Intervention de Hélène Vainqueur-Christophe

Réunion du 19 mars 2013 à 21h00
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHélène Vainqueur-Christophe, rapporteure :

Je voudrais d'abord, monsieur le président, chers collègues, vous remercier de m'accueillir au sein de votre commission, me permettant ainsi de rapporter devant vous cette proposition de loi qui vise à limiter le taux de sucre dans les produits alimentaires commercialisés en outre-mer. Ce texte a pour objectif de mettre fin à une injustice qui frappe les consommateurs ultramarins en interdisant que la teneur en sucres des produits alimentaires soit plus élevée lorsqu'ils sont distribués outre-mer. Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, la commission des affaires sociales a déjà été sensibilisée à la question de la différence des taux de sucre dans les denrées alimentaires sous la précédente législature, à l'occasion de l'examen à l'automne 2011 d'une proposition de loi de Victorin Lurel, dont les dispositions sont reprises dans le texte qui nous est soumis aujourd'hui. La proposition de loi avait alors été adoptée par la Commission. J'espère qu'il en sera de même ce soir.

Cette proposition de loi revêt en effet une importance cruciale en termes de santé publique pour les collectivités d'outre-mer, où l'obésité est un véritable fléau. Les données nationales issues de l'étude ObEpi indiquent que, en 2012, 32,3 % des adultes sont en surpoids dans l'Hexagone, contre près de 40 % chez nous ; alors que 15 % y sont considérés comme obèses, cette pathologie atteint chez nous des taux allant jusqu'à 30 %.

Les statistiques globales, déjà alarmantes, dissimulent donc des écarts géographiques importants entre l'Hexagone et l'outre-mer.

Les données des enquêtes épidémiologiques menées localement, telles que l'enquête PODIUM (Prévalence de l'obésité, de sa diversité et de son image ultra-marine), réalisée par le docteur André Atallah, cardiologue au centre hospitalier de Basse-Terre, ainsi que celles issues du Programme national nutrition santé, le PNNS, confirment ces écarts. Elles font apparaître un taux d'obésité de 15 à 20 % au sein de la population adulte de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Martinique. Ce taux est en outre significativement plus élevé pour les femmes puisqu'il se situe chez elles entre 25 et 30 %. Chez les enfants, il se situe entre 5 % et 8 %, soit plus du double de la moyenne nationale ! En effet, alors que le taux d'obésité chez les enfants se stabilise depuis 2000 en France hexagonale à 3,5 %, ce n'est pas le cas en outre-mer.

Il faut souligner que de graves pathologies sont associées à l'obésité, comme le diabète ou l'hypertension artérielle. Selon l'étude ObEpi, le risque d'être traité pour hypertension artérielle est ainsi multiplié par 2,3 chez les personnes en surpoids et par 3,6 chez les personnes obèses. En Guadeloupe, l'hypertension artérielle touche près de 33 % des hommes et 37 % des femmes. Plus globalement, l'outre-mer présente une surmortalité par maladies vasculaires cérébrales ou par diabète, par rapport à la France hexagonale.

Comme le soulignait la Commission pour la prévention et la prise en charge de l'obésité dans son rapport de 2009, la situation dans les collectivités d'outre-mer est donc « une source de préoccupation majeure ». Ce constat recoupe celui du professeur Basdevant, président du plan Obésité, que nous avons reçu la semaine dernière, et qui plaide en faveur d'un engagement politique fort sur cette question.

Certes, l'État n'est pas resté inactif face à cette situation sanitaire, puisqu'il a pris, dans le cadre des déclinaisons outre-mer du Plan national nutrition santé et du Plan Obésité, des mesures de prévention et d'éducation à la santé qui ont été relayées par les collectivités territoriales. Celles-ci se sont impliquées, par exemple, dans le financement de parcours de santé ou dans la mise en oeuvre d'actions de sensibilisation dans les écoles.

