Madame la présidente, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, qu'il me soit permis, dans le délai contraint qui m'est imparti, de concentrer mon propos sur un des points majeurs du rapport, la surpopulation carcérale, plutôt que de survoler le flot de propositions qu'il recèle.
Le problème de la surpopulation carcérale n'est pas nouveau. Il y a plus de quarante ans, un chef de cour, lors d'une audience solennelle de rentrée, s'exprimait en ces termes : « la justice doit s'efforcer d'apporter une réponse rapide, une peine juste et adaptée ; la peine d'emprisonnement doit être rapidement exécutée et la sortie du détenu doit être préparée ». Il dépeignait là un tableau idéal. Force est de constater que cette déclaration a traversé les décennies sans trouver son légitime prolongement et qu'elle revêt toujours la même acuité.
Les propositions formulées dans ce rapport pour parvenir à la maîtrise de la population carcérale comportent, certes, des éléments intéressants, mais trop de demi-remèdes, qui risquent d'affaiblir l'impact et l'intérêt de la peine d'emprisonnement comme juste sanction.
Ma première remarque porte d'ailleurs sur l'intitulé de la mission, quelque peu inadéquat. Le rapport traite de la surpopulation carcérale, alors même que la population carcérale en France reste assez comparable à celle d'autres pays européens. En revanche, ce qui est indiscutable, c'est le manque de places. On parlera donc plutôt d'une « inadaptation carcérale ».
Le fond du problème réside en réalité dans le manque de moyens financiers et matériels lié à notre système pénal et pénitentiaire. Nos prisons, lieux de rétention, devraient permettre d'ouvrir des perspectives de réinsertion, mais tel n'est pas le cas. En effet, les places manquent et l'organisation de la prison est très critiquable. Il est faux de prétendre qu'il existe des « prisons trois étoiles ». Un président de la République disait en substance il y a quelques décennies que la privation de liberté est une sanction suffisante en elle-même pour qu'elle ne s'entoure pas de vicissitudes supplémentaires. Les dernières révélations illustrent le caractère pour le moins dégradé de nos structures carcérales.
De surcroît, les autorisations d'engagement consacrées à la politique carcérale dans la loi de finances pour 2013 ne sont pas faites pour rassurer, si l'on veut bien considérer qu'elles ont baissé de 38 %. Les crédits de paiement eux aussi subissent une diminution inquiétante.
Les aménagements de la politique pénale ne peuvent à eux seuls être considérés comme une réponse acceptable et suffisante. Inéluctablement, il faudra construire des places de prison nouvelles. La précédente majorité avait décidé de porter notre parc carcéral à 80 000 places, soit 24 000 places supplémentaires à l'horizon 2017, afin de répondre aux besoins, de donner à nos concitoyens confiance dans l'exécution des décisions de justice – confiance qu'ils sont en droit d'exiger – et d'améliorer les conditions de vie des détenus.
Un premier plan de construction de nouveaux établissements vient d'être acté. Cette mesure va dans le bon sens ; néanmoins, elle demeure insuffisante. Il faudra consentir nécessairement à de nouveaux investissements dans les années qui viennent, afin de construire des lieux pénitentiaires adaptés.
Par ailleurs, si je ne suis pas hostile au fait que l'on modifie la politique pénale, ni défavorable par principe à un aménagement des peines qui conduirait aux peines de substitution telles que le port du bracelet électronique, je pense que cette démarche doit être particulièrement ciblée et non systématique.
Au prétexte d'apporter une réponse à la surpopulation carcérale, comme tente de le faire le rapport, tout en s'affranchissant de la construction d'entités carcérales nouvelles, on ne saurait, sous peine d'enregistrer une inflation alarmante et dangereuse de la récidive, banaliser ainsi la peine de privation de liberté. La remplacer par quelques subterfuges à l'aspect prétendument pédagogique enrichirait à terme le terreau de la délinquance et de la criminalité.
Le caractère singulier de la logique de ce rapport m'interpelle quelque peu. Les réponses qu'il apporte laissent à penser, comme le relevait Philippe Houillon, que l'on adapte les peines à l'outil – les prisons, avec leur capacité actuelle –, alors qu'il conviendrait plutôt d'adapter l'outil aux peines. Ainsi, tandis que les peines plancher sont remises en cause, des peines plafond sont imaginées : aux deux tiers de l'exécution de la peine, il serait mis fin automatiquement à la détention, sauf décision contraire du juge. Voilà qui interroge sur l'efficacité de la peine et sur la crédibilité des décisions prononcées. Une telle démarche risque de conduire à un résultat inverse à celui qui est recherché.
Mes chers collègues, si ce rapport procède d'une bonne intention et ouvre des réflexions dignes d'intérêt, les solutions qu'il préconise sont souvent trop éloignées des réalités. Oui, madame la garde des sceaux, construisons ensemble l'oeuvre de justice, mais pas sur les fondations de la tiédeur et de l'approximation !