Je commencerai par rappeler quelques éléments historiques récents. Comme l'a dit notre collègue Marc Dolez, voilà maintenant treize ans, dans le courant de l'année 2000, le Sénat, sous l'impulsion de nos collègues Jean-Jacques Hyest et Guy-Pierre Cabanel, puis l'Assemblée nationale, sous la direction de notre collègue Jacques Floch, ont remis un rapport sur l'état des prisons. Ces deux rapports étaient tout à fait convergents – ce qui, n'étant pas si fréquent, mérite d'être signalé – et pointaient exactement les mêmes types de difficultés.
On aurait pu croire que cette belle unanimité, rare dans la vie politique, conduirait à des décisions rapides en la matière sur tous les plans : rénovation des établissements, valorisation des personnels, aide au système de réinsertion, insertion des victimes dans le système pénitentiaire – même si c'est très compliqué parce qu'on ne sait pas très bien comment s'y prendre. C'était sans compter sans doute avec des arbitrages politiques pris en très haut lieu à cette époque de cohabitation : en dépit de la volonté de votre collègue Marylise Lebranchu, à l'époque garde des sceaux, assez allante pour traiter de cette affaire, on a considéré qu'à deux ans d'une élection présidentielle qui promettait d'être serrée, le sujet n'était pas populaire et qu'il serait malvenu d'avancer dans la direction préconisée par les deux rapports. Nous avons collectivement raté une occasion d'améliorer significativement les conditions des détenus et donc de résoudre une partie des problèmes que, treize ans plus tard, nous sommes amenés à examiner ce soir.
Cet échec est collectif. M. le rapporteur disait tout à l'heure depuis cette tribune que la question dont nous traitions avait sans doute trois dizaines d'années d'âge ; je pense qu'elle est probablement un peu plus ancienne, même si la population carcérale était il y a quarante ou cinquante ans beaucoup moins nombreuse qu'aujourd'hui.
Ce problème est difficile à porter devant l'opinion publique parce que personne ne se rend réellement compte que plus de 98 % des détenus ont vocation à sortir un jour de prison et qu'à l'évidence leur sortie doit être préparée. Personne ne se rend compte qu'une sortie mal préparée a toutes les chances de ramener en prison celui qui en sort, signant ainsi l'échec non seulement du circuit pénitentiaire, mais aussi de la société tout entière.
Reste que tout le monde a encore en tête cette vieille rémanence de la prison comme un lieu d'exil, sinon de bannissement, tel qu'on l'entendait dans le monde antique, c'est-à-dire une forme de peine de mort déguisée ; du moins était-ce la tradition chez les Grecs. À la limite, moins on voit les prisonniers, mieux on se porte. Ce à quoi vient certainement s'ajouter une forme de volonté expiatoire projetée par la société sur les détenus : il faut bien réparer ses fautes, si possible dans la souffrance… Ineptie certes, mais assez répandue. Autant d'éléments qui rendent difficile le fait de porter un tel sujet devant l'opinion publique : la fameuse expression de « prisons trois étoiles », que l'on entend encore trop souvent et qui ne perdure que dans l'esprit de ceux qui n'ont jamais visité d'établissement pénitentiaire, en est probablement un signe ou une preuve.