Ces actions sont nécessaires, mais ne sont pas suffisantes : outre qu'elles sont longues à porter leurs fruits, elles sont incapables d'améliorer la qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire. Or il ne faut pas sous-estimer la responsabilité des industriels de l'agroalimentaire dans la progression de ce fléau qu'est l'obésité. Nous n'ignorons certes pas que le développement de l'obésité est multifactoriel, mais, de l'avis même des scientifiques et des médecins que nous avons entendus, il est aujourd'hui indispensable de concentrer les efforts de lutte contre l'obésité sur la consommation excessive de sucre. Dès 2004, l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l'AFSSA, indiquait que « les effets délétères des glucides ont pu être établis avec certitude vis-à-vis du développement du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents, dans les pays industrialisés. D'après des études menées en France, en Grande-Bretagne et aux États-Unis, une consommation excessive de glucides, et en particulier de glucides simples ajoutés, notamment sous forme de boissons (jus de fruits, sodas, etc.), serait responsable du développement du surpoids et de l'obésité chez les enfants et les adolescents. » Des études plus récentes vont dans le même sens.

Le président du Plan national nutrition santé, le professeur Serge Hercberg, considère que l'on dispose désormais de suffisamment d'éléments faisant consensus sur le plan scientifique pour recommander la diminution des taux de sucre dans les denrées alimentaires et qu'il convient désormais d'envisager une régulation publique.

Cela est d'autant plus vrai pour les denrées alimentaires distribuées outre-mer que l'on sait que leur teneur en sucres est très élevée, bien supérieure à celle des produits commercialisés dans l'Hexagone et ce, y compris lorsqu'il s'agit de produits similaires de même marque, comme l'a prouvé l'enquête publiée en décembre 2011 par le Pôle agroalimentaire régional de Martinique et portant sur deux types de produits : les boissons sans alcool et les produits laitiers. Les résultats sont assez édifiants et devraient être bientôt complétés par une enquête de beaucoup plus grande ampleur, actuellement réalisée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Les industriels que nous avons auditionnés ne contestent nullement la réalité de ces écarts, qui peuvent atteindre voire dépasser 50 % pour certains sodas ou certains yaourts aux fruits.

Tant du point de vue de la santé publique que de l'égalité de traitement des consommateurs, il n'est pas acceptable de tolérer de tels écarts. Quant à l'argument de l'adaptation de l'offre au « goût local », il nous paraît d'autant moins pertinent que les industriels eux-mêmes entretiennent savamment l'appétence pour le sucre du consommateur ultramarin, auquel n'est proposée aucune offre alternative ! En tout état de cause, aucune étude scientifique n'a démontré l'existence chez les ultramarins d'une plus forte appétence pour le goût sucré.

On constate toutefois que la proposition de loi présentée en 2011 par Victorin Lurel a conduit certains industriels à entreprendre des démarches visant à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs produits, en envisageant la signature de chartes d'engagement qui prévoient notamment une réduction de leur teneur en sucres. Une seule charte a cependant été officiellement signée à l'heure actuelle. C'est pourquoi il nous a paru nécessaire de passer par la loi, afin de faire de la lutte contre l'obésité en outre-mer un véritable enjeu de santé publique et de proposer des solutions concrètes aux problèmes spécifiques des collectivités ultramarines. Ce texte, dont le vote fait partie des engagements de campagne de François Hollande, est soutenu par l'ensemble du groupe socialiste, et j'espère qu'il rassemblera au-delà des clivages partisans.

La lutte contre le fléau de l'obésité, et en particulier l'obésité de l'enfant, implique en effet de mettre en place dans les meilleurs délais un dispositif juridique volontariste et réellement contraignant pour l'industrie agroalimentaire, de façon à protéger les consommateurs contre certaines pratiques industrielles aussi dangereuses que dénuées de justification.

L'article 1er de la proposition de loi vise donc à interdire aux industriels de l'agroalimentaire de distribuer dans les régions d'outre-mer des produits alimentaires dont la concentration en sucres est supérieure à celle des produits similaires commercialisés dans l'Hexagone. Quant à son article 2, il fixe une teneur maximale en sucres pour les produits distribués exclusivement outre-mer, c'est-à-dire dont on ne trouve pas d'équivalents sur le marché métropolitain, et qui contiennent des taux de sucre très élevés. Je vous proposerai, dans le respect de l'esprit du texte, plusieurs modifications de ce dispositif.

Il m'a d'abord paru nécessaire de rassembler les dispositions des articles 1er et 2 au sein de l'article 1er, afin qu'elles figurent toutes dans le code de la santé publique, et de les compléter par un troisième article codifié relatif aux modalités de contrôle de l'application de la loi par les agents de la DGCCRF. Si l'amendement est adopté, ces dispositions deviendront les articles L. 3232-5 à L. 3232-7 du code de la santé publique.

