Près de quinze ans après la publication de l'ouvrage du docteur Vasseur sur les conditions de détention à la prison de la Santé, les choses n'ont pas beaucoup changé. La situation matérielle n'a pas suffisamment évolué dans nombre d'établissements – quand bien même certains ont fait l'objet de rénovations. Beaucoup reste à faire pour le traitement normal des droits des prisonniers et de leur dignité. Beaucoup reste à faire sur le statut et la reconnaissance des personnels pénitentiaires, pour lesquels votre rapport ne contient aucune proposition, monsieur le rapporteur ; c'est d'ailleurs l'objet d'une de mes questions. Beaucoup reste à faire quant aux moyens qui sont dévolus à l'insertion des détenus, en particulier à l'aide des détenus sortis qui, à leur tour, s'occupent de ceux qui quittent le système pénitentiaire. Sur ce point précis, nous sommes clairement démunis, à tout le moins en retard.
Au fond, ce qui apparaît comme un problème d'investissement, un problème de politique pénale ou une question statutaire pour les fonctionnaires de la pénitentiaire est à mes yeux avant tout un problème culturel. Comme pour le handicap dans une large mesure, comme pour les personnes âgées, les malades en fin de vie ou un certain nombre d'autres personnes isolées ou faibles de notre corps social, ce qui est en cause, c'est notre capacité à changer collectivement la manière dont nous regardons les détenus.
Madame la garde des sceaux, tel est le contexte dans lequel ce rapport intervient. Certaines des mesures proposées par ses auteurs mériteraient véritablement d'être appliquées. Je pense notamment, au premier bloc de la liste, c'est-à-dire aux trois premières propositions, qui portent précisément sur l'évolution du regard de la société sur la justice pénale, ainsi qu'à la proposition n° 30 relative à des campagnes d'information sur les peines alternatives, qui répond exactement à la préoccupation que je viens d'exprimer.
La majorité des propositions du cinquième bloc sur la généralisation de l'aménagement dans le parcours d'exécution des peines doivent évidemment être soutenues et, moyennant quelques ajustements, voir le jour. Le sixième bloc de propositions, qui concerne le suivi des personnes placées sous main de justice, doit également faire l'objet, sous réserve qu'on effectue le travail nécessaire, d'un consensus parmi nous. Enfin, je suis ravi de la proposition n° 40, qui consiste à fermer des établissements vétustes pour construire des établissements neufs, même si – je vous le dis en souriant, monsieur le rapporteur – elle m'a quelque peu interpellé : encore faudrait-il savoir combien de places seraient concernées et selon quel calendrier, mais je suppose que cela sera précisé ultérieurement…
Il est souhaitable que ces différentes mesures s'appliquent et nous pouvons tous en être d'accord.
Néanmoins, j'ai trois interrogations à ce stade sur vos propositions.
Premièrement, je ne comprends pas pourquoi votre proposition n° 12 sur le durcissement des conditions de demande d'audience à huis clos figure dans le bloc de mesures visant à faire de l'emprisonnement le dernier recours en matière correctionnelle.
Deuxièmement, je ne pense pas que votre proposition n° 33, sur l'obligation faite aux collectivités territoriales d'accueillir des postes dédiés aux travaux d'intérêt général, soit totalement conforme à la Constitution : il y a, sur ce point, un problème technique.
Troisièmement, comme je vous l'ai déjà dit tout à l'heure, je ne trouve pas de mention de la revalorisation des personnels de l'administration de la pénitentiaire, ce qui me gêne s'agissant d'un rapport sur la surpopulation carcérale.
Au-delà de ces interrogations, il y a des problèmes de principe, dont certains ont été soulevés par les orateurs précédents. Je comprends mal la méthode qui revient à considérer que le seul moyen de traiter la surpopulation carcérale est de diminuer le « flux entrant » – pardon de parler trivialement, mais cette expression a le mérite de la clarté.
Je comprends mal que l'on puisse avoir comme seul principe d'action opérationnel celui qui donne son titre à votre quatrième bloc de propositions : « Ajuster le parc pénitentiaire à l'évolution des politiques pénales ». Évidemment, on peut interpréter ce principe de la façon suivante : en fonction des évolutions de la politique pénale et de la manière dont elles se traduisent dans les procédures qui conduisent des criminels en prison, on adapte le parc. Cela dit, tout le monde peut s'accorder sur le fait que la brutalité et la violence prennent une part de plus en plus importante dans notre société. Qu'on le veuille ou non, et quelles qu'en soient les causes – dont nous ne débattrons pas ce soir –, ce phénomène nous oblige à nous poser la question du fonctionnement de la justice et de la nécessité de la réparation. Qui doit aller en prison et pour quelle raison ? Pour les victimes aussi, il faut que les coupables soient sanctionnés. Dans une société où la violence s'accroît de toutes parts, il convient de se demander si un des remèdes n'est pas un accroissement du nombre de places disponibles dans le parc pénitentiaire. En tout cas, pour moi comme pour mes collègues, c'est une évidence.
On constate également une volonté d'affaiblir les sanctions. Vos propositions nos 4, 6 et 7, mentionnées tout à l'heure – je n'y reviens pas –, visent à dépénaliser un certain nombre d'actes, ce qui n'est pas sans poser problème. En effet, elles consistent à limiter les conséquences d'un certain nombre de fautes objectivement graves, non seulement pour ceux qui les commettent, mais également pour l'ensemble du corps social. Atténuer leur gravité aura, par définition, un effet sur la surpopulation carcérale, mais une telle décision ne me paraît pas juste, ni pour ceux-là mêmes qui ont commis ces actes ni pour leurs victimes.
Enfin, puisque Mme la garde des sceaux nous a elle-même invités dans son discours à élargir notre regard à l'ensemble de la politique de sécurité, je vous dirai quelques mots d'un sujet sur lequel je me suis beaucoup interrogé et qui fait partie – et ce n'est pas de votre fait, madame la garde des sceaux, ni du vôtre, monsieur le rapporteur – de notre débat de ce soir : je veux parler de la fameuse proposition de loi d'amnistie votée par le Sénat il y a quelques jours. Je ne prétends pas d'ailleurs que le groupe socialiste en soit responsable – en tout cas celui de l'Assemblée nationale.