Intervention de Thierry Lepaon

Réunion du 13 mars 2013 à 16h00
Commission des affaires sociales

Thierry Lepaon, membre de la commission exécutive confédérale :

Je vous remercie d'avoir fait le choix d'auditionner l'ensemble des organisations syndicales de salariés, y compris celles qui n'ont pas signé l'accord du 11 janvier dernier.

Le dimanche 6 mai 2012, François Hollande était élu Président de la République. À cette occasion, la commission exécutive confédérale de la CGT déclarait : « Le résultat de l'élection présidentielle exprime un "désaveu" pour le président sortant. Sa politique autoritaire et antisociale, son passage en force sur la réforme des retraites et sa façon de gouverner sont maintenant clairement sanctionnés… Les salariés, les retraités et les privés d'emploi ont ainsi confirmé leur refus de payer la facture d'une crise économique dont ils ne sont pas responsables ».

Notre organisation concluait en appelant « l'ensemble des salariés, retraités et privés d'emploi à conforter la place que les réponses aux revendications sociales doivent prendre dans les politiques à venir ».

Les engagements et les promesses du candidat Hollande, puis son élection, ont fait lever un espoir de changement que les électeurs ont voulu rendre possible par leur vote aux élections législatives qui ont suivi. Ils ont porté à l'Assemblée nationale une majorité de députés des différents partis de gauche.

Il n'est pas exagéré de dire que les salariés, les retraités et les demandeurs d'emploi, par leur engagement lucide et déterminé, par leurs luttes, ont pris toute leur part dans cette importante victoire politique. Leurs attentes demeurent à la mesure de cet engagement.

Lors de la Grande conférence sociale de juillet 2012, les discours du Président de la République et celui du Premier ministre nous ont semblé aller dans le sens d'une réelle prise en compte de ces attentes.

Ainsi François Hollande déclarait dans son discours inaugural que lorsque des efforts sont demandés, il faut, pour qu'ils soient acceptés, en comprendre le sens. Il faut qu'ils soient répartis dans la justice. Il appelait enfin à mobiliser nos forces pour le progrès et à restaurer la confiance en l'avenir.

Dans son discours de clôture, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault déclarait pour sa part : « Je vous propose une nouvelle démarche pour la sécurisation de l'emploi. Le Gouvernement invitera les partenaires sociaux, sur la base d'un document d'orientation transmis en septembre 2012, à négocier au niveau national interprofessionnel, avant la fin du premier trimestre 2013, les conditions d'une meilleure sécurisation de l'emploi.

« Cela suppose d'avancer sur deux fronts. D'abord, lutter contre la précarité de l'emploi. Le recours aux CDD, à l'intérim, au temps partiel subi, ne peut être un modèle qui se généralise. Son coût doit être, à mon sens, renchéri en agissant sur les cotisations d'assurance chômage.

« Trouver ensuite les moyens d'accompagner les mutations économiques. Dans tous les cas, il faut tout faire pour maintenir l'emploi. Mais les voies à emprunter diffèrent selon la situation de l'entreprise. Quand une entreprise rencontre des difficultés conjoncturelles, il faut définir des leviers plus efficaces du maintien de l'emploi. Lorsque des licenciements collectifs sont envisagés, il faut améliorer et sécuriser les procédures. Mais il faut aussi encadrer les licenciements abusifs et en cas de projet de fermeture de site rentable, créer une obligation de recherche de repreneur ».

C'est à l'aune de ces orientations que nous nous sommes préparés à engager la négociation sur ce qui a été appelé « sécurisation de l'emploi ». La CGT a abordé cette négociation sereinement et avec la volonté d'aboutir. Nous avions pris note des pressions que le MEDEF faisait peser sur l'exécutif, mais nous avions l'espoir que celui-ci, avec le soutien des syndicats de salariés, saurait y résister.

Le document d'orientation du Gouvernement pour la négociation nationale interprofessionnelle pour une meilleure sécurisation de l'emploi du 7 septembre 2012 a conforté notre espoir. Il identifiait quatre domaines d'action : lutter contre la précarité sur le marché du travail ; progresser dans l'anticipation des évolutions de l'activité de l'emploi et les compétences ; améliorer les dispositifs de maintien dans l'emploi dans les entreprises confrontées à des difficultés ; améliorer les procédures de licenciements collectifs par des actions d'anticipation ou d'activité partielle.

Sur la base de ces objectifs, une négociation loyale pouvait être engagée. Comme l'affirmait ce document : « Il y a une voie, celle du dialogue social. À condition qu'il soit loyal, confiant, transparent, apaisé et qu'il permette un équilibre "gagnant-gagnant" des accords ».

