En 2002 – époque contemporaine –, Lionel Jospin, alors Premier ministre, ne faisait-il pas publiquement cet aveu : « J'ai péché par angélisme ; j'ai cru qu'en faisant reculer le chômage, on lutterait contre la délinquance. »
J'ai également retrouvé un écrit de notre ancien collègue du parti socialiste, Julien Dray, datant de 1999 : « Je dois reconnaître que j'ai également commis cette erreur, en affirmant moi aussi, au début des années 1990 : “La vraie insécurité, c'est le chômage.” »
C'est aussi l'époque du slogan lancé par le Syndicat de la magistrature : « Chassons la prison de la tête des juges », slogan malheureusement toujours en vogue sur les bancs de votre majorité et que les coups de menton du ministre de l'intérieur, auxquels nous avons encore assisté tout à l'heure, lors des questions d'actualité, ne remettront pas en cause. D'ailleurs, quelle que soit leur bonne volonté pour faire reculer la criminalité, on ne peut pas tout demander aux forces de l'ordre. Il est nécessaire en effet que les délinquants, une fois identifiés et interpellés, soient poursuivis, condamnés, et que leur peine soit effectivement exécutée : c'est aujourd'hui loin d'être une réalité.
La place Beauvau ne fera jamais reculer l'insécurité si, place Vendôme, on continue à faire preuve de mansuétude à l'égard du criminel. Je note d'ailleurs qu'entre vous, madame la garde des sceaux, et votre collègue de l'intérieur règne plutôt la cacophonie. Tandis que vous vous prononcez pour l'abolition des courtes peines de prison, Manuel Valls s'y déclare favorable : « La prison et l'enfermement sont utiles aussi, déclare-t-il, pour les petites peines. » On serait tenté de vous demander s'il y a encore une ligne gouvernementale en matière de politique pénale…
Regardez, s'il vous plaît, la réalité en face : ce sont les têtes de nos concitoyens qui sont aujourd'hui brouillées sur la finalité d'une justice pénale, qui prône une vision toujours angélique d'un monde libéré de tout crime. Ne cessez-vous pas en effet, madame la garde des sceaux, de nous répéter que la prison est l'école du crime et de la récidive ? C'est une contre-vérité !
Je prendrai l'exemple des États-Unis même si, j'en conviens, il ne faut pas importer en France le tout-carcéral américain. Les États-Unis sont devenus, grâce à une volonté politique sans faille, un pays deux fois plus sûr qu'il y a vingt ans. Les homicides, les violences et les vols y ont été divisés par deux depuis 1993.
Que vous le vouliez ou non, le risque de récidive est inversement proportionnel à la longueur de la peine infligée au délinquant. La prison, même courte, n'encourage pas à la délinquance ; au contraire elle en dissuade. Elle possède un aspect curatif et préventif pour le délinquant occasionnel, à la différence du délinquant d'habitude, et tous les criminologues s'accordent à considérer que la prison revêt, dans un état démocratique, une fonction sociale décisive.
Reste la question qui nous intéresse aujourd'hui de la surpopulation carcérale. Cinquante-sept mille places de prison pour soixante-sept mille détenus, c'est, dites-vous, la conséquence d'un taux d'incarcération exagérément élevé, dû aux politiques pénales ultra-répressives de la précédente majorité. C'est encore une contre-vérité, véhiculée une fois de plus pour les besoins d'une thèse purement idéologique.
Comparons plutôt la situation de notre pays à celle des autres états de l'Union européenne. La moyenne du taux de détention est de 122 pour 100 000 habitants dans l'Union européenne. La France se situe en dessous, avec un taux de 100, derrière par exemple l'Espagne – 130 –, le Royaume-Uni – 150 – ou la Pologne – 210 –, et à quasi-égalité avec l'Italie, la Belgique, le Portugal ou les Pays-Bas.
À cet égard, le contrôleur général des lieux de privation de liberté considère que la France se situe déjà dans la moyenne européenne et qu'il serait difficile de réduire davantage ce taux d'incarcération.
