Intervention de Didier Migaud

Séance en hémicycle du 19 mars 2013 à 15h00
Débat sur le rapport annuel de la cour des comptes

Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes :

Madame Mazetier, la Cour n'est pas juge et partie, elle ne décide de rien. Elle n'a aucun pouvoir, sauf dans le cadre de ses compétences juridictionnelles. Je souhaitais le rappeler devant vous. La Cour est parfaitement consciente que le dernier mot revient aux représentants du peuple élus au suffrage universel.

Le pouvoir politique fixe des objectifs. Ce n'est pas nous qui les fixons, ce n'est pas nous qui votons la loi. Le Haut Conseil des finances publiques, madame la députée, résulte de l'adoption d'un traité européen qui a été ratifié par le Parlement français. Il est également le fruit d'une loi organique votée, non par la Cour des comptes, mais par l'Assemblée nationale et le Sénat. Nous n'avons de compétence que résultant de la loi ou de la Constitution. Nous partons des objectifs que le Gouvernement fixe dans les lois de programmation. Pour respecter ces engagements, il peut nous apparaître utile, à partir d'un constat, de prendre telle ou telle mesure. Nous le mettons sur la table. L'objectif des 3 %, une fois de plus, n'a pas été fixé par la Cour. Ce n'est pas la Cour qui décide de la maîtrise des dépenses, ce n'est pas la Cour qui vote les volumes de dépenses dans les lois de programmation, repris dans les projets de loi de finances initiale. Notre travail est de constater les différences éventuelles et d'analyser par quelle manière vous pourriez parvenir à respecter les objectifs politiques que vous avez définis.

Lorsque nous déclarons qu'il faut davantage maîtriser la dépense publique, nous partons d'un certain nombre de constats et d'observations. Le niveau des dépenses publiques en France est l'un des plus élevés au monde. Je crois même qu'il occupe la deuxième place, si ce n'est la première compte tenu des dispositions prises qui ne peuvent que nous en rapprocher. Nous ne portons pas d'appréciation ni de jugement de valeur sur ce niveau de dépenses publiques. Nous dressons simplement ce constat-là, en le comparant avec les résultats d'autres pays.

Si le niveau des dépenses publiques est élevé en France, il en est de même des prélèvements obligatoires. Mais la France mène-t-elle des politiques publiques en rapport avec les crédits qui y sont consacrés et que vous votez ? Nous ne formulons que des recommandations, pas des prescriptions. Vous faites ce que vous voulez. Nous recommandons, par exemple, que des évaluations soient systématiquement réalisées. Lorsqu'elles sont faites, elles révèlent en général que les résultats ne sont pas à la hauteur des crédits engagés. On pourrait citer beaucoup de domaines auxquels la France consacre beaucoup plus d'argent que d'autres pays, pour des résultats moindres : l'éducation nationale – nous aurons peut-être l'occasion d'y revenir au travers notamment des futurs rapports que nous rendrons –, le logement, le marché du travail. Nous mettons tous ces éléments sur la table et nous souhaitons que vous puissiez vous en saisir. Vous le faites ou non, c'est vous qui êtes souverains. C'est vous qui décidez des suites qui peuvent être apportées à nos recommandations.

Lorsque la Cour se contentait de formuler des constats et des observations, les parlementaires nous expliquaient que c'était bien mais que ce serait mieux de les accompagner d'un certain nombre de préconisations. C'est ce que nous faisons, répondant ainsi à vos souhaits. Vous avez d'ailleurs pris un certain nombre de dispositions législatives pour que la Cour des comptes et l'ensemble des juridictions financières puissent formuler des recommandations.

Je suis un ancien parlementaire, vous le savez : j'ai été député pendant vingt-deux ans. Je me suis battu durant toutes ces années pour que les pouvoirs du Parlement, en particulier ses pouvoirs de contrôle, soient renforcés. Avoir changé de fonction ne m'a pas fait changer d'avis, mais je pense que la Cour des comptes et l'ensemble des juridictions financières peuvent vous apporter beaucoup pour que vous puissiez prendre les meilleurs décisions possibles, éclairées par un certain nombre de constats et d'observations que nous pouvons faire et qui sont d'une totale neutralité et d'une totale impartialité, je puis vous le garantir. Non seulement nous sommes indépendants mais nos procédures mêmes garantissent aussi cette neutralité et cette impartialité. Tout ce que nous écrivons a fait l'objet d'échanges contradictoires avec les contrôlés et de délibérations collégiales successives, tout au long du processus de présentation, d'instruction et de délibération des rapports. Aucune arrière-pensée ne se cache derrière les rapports de la Cour. Nous ne souhaitons pas vous gêner, mais seulement appeler votre attention sur un certain nombre d'éléments.