La réalité a été tout autre. Aucun débat, aucune discussion n'a été possible. La négociation n'a été ni loyale ni apaisée, et encore moins transparente. L'accord qui en est résulté ne pouvait donc être équilibré.

Les objectifs du patronat étaient connus : diminuer le « coût » du travail, flexibiliser le droit du travail, libéraliser le licenciement, limiter le pouvoir des juges. Dans cette négociation, sous prétexte de crise, il entendait abolir un certain nombre de garanties pour les salariés. Le tout au nom de l'emploi !

À l'issue de cette négociation, quel jugement portons-nous sur ses résultats ?

Loin de répondre à la feuille de route fixée par le Gouvernement lors de la conférence sociale de juillet 2012, l'accord du 11 janvier 2013 est d'une extrême gravité pour les droits des salariés. On veut nous faire croire qu'il ouvre des droits nouveaux aux salariés, mais en réalité ses « contreparties » sont virtuelles, conditionnelles et remises à plus tard – et encore, pas pour tous.

La mobilité interne volontaire ou forcée ? Cet accord organise la mobilité interne forcée, permettant ainsi aux employeurs de muter un salarié sur un autre poste, de l'envoyer à l'autre bout de la France et, s'il refuse, de le licencier.

Quel accès à la justice demain ? L'accord sécurise les licenciements pour les employeurs en privant les salariés de l'accès à la justice prud'homale, ou en le leur rendant plus difficile, pour obtenir réparation du préjudice subi. Le juge pourra-t-il toujours apprécier la portée du préjudice subi ?

Maintien dans l'emploi ou chantage ? Le texte instaure les accords « compétitivité-emploi », pourtant fortement critiqués par la gauche lorsque Nicolas Sarkozy voulait les mettre en place, sans d'ailleurs avoir pu les imposer. La modification du temps de travail et la baisse des salaires durant deux ans pourront être imposées aux salariés. En cas de refus, même nombreux, les salariés seront licenciés pour motif économique mais sans les garanties attachées à un licenciement collectif.

Que devient le contrat à durée indéterminée (CDI) ? Avec cet accord, le MEDEF veut imposer pour les salariés des petites entreprises de certaines branches un CDI « intermittent », c'est-à-dire un contrat totalement flexibilisé.

Sécuriser l'emploi ou sécuriser les licenciements ? Grâce à cet accord, la procédure de licenciement et le contenu du plan social seraient décidés par simple accord d'entreprise, voire, en l'absence d'accord, par un simple document de l'employeur homologué par la direction du travail. Les questions du motif économique et des alternatives aux licenciements deviennent accessoires. Rien n'est fait, bien au contraire, pour éviter les « licenciements boursiers ».

La hiérarchie des normes est remise en cause. Le droit social français est fondé, vous le savez, sur la hiérarchie des normes et le principe de faveur qui fait que tout accord de niveau supérieur s'impose aux accords de niveau inférieur, comme la loi s'impose aux accords.

De même, le contrat de travail, engagement réciproque, doit être respecté par les parties. L'employeur ne devrait pas pouvoir l'écarter quand bon lui semble.

La dérogation introduite dans cet accord, si elle est transcrite dans la loi, ouvrira une brèche d'une extrême gravité.

La CGT est évidemment favorable à la négociation collective et elle le prouve en étant partie prenante et souvent signataire de nombreux accords collectifs dans les branches et les entreprises. Mais les conventions collectives sont une source du droit parmi d'autres. Elles doivent s'appuyer sur un socle légal et ne pas porter atteinte à l'ordre public social.

Dialogue social et représentativité. Ce gouvernement, qui se dit attaché au dialogue social, doit prendre en compte le rejet de cet accord par les syndicats qui représentent un nombre beaucoup plus grand de salariés que les syndicats signataires. Aux élections prud'homales, les premiers totalisaient près de 50 % des suffrages, tandis que les trois autres en totalisaient moins de 39 %.

Il est d'autant plus inacceptable de ne pas en tenir compte que la loi sur la représentativité syndicale est entrée en vigueur et que les résultats des élections seront connus dans quelques semaines. Comment le Gouvernement pourra-t-il justifier la prise en compte d'un accord qui n'aura été signé que par des organisations syndicales minoritaires en voix ? De quelle légitimité pourra-t-il se prévaloir pour transcrire dans la loi des dispositions qui auront été rejetées par les représentants d'une majorité de salariés ?

Dans le texte intitulé « feuille de route sociale » adopté à la fin de la Grande conférence sociale était inscrite la phrase suivante : « Il est important de disposer de partenaires sociaux reconnus et légitimes, interlocuteurs de premier plan pour le Gouvernement dans la conduite des réformes nationales, mais aussi dans les branches professionnelles, les entreprises de toute nature et les territoires ». Peut-on estimer que cet engagement a été tenu ?

