Madame la présidente, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, se pencher sur la question de la surpopulation carcérale nous a assez rapidement conduits, au sein de la mission que j'ai co-présidée, à considérer que l'on ne pouvait pas en même temps ne pas se pencher sur celle de la politique pénale.
Cette dernière doit selon nous se donner trois ambitions. La première est une ambition symbolique : la décision pénale doit rassembler l'ensemble de la société autour de la valeur attaquée. C'est cette fonction de cicatrisation qu'elle doit avoir. Deuxième ambition de la politique pénale : être efficace, opérationnelle, et répondre non pas à la délinquance mais aux délinquances, en essayant de faire en sorte qu'il n'y ait pas de récidive. Troisième ambition : être juste et restaurer ce qui peut l'être, c'est-à-dire se tourner vers la victime, lui donner son statut de victime et réparer ce qui peut l'être.
En résumé, une bonne politique pénale, c'est à la fois de l'autorité, de l'efficacité et de l'équité.
Nous sortons d'une période difficile où l'accent a été mis uniquement sur l'autorité, ce qui a eu un effet sur les décisions pénales. Nous sommes ainsi passés de 48 296 détenus au 1er janvier 2002 à 64 787 détenus au 1er janvier 2012, soit une augmentation de 34 %, quand la population française n'augmentait que de 7 %, le ratio de détentions passant ainsi de 75 à 102 pour 100 000 habitants.
Dans le même temps, les travaux de Mme Kensey et de M. Benaouda montrent que le taux de récidive, sur une période de cinq ans, pour une cohorte examinée à partir de sa sortie de prison en 2002, est de l'ordre de 59 %, taux qui comprend 46 % de condamnations à une peine d'emprisonnement ferme.
Pour sortir de cette situation, quelle politique pénale mettre en oeuvre ? Je l'ai dit, une bonne politique pénale c'est d'abord de l'autorité, qui plus est démocratique. Notre mission propose à cet effet trois pistes.
La première consisterait à avoir chaque année un débat de politique pénale devant le Parlement, au-delà des faits divers qui peuvent à juste titre nous sidérer devant l'horreur du crime.
La deuxième piste serait d'associer les citoyens au service public de la justice. Tout citoyen qui comparaît en justice peut en effet se demander pourquoi il a été convoqué à quatorze heures alors qu'il n'est passé qu'à vingt heures. Cette question n'est pas anodine car elle pose celle de la qualité d'un service public, à savoir la qualité non pas seulement de la décision, mais aussi de l'efficacité de l'intervention et de l'accueil.
La troisième piste pour la restauration d'une autorité démocratique serait de permettre à des usagers très particuliers, les usagers du service public pénitentiaire, de donner leur avis sur leurs conditions de détention, possibilité qui est prévue par l'article 50 des règles pénitentiaires européennes et qu'il serait nécessaire d'appliquer en France. Il ne s'agit pas pour autant de permettre la constitution d'un syndicat de détenus ni le règne du caïdat, mais simplement de faire participer à la mise en oeuvre d'une décision ceux auxquels elle s'applique. Ce serait d'une grande sagesse.
Le deuxième temps de la lutte contre la surpopulation carcérale, porte sur l'efficacité.
Il convient d'abord de donner du temps aux juridictions de façon qu'elles puissent individualiser les peines au moment où elles les prononcent, et qu'elles ne renvoient plus cette individualisation au juge d'application des peines. C'est pourquoi nous avons réfléchi à la possibilité de sortir certains contentieux : le contentieux routier ; le contentieux de la première conduite sous l'empire de l'alcool – environ 80 000 dossiers par an ; le contentieux de l'usage des stupéfiants – quelque 40 000 dossiers par an. Tous ces délits pourraient être contraventionnalisés, sachant qu'il faut rester très prudent : il ne convient ni d'abandonner la lutte contre les trafics de stupéfiants ni de lever le pied – encore que l'expression ne soit pas très bienvenue en l'occurrence ! – en matière de conduite sous l'empire de l'alcool ou de délits routiers.
Deuxième axe de la réflexion sur l'efficacité : la peine juste, juste à temps. Il s'agit de se libérer des mécanismes qui enferment la décision du juge. Le premier de ces mécanismes, ce sont les peines plancher, qui obligent le juge à motiver toute peine inférieure au seuil. Alors que les tribunaux, compte tenu du volume de contentieux qu'ils traitent, motivent – malheureusement – de moins en moins, ils sont ainsi souvent conduits à appliquer un minimum, ce qu'ils n'auraient peut-être pas fait s'ils avaient été dispensés de cette obligation de motivation. C'est d'ailleurs un sujet qui devrait nous conduire également à une réflexion sur le caractère automatique de la révocation du sursis simple.
De même, il faut réfléchir à des mesures de contrôle considérées comme peine. Selon les travaux de Mme Kensey et de M. Benaouda, la libération conditionnelle n'aboutit à des récidives que dans 37 % des cas, alors que récidivent 63 % de ceux qui quittent la prison en sortie sèche. Il faut donc admettre qu'une partie de la peine doit s'acquitter à l'extérieur, et nous proposons la possibilité d'une libération conditionnelle de principe aux deux tiers de la peine pour ceux qui purgent moins de cinq ans d'emprisonnement, sauf avis contraire du juge d'application des peines.
Enfin, nous préconisons un mécanisme de prévention de la surpopulation selon lequel la personne qui entre dans une prison en surnombre entraîne la sortie du détenu dont le reliquat de peine est le plus court. J'insiste sur ce mécanisme parce que l'examen des situations nous a montré qu'il existait une certaine pesanteur : la prison a tendance à s'imposer car elle est la seule à fonctionner vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Des juges d'application des peines comme des juges des libertés nous ont en effet dit que le choix du bracelet restait difficile faute d'un service ouvert tout le temps. Cette pesanteur ne pourra être combattue que par un mécanisme du type de celui que nous proposons.
Enfin, il faut réintroduire la réflexion sur la contrainte pénale communautaire. Le chercheur Pierre-Victor Tournier a fait circuler un manifeste, signé par un certain nombre de juristes, pour que la prison ne soit plus la peine de référence. C'est difficile, cela nécessite de modifier l'échelle des peines, mais c'est une piste intéressante.
Troisième et dernier temps de la lutte contre la surpopulation carcérale : la question de l'équité. Des progrès importants ont été réalisés pour donner un statut à la victime et l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité l'aide au recouvrement des dommages et intérêts par le fonds de garantie. Vous avez, madame la garde des sceaux, l'intention de généraliser les bureaux d'aide aux victimes. Il faudrait progresser encore vers une meilleure information sur l'avancement des plaintes ainsi que vers la mise en place par les barreaux de permanences pour les victimes.
Tel est l'essentiel du contenu du rapport, résultat d'un effort pour essayer de penser une politique pénale différente. C'est un programme immense. Nous sortons d'une période que nous jugeons avoir été relativement néfaste pour la justice, mais il faut rendre à César ce qui est à César : nous sortons aussi de trente années de sous-dotation de l'administration de la justice et peut-être même de sous-administration de la justice.