S'agissant du marché du travail, certains titres de journaux ont pu, d'une certain façon, caricaturer nos travaux, et je le regrette. Il a ainsi été annoncé que la Cour s'attaquait à l'indemnisation des chômeurs, ce qui n'a aucun sens ! J'invite chacun d'entre vous à lire nos rapports et non pas seulement à les commenter à partir d'un titre, même si c'est celui d'un journal qui fait autorité sur un certain nombre de sujets.

Qu'avons-nous écrit, d'ailleurs, dans ce rapport, monsieur Dolez ? Tout d'abord, nous étions dans notre rôle puisqu'il s'agissait d'une politique publique et que 50 milliards d'euros étaient tout de même en jeu. Ce sont des sommes considérables. Nous avons voulu savoir, là encore, si vous « en aviez » pour l'argent que vous y consacrez. Or, nous avons mis en évidence que les différents instruments dont dispose l'État pour améliorer le fonctionnement du marché du travail ne sont pas satisfaisants. Vous définissez en effet un certain nombre d'objectifs, mais une grande partie des crédits que vous consacrez au marché du travail ne bénéficient pas à ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons pu constater, dans ce rapport que le marché du travail était de plus en plus dual, que la formation professionnelle, qui représente également des sommes considérables, est davantage tournée vers les salariés qualifiés, en particulier ceux des grandes entreprises. Moins un salarié est qualifié, moins il bénéficie des crédits de la formation professionnelle. Est-ce normal ? Est-ce légitime ? C'est un constat que nous dressons et une question que nous livrons à votre sagacité.

La France consacre beaucoup d'argent à l'indemnisation du chômage, mais de moins en moins de chômeurs sont indemnisés. Aujourd'hui, moins de la moitié des chômeurs sont indemnisés dans le cadre de l'UNEDIC et la proportion diminue depuis quelques années. De surcroît, 600 000 chômeurs ne sont pas indemnisés parce qu'ils ne sont concernés ni par l'UNEDIC ni par les mécanismes de solidarité. Nous avons essayé de mettre le doigt sur ces difficultés. Nous avons aussi observé que le chômage partiel a été beaucoup plus utilisé dans un certain nombre d'autres pays qu'en France. Si je prends l'année 2009, le dispositif a bénéficié à 250 000 personnes en France, tandis qu'en Allemagne 1,5 million de salariés en ont profité. Ce ne sont pas des chômeurs qui sont concernés, mais bien des salariés puisque le dispositif tend justement à ce que le salarié reste dans l'entreprise. Nous comprenons ainsi pourquoi, alors même que le recul de l'activité a été bien plus important en Allemagne qu'en France, le niveau de chômage ne s'y est pas aggravé comme cela a été le cas en France.

Naturellement, en période de crise, le déficit de l'assurance chômage peut augmenter. Faites au moins crédit, monsieur le député, à la Cour des comptes de le comprendre. Nous ne sommes pas en dehors de la réalité, nous essayons au contraire, au cours de nos travaux, d'entendre tout le monde, y compris les organisations syndicales.

Malheureusement, même lorsque l'économie se porte mieux, le déficit ne se réduit pas obligatoirement. Il faudrait également, sur la durée, mettre en place un certain nombre de mécanismes pour mieux équilibrer l'UNEDIC.

Nous vous proposons, là aussi, des pistes qui ne concernent pas seulement la réduction des indemnités de chômage. Nous n'avons pas proposé de les réduire, nous avons dit qu'il fallait peut-être, au-delà d'un certain plafond, introduire de la dégressivité.

Nous avons dit aussi que le régime des intermittents du spectacle mériterait d'être revisité. Nous ne disons pas qu'il faille le supprimer, car il a sa pertinence, mais peut-être en corriger les abus.

Enfin, nous avons dit qu'il fallait vraisemblablement fixer des taux de cotisation plus élevés pour les contrats précaires.

Voilà un ensemble de préconisations qui peuvent être utiles à la représentation nationale. On peut effectivement décider de ne plus faire de préconisations ou de cacher certains constats. Mais vous avez besoin que les décisions que vous prenez soient éclairés, et nos rapports peuvent y contribuer.

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