Cette proposition de loi, monsieur le président, concerne en effet directement la vie quotidienne des Français ; elle doit d'ailleurs être considérée avec les amendements que mes auditions m'ont conduit à déposer.
Un sentiment d'impuissance semble s'installer face à la dégradation continue du pouvoir d'achat des Français. Qui d'entre nous n'a pas été interpellé par ses électeurs sur ce sujet ? En général, nous ne sommes pas en mesure de leur apporter des réponses satisfaisantes. Pourtant, cette dégradation n'a rien d'une fatalité : des solutions simples sont possibles, en dépit des contraintes qui pèsent sur nos finances publiques. La présente proposition de loi répond de ce point de vue à une urgence, rendue plus sensible encore par le sentiment croissant d'inquiétude face à l'avenir, par la perte de confiance et par la crainte de la précarité ressentis, selon une étude de Femme actuelle d'octobre 2012, par une mère célibataire sur cinq, pour des raisons qui tiennent principalement à des fins de mois difficiles.
Les chiffres parlent malheureusement d'eux-mêmes. D'après l'Observatoire des inégalités, la moitié des salariés perçoivent moins de 1 700 euros nets par mois, somme qui représente donc le salaire médian. Selon une étude de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), 3,6 millions de salariés des secteurs public et privé – soit près d'un salarié sur six – touchaient en 2011 un salaire inférieur ou égal aux deux tiers du salaire mensuel net médian. Enfin, un sondage réalisé en septembre 2012 montre que 21 % des Français sont en situation de découvert bancaire à la fin de chaque mois, proportion qui atteint même 30 % dans la tranche des personnes âgées de 35 à 49 ans.
Dans le même temps, le logement s'est imposé comme le premier poste de dépense des ménages, devant l'alimentation et les transports. Cette évolution affecte plus particulièrement les plus modestes ainsi que les locataires du parc privé, dont un sur cinq consacre plus de 40 % de ses revenus à son logement. Les locataires, d'ailleurs, ne représentent qu'un peu moins de 40 % de la population française, mais près de 80 % des personnes surendettées ; de fait, la hausse récente des cas de surendettement tient moins à l'accumulation des crédits qu'à des ressources devenues insuffisantes pour faire face aux charges courantes.
D'importantes mesures ont déjà été prises, que j'ai brièvement énumérées dans mon projet de rapport. Le décret du 20 juillet 2012 sur l'encadrement des loyers s'applique dans une quarantaine d'agglomérations où le parc locatif est soumis à de fortes tensions : cette mesure d'urgence vise à stopper la spéculation et les hausses de loyer abusives ; elle s'accompagne de l'expérimentation d'observatoires chargés de déterminer des fourchettes de loyers en fonction des quartiers et des principales caractéristiques du bien considéré. De plus, un plan d'urgence devrait être annoncé jeudi prochain afin de relancer un secteur de la construction très affecté par la diminution des mises en chantier.
En deuxième lieu, le Gouvernement s'est mobilisé en faveur de l'emploi à travers le contrat de génération, les emplois d'avenir, le pacte national pour la compétitivité, la croissance et l'emploi et le projet de loi, en cours d'examen, relatif à la sécurisation de l'emploi.
Enfin, le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires, tel qu'il est issu des travaux de notre assemblée, étend le plafonnement des commissions d'intervention des banques à l'ensemble des ménages. Cette disposition permet de limiter l'accumulation des frais bancaires – facturation des incidents de paiement et des dépassements de découvert – qui fragilisent de nombreux ménages et affectent leur pouvoir d'achat ; le texte que je vous présente s'inscrit dans la même perspective.
Fondé sur un principe simple, la fixation d'une date pour le paiement des salaires et des loyers, il tend à offrir aux millions d'intéressés un gain de trésorerie dans la gestion quotidienne de leur budget, et vise des usages tellement ancrés dans les habitudes que nul ne songe à les remettre en cause. La loi du 19 janvier 1978 a instauré le principe du versement mensuel des salaires – qui, auparavant, s'effectuait souvent à la semaine, à la décade ou à la quinzaine –, mais sans assigner de jour précis : aux termes de ces dispositions figurant aux articles L. 3242-1 et suivants du code du travail, l'employeur a donc pour seule obligation de respecter cette périodicité mensuelle : rien ne l'oblige à verser les salaires à la fin du mois. Pour les salariés qui ne bénéficient pas de cette mensualisation – intermittents ou travailleurs saisonniers, par exemple –, le paiement doit intervenir au moins deux fois par mois, à seize jours d'intervalle au plus. Enfin, la loi autorise les salariés à demander un acompte sur leur salaire, mais peu d'entre eux osent faire usage de cette faculté.
D'autre part, les modalités de ce versement varient selon les catégories de salariés. Dans la fonction publique, qu'elle soit d'État, territoriale ou hospitalière, les traitements sont généralement versés avant la fin du mois. En revanche, les salariés du secteur privé sont plus fréquemment payés au début du mois suivant. Je connais le cas d'entreprises du BTP qui attendent même le 10 pour verser leurs salaires, une fois les feuilles de chantier transmises, ce qui leur permet de décaler d'un mois le paiement de leurs cotisations à l'URSSAF, précisément exigibles le 10 de chaque mois. Certaines entreprises n'hésitent donc pas à jouer avec la trésorerie de leurs salariés.
Le présent texte a pour but de pallier le silence de notre législation sur ces injustices. Le paiement des rémunérations le 15 de chaque mois, prévu par l'article 1er, s'apparente à ce que Pierre Mendès-France appelait une « révolution par la loi » ; cependant, après certaines auditions, j'ai décidé de vous proposer le report de cette date au 25, afin de calquer le régime du secteur privé sur celui du public. Certes, cela suppose un effort de la part des employeurs mais, je le répète, ma proposition de loi s'adresse aux millions de salariés qui connaissent des difficultés de trésorerie.
J'en viens aux modalités d'acquittement des loyers. La location à usage d'habitation principale est soumise à la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs. Les règles fixant le régime du contrat de location prévoient notamment que celui-ci doit être établi par écrit et comprendre des mentions telles que l'identification du bailleur, des informations relatives à l'immeuble loué ou les conditions financières du loyer.
Les modalités de paiement du loyer sont, quant à elles, négociées librement entre les parties et précisées dans le contrat de location. La loi prévoit toutefois que le paiement mensuel est de droit, si le locataire en fait la demande. Dans la réalité, le contrat de bail s'apparente souvent à un contrat d'adhésion car le locataire, trop heureux d'avoir trouvé un logement, n'ose pas discuter de la date de paiement, qui d'ailleurs est souvent fixée dans un contrat de bail préimprimé. Afin de promouvoir une plus grande équité dans ce domaine également, je vous proposerai, à travers l'un de mes amendements, d'inscrire dans la loi que le paiement des loyers doit intervenir « à partir du 10 de chaque mois » plutôt que « le 15 de chaque mois », obligation sans doute trop contraignante. Cet amendement vise à garantir que la perception du salaire précède le paiement du loyer.
La proposition de loi que je vous soumets représenterait donc, pour de très nombreux Français qui consacrent une part notable de leur budget à leur loyer, un gain immédiat de trésorerie particulièrement bienvenu dans la situation actuelle.