J'en viens à la retranscription de l'accord du 11 janvier dans la loi. Le Gouvernement entend retranscrire « fidèlement » l'accord. Cela signifie que ses aspects les plus nocifs pour les salariés et ses dispositions les plus régressives seront repris. Il s'agit des accords de maintien dans l'emploi qui permettraient de licencier les salariés refusant de voir leur salaire baisser, ou encore des accords de « mobilité interne » qui autoriseraient l'employeur à licencier le salarié si celui-ci refuse d'aller travailler à l'autre bout de la France. Le licenciement deviendrait une simple formalité. L'information et l'intervention des représentants des salariés seraient enfermées dans des délais tellement courts que leur efficacité serait menacée : ainsi, dans certains cas, l'expert n'aurait qu'une dizaine de jours pour rendre son rapport. En outre, le projet de loi réduit encore plus que l'accord national la réparation des préjudices subis par les salariés. Les juges du travail devraient maintenant inciter les salariés à accepter une transaction injuste et inéquitable !

Concernant la création de « nouveaux droits » pour les salariés, qui n'ont que peu de choses à voir avec la sécurisation de l'emploi, les incertitudes déjà présentes dans l'accord subsistent.

Ainsi, les salariés les plus pauvres n'auraient toujours pas accès à la couverture complémentaire santé. Quant au financement des droits rechargeables à l'assurance chômage, il n'est absolument pas assuré, le Gouvernement se contentant de renvoyer cette question à de futures négociations sans garantie aucune.

Le patronat, MEDEF en tête, peut donc être satisfait puisque toutes les mesures de recul pour les salariés figurent dans le projet de loi. D'ailleurs, le MEDEF se félicite de son contenu.

Il semble, malheureusement, que le Gouvernement soit prêt à aller très loin pour satisfaire les signataires, quitte à violer les textes internationaux, alors même que des voix venant d'horizons divers l'ont alerté sur ce problème.

Fruit de tractations entre le ministre du travail et les signataires de cet accord, ce projet de loi va instituer une régression de portée décisive dont beaucoup ne mesurent pas la dangerosité.

Tout cela renforce la responsabilité des parlementaires dans la période à venir, car eux seuls représentent l'intérêt général. Vos prérogatives, mesdames, messieurs les députés, doivent rester pleines et entières, y compris dans le contexte de la transposition d'un accord national dans un projet de loi. Il vous appartient donc de modifier le projet de loi dans le sens de l'intérêt général. Les lois ne doivent pas être subordonnées aux accords, même si elles s'en inspirent. Laisser s'instaurer l'inverse reviendrait, dans les faits, à laisser la partie patronale préfigurer la loi.

Quelles sont les revendications que la CGT a portées dans cette négociation ?

Nous sommes favorables non pas au maintien d'un quelconque statu quo, mais à une évolution du cadre conventionnel et légal, à laquelle nous entendons prendre toute notre part. C'est notre démarche constante.

Au cours de la négociation, nous avons formulé les propositions suivantes :

– Un droit de veto suspensif des représentants du personnel sur les plans de licenciement et les plans de restructuration qui permette la recherche et la construction de propositions alternatives aux licenciements ;

– Une loi contre les licenciements boursiers et pour la reprise des sites rentables en cas de menace de fermeture ;

– La généralisation de la présence des représentants des salariés dans les conseils d'administration et de surveillance avec voix délibérative et une réelle influence sur les décisions ;

– Une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui ne soit pas une gestion prévisionnelle des suppressions d'emploi ;

– L'encadrement des ruptures conventionnelles et la lutte contre le passage forcé à l'auto-entreprenariat ;

– Des instances représentatives inter-entreprises du personnel afin de donner une plus grande responsabilité aux donneurs d'ordre vis-à-vis de leurs sous-traitants ;

– La mise en place de comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) centraux, à l'instar des comités centraux d'entreprise (CCE), dans le respect des droits et moyens des comités locaux ;

– L'extension du contrat de sécurisation professionnelle à tous les salariés des entreprises de moins de 50 salariés et l'amélioration du congé de reclassement dans les entreprises de plus de 50 salariés ;

– La construction d'un droit au travail à temps plein, sur un bassin d'emplois, pour les salariés cumulant plusieurs temps partiels ;

– L'instauration de droits attachés à la personne, transférables d'une entreprise à une autre, pour tous les salariés – ancienneté, qualification, formation, prévoyance –, à négocier au niveau des branches ;

– Une taxation de tous les contrats à durée déterminée (CDD) et des contrats d'intérim, à hauteur de ce qu'ils coûtent à l'assurance chômage ;

– Un compte individuel de formation opposable à l'employeur et un renforcement des droits à la formation professionnelle qualifiante pour chaque salarié, quel que soit son parcours.

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