Intervention de Thierry Lepaon

Réunion du 13 mars 2013 à 16h00
Commission des affaires sociales

Thierry Lepaon, membre de la commission exécutive confédérale :

J'aborderai quatre questions avant de laisser mes collègues répondre point par point à l'ensemble de vos interrogations.

Je constate en premier lieu – et c'est là un fait exceptionnel dans notre pays – que si nous avons affaire à un seul et même texte, celui-ci fait l'objet de multiples interprétations. En règle générale, dans une négociation nationale interprofessionnelle, soit on est d'accord sur un texte, soit on ne l'est pas. Mais si l'on a du mal à comprendre celui-ci, c'est qu'il a sciemment été mal rédigé pour semer la confusion. Jamais jusqu'ici nous n'avons été confrontés à une telle difficulté. Lorsque j'ai lu l'accord national, je n'ai pu comprendre de quoi nous discutions avant d'en arriver à la page 14 ! Or, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement. Et si le texte est si confus, c'est que le MEDEF a seul tenu la plume jusqu'au bout. Traditionnellement, lorsque l'on négocie, la plume tourne et les organisations syndicales apportent des contributions au texte commun. On constate d'ailleurs une nette différence de style entre l'ensemble du texte et la partie consacrée aux mutuelles, pour la simple raison que ce n'est pas le même groupe du MEDEF qui l'a rédigée. On retrouve là l'écriture de Guillaume Sarkozy. Dans son ensemble, le texte ne correspond qu'à une juxtaposition d'idées mal travaillées, mal débattues et qui, pour certaines, loin de renforcer la protection des salariés, risquent de leur nuire.

En deuxième lieu, vous avez raison de nous renvoyer à notre responsabilité devant l'entreprise. Encore vous faut-il vous rappeler dans quel contexte sont négociés les accords d'entreprise, de branche ou de groupe. Notre tissu économique et social étant extrêmement fragilisé, un salarié à qui l'on proposera de conserver son emploi pour une durée déterminée, à condition qu'il veuille bien travailler plus et gagner un peu moins, aura naturellement tendance à l'accepter. Il en va de même des personnes qui ne peuvent plus vivre de leur salaire et à qui l'on propose, pour 20 % de plus, de travailler la nuit. Cette négociation « pot de terre contre pot de fer » risque donc de très mal se passer dans les entreprises où ces questions seront débattues. On court même le risque social majeur d'opposer les salariés qui accepteront et ceux qui refuseront l'accord, mais aussi les organisations syndicales de salariés dans l'entreprise et au niveau national.

En troisième lieu, le congé individuel de formation n'est pas une nouveauté : il correspond à ce qu'on appelle actuellement le droit individuel à la formation, qui permet au salarié de cumuler vingt heures de formation par an pendant six ans. C'est d'ailleurs la CGT elle-même qui, dans l'accord national interprofessionnel de 2003, avait porté cette conception d'un droit « opposable, transférable et individuel ». Seulement, lorsque j'analyse sa transcription concrète, à la fois dans l'accord et dans le projet de loi, je m'aperçois que l'on a fait de cette force un handicap. Car n'étant ni finançable ni financé, ce droit sera donc porté par le seul salarié. Et imaginons que deux salariés licenciés le même jour à la même heure aient rendez-vous le mardi suivant chez le même employeur. Si l'un a accumulé 120 heures de formation et l'autre, aucune, l'employeur embauchera forcément le second, car personne ne souhaitera financer 120 heures de formation pour un salarié n'ayant même pas commencé à travailler.

Enfin, le MEDEF, se fondant sur un raisonnement dépassé, a cru que l'aval de la « triplette », c'est-à-dire des trois autres syndicats majoritaires, suffirait pour mener à bien la négociation. Il a donc jugé inutile de discuter avec l'ensemble des syndicats. La constitution de cette « triplette » a d'ailleurs marqué un véritable tournant dans la négociation, et les discussions entre le patronat et les trois syndicats se sont parfois déroulées en marge, sous l'oeil bienveillant du ministre du travail. Les négociateurs ont des responsabilités, mais disposent aussi d'une certaine autonomie dans la négociation. Tous les acteurs doivent pouvoir contribuer à l'effort commun de rédaction d'un accord national interprofessionnel, ce qui ne fut en l'occurrence pas le cas, dès le milieu de cette négociation. Malheureusement, nous n'avons pas été suffisamment influents auprès de nos autres partenaires pour faire perdurer notre contribution. Nous touchons là aux limites de cette stratégie de négociation. Vos prédécesseurs ayant adopté une loi visant à corriger les règles de représentativité syndicale afin de mieux refléter la réalité, vous ne ferez croire à personne dans le monde de l'entreprise qu'il s'agit là d'un accord majoritaire alors qu'il n'a été signé que par la CFDT, la CGC et la CFTC.

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