Intervention de Francine Blanche

Réunion du 13 mars 2013 à 16h00
Commission des affaires sociales

Francine Blanche, membre de la commission exécutive confédérale :

Ayant participé à cette négociation de bout en bout, je me souviens que les journaux évoquaient « vingt-six heures de négociation sans discontinuer ». Or, sur ces vingt-six heures, nous ne nous serons vus que pendant deux heures. En revanche, alors que nous étions convoqués à neuf heures du matin, le MEDEF n'arrivait qu'à onze heures et demie, parce qu'il était en train de discuter ailleurs. À chaque réunion, c'est lui qui apportait un texte dont il nous fallait prendre connaissance en peu de temps. Ni l'UPA ni la CGPME n'ont eu leur mot à dire puisque le MEDEF s'était attribué le rôle de chef de file. Puis, chacune des organisations syndicales s'est exprimée sur le texte diffusé. Les partenaires se sont ensuite quittés sans le moindre débat ni échange d'arguments. Lorsque j'ai participé à la négociation de la « loi Larcher » sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, nous avions fait appel à des experts afin d'établir un diagnostic partagé sur le sujet. Il aurait donc été possible de le faire dans ce cas. On ne peut donc parler de dialogue social exemplaire comme certains l'ont fait – loin de là !

Quant à la terminologie employée dans ce texte, elle est trompeuse. Il n'est donc guère étonnant que celui-ci fasse l'objet de divergences d'interprétation. Pour avoir souvent été témoin de plans de restructuration dans mon entreprise, je sais pertinemment que les plans dits de « sauvegarde de l'emploi » sont en réalité des « plans de suppression d'emplois », car la sauvegarde de l'emploi intervient bien avant ce type de plans ! De même, on devrait plutôt parler de gestion prévisionnelle des « suppressions » d'emploi puisqu'il ne s'agit pas, le plus souvent, d'éviter ces suppressions. Bien des membres d'organisations patronales – singulièrement au MEDEF – comptent sur ce type d'ambiguïtés et sur l'éventuelle méconnaissance de certains parlementaires pour les tromper, d'autant que l'accord a été signé par trois organisations syndicales.

J'évoquerai à présent trois sujets qui n'ont absolument pas été traités au cours de la négociation et dont il serait bon que le Parlement débatte.

Il s'agit tout d'abord de la question des très petites entreprises (TPE) et des petites et moyennes entreprises (PME). Pas une seule fois, lors de nos échanges, nous n'avons pu parler des rapports entre sous-traitants et donneurs d'ordres. Rappelons pourtant que 42 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de 50 salariés et que seuls 3 % des salariés qui se présentent à Pôle emploi le font après avoir subi un plan de sauvegarde de l'emploi. Tout le texte est centré sur la manière d'accélérer les licenciements dans les grandes entreprises ! Or, la question centrale n'est pas là : ce qui importe, c'est de trouver le moyen de sécuriser l'emploi pour l'ensemble des salariés et plus particulièrement pour les salariés des TPE ou PME soumises aux mêmes aléas que leurs donneurs d'ordres. Et les dispositions relatives à la complémentaire santé collective ne changeront rien à la situation de ces salariés. Le fait d'avoir une complémentaire santé ou pas n'est d'ailleurs pas lié à la taille de l'entreprise dans laquelle on travaille.

La question territoriale n'a pas non plus été traitée alors que c'est au niveau d'un bassin d'emplois, d'une pépinière d'entreprises ou d'une région que l'on peut assurer une sécurisation de l'emploi des salariés. Ce n'est qu'à propos du congé individuel de formation, financé par la région, que la question territoriale a été abordée. Il est pourtant possible d'inventer de nouveaux systèmes de sécurisation de l'emploi. Ainsi, pourrait-on, par exemple, imaginer un temps plein à l'échelle d'un centre commercial, d'un bassin ou d'une zone d'emplois, lorsqu'un petit employeur ne peut offrir un tel emploi à temps plein à un salarié. Nous espérions aborder cette question nouvelle, qui nous semblait correspondre à la lettre de cadrage que nous avions reçue.

Troisièmement, il me paraît fort grave que l'on n'ait absolument pas parlé des chômeurs ! On invoque souvent le modèle de « flexisécurité » danois. Même si les effets positifs attendus du système n'ont pas forcément été au rendez-vous, il reste qu'au Danemark, les chômeurs conservent 90 % de leur salaire pendant deux ans – ils le conservaient auparavant pendant quatre ans – et sont entourés de conseillers et de formateurs chargés de faire en sorte que cette période de transition professionnelle soit la moins longue et la moins pénible possible et que les chômeurs retrouvent du travail très rapidement. Dès lors qu'il a été décidé que toutes les mesures devaient être mises en oeuvre à moyens constants, il est impossible de financer quoi que ce soit. Peut-être les droits rechargeables, seule mesure susceptible de concerner les chômeurs, seront-ils financés un jour. Actuellement, la moitié des chômeurs ne touchent rien. Et avec l'accélération des licenciements, combien d'entre eux pourra-t-on encore indemniser ?

Nous avons eu beau évoquer ces trois thèmes pendant tout le processus de négociation, jamais le MEDEF n'a souhaité en parler.

Et si ce nouvel accord nous paraît grave, c'est pour quatre raisons.