Par voie de conséquence, l'article 2, dont les dispositions auront été transférées à l'article 1er, sera consacré à l'entrée en vigueur du texte. Nous souhaitons, avec Monique Orphé, laisser aux professionnels un délai de six mois pour s'adapter à la nouvelle donne.

Je proposerai par ailleurs de préciser les dispositions destinées à figurer à l'article 1er. En premier lieu, à la notion de « teneur en sucres » – le pluriel signifiant que ce n'est pas un sucre particulier qui est visé, mais l'ensemble des sucres – je préfère la notion de « teneur en sucres ajoutés » afin de ne pas pénaliser les fabricants de produits laitiers outre-mer. En effet, en raison de la faible production locale de lait frais, les industriels élaborent leurs produits à partir de poudre de lait, dont la teneur en lactose – qui est un sucre – est supérieure à celle du lait frais.

Ensuite, au lieu de renvoyer à un arrêté la détermination d'une teneur maximale en sucres ajoutés pour les produits distribués outre-mer n'ayant pas d'équivalents hexagonaux, je proposerai que la loi elle-même prévoie que cette teneur ne puisse pas être supérieure à la teneur en sucres la plus élevée des produits de même famille commercialisés en métropole.

Je vous proposerai enfin, au cas où les taux de sucre dans les produits distribués dans l'Hexagone diminueraient, de laisser un délai suffisant aux industriels pour écouler leurs stocks avant de se mettre en conformité avec ces nouvelles valeurs.

Au-delà de ces quelques modifications au dispositif initial, je voudrais également soumettre à la Commission deux amendements visant à parfaire le contenu de la proposition de loi sur deux sujets connexes, mais néanmoins essentiels.

Le premier, cosigné par de nombreux députés ultramarins, vise à interdire la pratique de double étiquetage des dates limites de consommation (DLC) de certains produits périssables comme les yaourts. Il s'avère en effet qu'aujourd'hui, un produit peut avoir une date limite de consommation plus longue qu'un produit identique de même marque lorsqu'il est destiné à l'outre-mer, cet écart pouvant atteindre vingt-cinq jours ! Là encore, l'objectif est de lutter contre une inégalité de traitement entre les consommateurs.

Le second amendement, également signé par plusieurs collègues, a trait à la fourniture des marchés publics de restauration : il vise à promouvoir les denrées issues des circuits courts de distribution afin de favoriser l'approvisionnement des sites de restauration collective en produits frais et de saison. Cette orientation a été réaffirmée par le législateur à plusieurs reprises, par exemple en 2009 dans le cadre de la loi Grenelle 1 ou encore dans la loi de modernisation de l'agriculture de 2010, mais ne s'est jamais traduite par des dispositions spécifiques à destination de l'outre-mer. Or l'éloignement de nos territoires, l'étroitesse de nos marchés locaux et les liens commerciaux prédominants avec la métropole justifient la mise en place d'incitations spécifiques en faveur du développement agricole. La proposition que je vous soumets vise ainsi à rendre obligatoire la prise en compte par les collectivités du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs en produits de l'agriculture dans l'attribution des marchés, qui n'est aujourd'hui que facultative. L'objectif est à la fois de renforcer les filières agricoles et d'oeuvrer en faveur d'une meilleure qualité nutritionnelle de l'offre alimentaire.

Nous vous proposerons dans un dernier amendement de modifier l'intitulé de la proposition de loi, afin que celui-ci soit plus en harmonie avec les dispositions du texte.

Vous l'aurez compris, le sujet est vaste et il y a beaucoup à faire. Cette proposition de loi doit être la première pierre d'un édifice beaucoup plus important. Il ne suffira en effet pas de réduire les apports en sucres ajoutés dans l'alimentation de la population : ce qu'il faut viser, c'est une amélioration globale de l'offre alimentaire, tant de sa composition nutritionnelle que de l'accès à cette offre à un coût abordable. La construction de cet édifice supposera aussi un approfondissement des actions de prévention, notamment en direction des plus jeunes, et de promotion de l'activité physique. Elle requerra la mobilisation de tous, aussi bien l'État que les collectivités territoriales, le secteur associatif ou les professionnels de l'alimentation.

Cette proposition de loi n'est qu'une pierre, mais cette pierre est indispensable à la construction de l'édifice, et c'est pourquoi j'espère que vous lui apporterez tous votre soutien.

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