles. Mon rapport évoque l'existence d'un véritable « business de la norme », notamment dans les domaines financiers et comptables, où l'incessante modification des règles semble avoir pour principal objectif de permettre aux cabinets d'experts de ne jamais manquer de travail. Il est donc nécessaire de juguler l'inflation des normes privées et mon rapport montre comment il est possible d'en tirer de nouvelles opportunités.

Même l'élaboration des 10 % de normes de caractère strictement national doit intégrer la dimension internationale, via une sorte de benchmarking systématique. On doit notamment veiller à ne pas aggraver la réglementation internationale déjà existante.

Je propose par ailleurs que la norme intègre sa propre obsolescence, afin de favoriser sa stabilité tout en évitant l'empilement de normes à vocation purement commerciale, qui paralyse le système alors que la norme doit être au contraire un outil d'interopérabilité. C'est seulement en accroissant notre influence normative que nous pourrons agir sur ces leviers.

Troisièmement, l'influence normative internationale est sans conteste un élément de la diplomatie économique. Il est de ce point de vue essentiel que notre pays s'efforce d'acquérir une vision transversale de la problématique normative, qui ne saurait relever de la compétence d'un seul ministère. Ainsi, la question de la responsabilité sociale des entreprises, susceptible de constituer un levier extrêmement puissant pour peser sur l'élaboration de normes internationales auxquels seraient assujettis nos concurrents, est actuellement prise en main par le ministère des affaires étrangères. Pourtant, ce sujet concerne également Bercy. Il faut absolument casser les rigidités institutionnelles qui font obstacle aux politiques transversales. Un des moyens pour ce faire serait de déterminer des priorités normatives dont le traitement serait confié à des structures interministérielles.

Le rapport Martre de 1994 a été un premier pas dans la compréhension que l'intelligence économique devait être un processus actif, et non pas seulement une réaction de protection suscitée par la peur. Aujourd'hui, chacun a pris conscience de la nécessité d'actions coordonnées de recueil, de traitement, de sécurisation et de distribution de l'information utile aux acteurs économiques. Il appartient désormais aux responsables de tirer toutes les conséquences de cette prise de conscience.

Il est évident que la France ne pourra pas avancer seule, et qu'elle devra travailler avec l'Union européenne, voire avec d'autres partenaires, dans le cadre de ce qu'on appelle une « coopétition » : il peut être avantageux pour nous de nouer des alliances avec les Chinois dans certains domaines, avec les Américains dans d'autres. Ainsi, dans l'affaire de la ractopamine, l'Union européenne s'est, au nom du principe de précaution, alliée à la Russie, l'Inde et la Chine contre les États-Unis, l'Australie et le Mexique, pour s'opposer à l'importation de bétail porteur d'une certaine dose de résidus de ce que le Codex Alimentarius définit comme accélérateurs de croissance. La position des États-Unis l'a finalement emporté d'une voix, grâce à l'appui de tous les pays africains, y compris francophones, ce qui prouve que nous avons un véritable problème d'influence.

Vous m'avez interrogée sur le rôle des entreprises dans le développement de notre influence normative. Il est clair que l'avance de certains pays dans ce domaine est attribuable à l'engagement de leurs entreprises. En Allemagne, aux Pays-Bas, aux États-Unis, les entreprises considèrent que financer la normalisation est un élément de leur stratégie. À combien d'industriels ai-je dit qu'ils ne pouvaient pas à la fois souhaiter la réduction des dépenses de l'État tout en déplorant le recul de l'AFNOR, dont le budget a considérablement baissé. Il y a un moment où les entreprises doivent prendre en charge les missions qui sont stratégiques pour elles : c'est le cas de la normalisation, qu'il s'agisse de la développer ou de la contrer. Mais pour cela, la politique de l'État doit être lisible. Il faut des efforts des deux côtés.

S'agissant des PME, les avancées doivent venir des organisations professionnelles : c'est leur rôle d'anticiper et de prévoir les évolutions normatives. Dans mon rapport, je cite l'exemple d'une PME de soixante personnes oeuvrant dans le secteur des systèmes d'information qui a réussi à faire labelliser ses propres pratiques par le CEN en suivant mes conseils. En principe, ce rôle de conseil relève des organisations professionnelles.

Mon rapport évoque également les différences entre le droit romain et la common law. Il ne faut pas jouer l'un contre l'autre, mais essayer au contraire de dégager des convergences entre ces deux visions juridiques. Bien qu'étant membre du conseil scientifique de la Fondation pour le droit continental, je suis la première à considérer que celle-ci ne se préoccupe pas assez des problématiques de droit des affaires.

En tant que contributeur important de la Banque mondiale, la France aurait dû au moins être informée que le classement « Doing Business » 2013 était sur le point d'être publié. Par ailleurs, la Banque européenne d'investissement dispose de tous les critères pour établir un classement européen.

Qui dit norme dit certification. Le rôle de celle-ci est essentiel, notamment pour renforcer une image de marque, et c'est pourquoi il doit se développer, à côté du contrôle réglementaire, qui reste indispensable, notamment pour des questions de sécurité. Le problème est que nous n'avons pas les moyens de vérifier que les organismes de certification des autres pays, de la Chine par exemple, sont aussi bons que les nôtres. Nous devons absolument inscrire cette question à l'ordre du jour des négociations internationales, que ce soit dans le cadre de l'OMC ou dans un cadre bilatéral.

De façon générale, la négociation doit nous permettre d'imposer nos normes. De ce point de vue, on peut regretter que l'Union européenne ne soit pas allée assez loin dans la négociation de l'accord de libre-échange qui la lie avec la République de Corée : elle aurait dû exiger à cette occasion que ce pays lève son embargo sur l'importation de viande bovine européenne.

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