Premièrement, il met en place un modèle économique et social inédit en France. Actuellement, tout salarié, quelle que soit la taille de son entreprise, est protégé par des garanties nationales figurant dans le code du travail et plusieurs conventions collectives nationales et régionales. Le texte proposé prévoit au contraire une définition des règles applicables au niveau de l'entreprise, voire dans le cadre du gré à gré entre le salarié et l'employeur. En Grande-Bretagne, un salarié peut ainsi choisir « l'opt out », c'est-à-dire de déroger aux règles du droit du travail européen, y compris en ce qui concerne sa durée hebdomadaire de travail, en adressant une simple lettre à son employeur. On retrouve une telle possibilité dans l'article du projet de loi relatif au temps partiel. Si nous sommes favorables à la fixation d'un temps partiel minimal par semaine, il reste qu'un salarié pourra accepter de déroger à ce minimum. Or, le rapport de force entre un salarié et son employeur est déséquilibré puisque le contrat de travail, loin d'être un contrat ordinaire, se caractérise par le lien de subordination qui unit le premier au second. L'employeur peut donc très aisément faire signer au salarié n'importe quelle lettre, surtout en l'absence d'un syndicat fort à ses côtés.

Deuxièmement, désormais, le contrat de travail signé par le salarié ne le garantira plus à l'encontre d'autres dispositions. Un salarié signant un contrat de travail n'aura plus la certitude que celui-ci sera respecté une fois qu'il sera dans l'entreprise. Un accord de mobilité ou dit « de maintien dans l'emploi » pourra ainsi entraîner la suspension temporaire du contrat de travail et le salarié qui refusera un tel accord pourra être licencié. Heureusement, le texte du projet de loi a été modifié pour se conformer aux règles du droit international et la notion de « licenciement économique individuel » a remplacé celle de « licenciement pour motif personnel ».

Le troisième point qui nous pose problème concerne la faculté pour le salarié de recourir au juge. En France, deux parties signataires d'un contrat – dans quelque domaine que ce soit – qui ne sont pas d'accord entre elles ont la faculté de recourir à un juge pour les départager. Et l'accessibilité au juge est un aspect fondamental du droit du travail. Or, en limitant les délais de saisine, le projet de loi tend à limiter la possibilité pour le salarié d'en appeler au juge à titre individuel ou collectif, dans le cadre des procédures de licenciement économique.

Quatrièmement, ce sont les représentants du personnel et les syndicats qui vont devoir faire le « sale boulot » et signer les accords de mobilité forcée, dits de « maintien dans l'emploi », dont ils auront ensuite à répondre devant les salariés. Si des salariés sont licenciés parce qu'ils refusent de se voir appliquer ce type d'accords, la responsabilité de leur licenciement incombera non plus à l'employeur, mais aux syndicats signataires de l'accord. Voilà qui ne risque guère d'encourager le développement du syndicalisme. C'est là un mode de cogestion inédit en France, dont ne veulent certainement pas les salariés.

Nous sommes par ailleurs inquiets des dispositions relatives à la mobilité. Si le prêt de main-d'oeuvre, auquel un certain patronat semble très attaché, reste bien encadré par le droit en vigueur, les dispositions du texte relatives à la mobilité volontaire sont susceptibles d'en entraîner la généralisation. On pourrait certes considérer que l'employeur importe peu pourvu qu'un salarié ait du travail, mais ce n'est pas ainsi qu'est conçue la loi française. Et si l'objectif était de développer le prêt de main-d'oeuvre, il fallait le dire clairement dans le texte. En l'état actuel, seuls les cadres disposent de clauses de mobilité dans leur contrat de travail, à la différence de la grande majorité des salariés qui peuvent refuser une mobilité sans risquer d'être licenciés. Le projet de loi permettra de la leur imposer – sous peine de licenciement – dans le cadre d'accords conclus tous les trois ans. Qui plus est, le MEDEF a supprimé du texte un paragraphe qui prévoyait une limite maximale de mobilité géographique et de temps de trajet. Le salarié doit absolument pouvoir bénéficier d'une telle protection au niveau national.

Enfin, nous sommes défavorables à l'intervention de la DIRECCTE, étant donné les effets pervers auxquels le système d'autorisation administrative des licenciements nous a autrefois conduits : à l'époque, lorsqu'un employeur souhaitait licencier 300 personnes, il lui suffisait de doubler ce chiffre et il obtenait finalement gain de cause puisque la direction du travail n'en autorisait que la moitié. Ce que nous souhaitons, c'est que les salariés obtiennent des droits économiques supplémentaires. Se trouvant à l'intérieur même de l'entreprise, ils savent pertinemment si celle-ci se porte bien ou pas. Il n'y a jamais de licenciements boursiers dans une petite entreprise. L'employeur fait tout pour sauver sa TPE, mais il peut être contraint de licencier si son donneur d'ordres met fin à un contrat du jour au lendemain. Or, le droit suspensif de licenciement n'apparaît ni dans l'accord ni dans le projet de loi. Selon le projet de loi, « dans les entreprises de cinquante salariés et plus, un accord collectif peut déterminer le contenu du plan ainsi que les modalités de consultation du comité d'entreprise », mais il n'est nulle part fait mention du motif du licenciement économique. Certaines entreprises pourront-elles encore procéder à des licenciements économiques sans le moindre motif économique ? Et en l'absence d'un tel motif, comment le comité d'entreprise et les syndicats pourront-ils empêcher le licenciement sachant qu'ils ne disposeront pas de suffisamment de temps pour formuler des propositions alternatives ?

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