En vérité, si nos prisons sont surpeuplées, ce n'est pas parce que le nombre de détenus est excessif ; c'est parce que le nombre de places de prison est notoirement insuffisant. En abandonnant le programme prévoyant vingt mille places de prison supplémentaires, décidé par la précédente majorité, non seulement vous ne vous attaquez pas à cette surpopulation carcérale, mais vous envoyez du même coup un message d'impunité, en annonçant tout de go l'abrogation des peines plancher, de la surveillance et de la rétention de sûreté, des tribunaux correctionnels pour mineurs récidivistes. Vous allez jusqu'à proposer la dépénalisation de certains délits, la mise en libération conditionnelle automatique aux deux tiers de la peine et la règle du numerus clausus !
Et, sans attendre l'arrivée de vos projets de réforme sur le bureau des assemblées, tout comme Robert Badinter, en 1981, abrogeait implicitement et contre tous les usages, par une simple circulaire, la loi « Sécurité et Liberté », quelque trente ans plus tard, dans une manière de remake, vous vous inspirez des mêmes méthodes et tentez d'infléchir à court terme, par voie de simple circulaire, la politique pénale actuellement en vigueur. Vous demandez ni plus ni moins aux magistrats de ne plus appliquer les peines plancher et de recourir systématiquement aux aménagements de peine comme alternative à l'incarcération !
La gauche serait-elle à nouveau frappée d'amnésie ou de ce mal incurable qu'est l'idéologie permissive et la culture de l'excuse quand, dans une sorte de culpabilisation collective, les beaux esprits expliquent que le crime est le produit, non pas du libre arbitre de l'individu, mais des injustices sociales ? Ce faisant, madame la garde des sceaux, vous vous détournez de Thémis pour revêtir les atours de Pénélope : non seulement vous vous apprêtez à détricoter minutieusement tout le travail de la précédente majorité, qui avait pourtant porté ses fruits, avec une baisse de la délinquance générale de 16 % entre 2002 et 2012, mais, de surcroît, pour éviter les courtes peines d'emprisonnement, censées être plus criminogènes que rédemptrices, vous élargissez la panoplie des sanctions par la création d'une peine dite de « probation », issue de la réflexion de la « conférence de consensus », qui n'a de consensus que le nom, permettez-moi de vous le dire ! Cette conférence, je le rappelle, fut dirigée par la magistrate Nicole Maestracci, tout acquise à la cause et qui, à peine sa mission remplie en bon soldat, se voyait propulsée membre du Conseil constitutionnel sur proposition du Président de la République…
À y regarder d'un peu plus près, cette trouvaille, la peine de probation, n'est qu'un habillage de l'existant : sursis avec mise à l'épreuve, travaux d'intérêt général, et j'en passe. Il s'agit en réalité d'un leurre, sans effet majeur sur la récidive, de la simple poudre aux yeux, en définitive !
Au final, la mission d'information parlementaire dirigée par notre estimable et excellent collègue Dominique Raimbourg, émet soixante-seize préconisations. Certaines font l'objet d'un consensus (« Ah ! » sur les bancs du groupe SRC) – un vrai, cette fois.Je citerai à titre d'exemple le débat annuel de politique générale devant le Parlement, ou bien encore le renforcement du suivi des personnes placées sous surveillance électronique. J'approuve d'autant plus cette préconisation que j'avais moi-même conduit une mission sur ce mode alternatif à l'incarcération : je ne puis donc qu'encourager sa montée en puissance.
En revanche, d'autres propositions doivent être dénoncées avec force. L'une d'elle me paraît particulièrement dangereuse en effet en termes de signal adressé aux délinquants, mais également contraire au principe de l'individualisation des peines : la libération conditionnelle prononcée automatiquement aux deux tiers de la peine. De même, l'instauration de ce numerus clausus, qui n'existe nulle part en Europe : outre qu'il serait contraire au même principe de l'individualisation de la peine, il constituerait une rupture d'égalité des détenus dans l'ensemble de nos prisons françaises.
En conclusion, vous l'aurez compris, notre groupe désapprouve ce rapport parlementaire, comme j'en suis convaincu une large majorité des Français. Madame la garde des sceaux, vous seriez bien inspirée de relire Tocqueville, lorsqu'il écrivait : « Il faut que le détenu ne souffre pas physiquement en prison, mais il faut aussi qu'il s'y trouve assez malheureux des suites de son crime pour que la peur l'empêche à nouveau de violer la loi et arrête d'avancer ceux qui veulent l'imiter. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)