Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames et messieurs les députés, le débat qui nous réunit aujourd'hui devant la représentation nationale, à la demande du groupe RRDP, présente une forte portée symbolique, tant la France est le pays de la gastronomie.
Besoin vital pour les êtres vivants, se nourrir est devenu au cours de l'histoire un acte symbolique, qui a structuré l'humanité. L'agriculture marque ainsi le commencement de la civilisation. En maîtrisant progressivement la nature, nous avons pu développer nos cultures et faire de l'alimentation une culture, voire un art : l'art culinaire.
Progressivement, en gagnant en productivité grâce aux évolutions techniques, nous avons abouti à un système industriel complexe et international. Cette évolution a exigé la mise en place de normes communes pour garantir d'abord la sécurité sanitaire.
Mais le scandale de la « vache folle » a fait basculer le modèle et, depuis, l'information du consommateur est devenue une préoccupation forte pour restaurer la confiance de nos concitoyens. C'est tout l'enjeu de la traçabilité.
La traçabilité au sens étroit et technique permet de retrouver l'historique et l'utilisation ou la localisation d'un article ou d'une activité au moyen d'une identification enregistrée. Les obligations de traçabilité au sens strict ont été adoptées à la suite de la crise sanitaire de la vache folle ; mais l'objectif de ces obligations est uniquement de permettre le retrait des denrées en cas d'alerte sanitaire.
Soyons clairs : il ne s'agit pas aujourd'hui de céder à une phobie irrationnelle en confondant les problématiques de sécurité sanitaire et la fraude sur la nature des ingrédients. Mais la traçabilité est devenue pour nos concitoyens une source d'information : ils veulent savoir ce qu'ils achètent et ce qu'ils mangent – c'est bien légitime !
Le moins que l'on puisse dire, c'est que, pour les produits transformés, nous sommes loin du compte. En effet, les scandales récents ont révélé au grand public la multiplication des intermédiaires, un système de trading qui favorise les risques et un étiquetage déficient.
Nous avons donc plus que jamais besoin de rétablir la confiance de nos concitoyens en répondant à leurs attentes en matière de traçabilité. Garantir la véracité et la précision des mentions de l'origine nationale sur les emballages rassurerait les consommateurs. Dans le même temps, cela favoriserait les filières françaises, dont un grand nombre souffrent alors qu'elles bénéficient d'une image de marque reconnue.
Nous avons donc du travail, monsieur le ministre, pour aller à rebours d'un mouvement global.
Tout d'abord, le groupe RRDP tient à saluer l'action du Gouvernement qui a réagi en urgence au premier scandale Findus. L'enquête menée par les services de la DGCCRF, a permis d'établir rapidement le circuit de commercialisation de la viande.
Aujourd'hui, l'enquête continue pour établir les responsabilités de chacun, en lien avec les autres États concernés ainsi qu'avec les autorités européennes. Depuis, les réunions entre les pouvoirs publics et les professionnels semblent avoir abouti à la volonté de mettre en place de nombreux contrôles.
Nous avons également noté l'engagement du Gouvernement à obtenir de Bruxelles la modification des règles d'étiquetage et de traçabilité des produits transformés.
Autre piste d'amélioration évoquée : la mise en place d'un système d'alerte lorsque les produits sont proposés à un prix sensiblement inférieur à ceux du marché. Ce type d'alerte aurait ainsi permis d'éviter le scandale Findus, puisque la valeur de la viande de cheval roumaine était trois fois inférieure à celle de la viande bovine.
Tout cela va donc dans le bon sens, mais ne nous dispense pas de réfléchir à la question plus structurelle de la longueur des circuits et de la multiplication des intermédiaires entre la production et le consommateur final ; tel est du reste l'élément majeur révélé par le scandale de la viande de cheval. Comment ne pas voir là une cause importante de négligences et de fraudes ?
Dans le commerce de la viande existe un circuit opaque et complexe, qui me fait penser à un commerce de pièces détachées pour automobiles.
Les abattoirs vendent en effet des animaux « désassemblés » afin d'en valoriser au mieux chaque partie, en créant le désormais trop célèbre « minerai », une masse agglomérée de dix à trente kilos de chutes, de découpes et de tissus graisseux. Ce minerai constitue ensuite la matière première des plats cuisinés par nos industries agroalimentaires – tout cela n'est pas très appétissant !
Sous la pression des distributeurs, qui bénéficient d'un pouvoir de négociation excessif, les industriels sont pris dans une course effrénée à la baisse des coûts. Les parlementaires s'inquiètent des dangers inhérents à cette situation, ainsi que des répercussions sur les filières jusqu'au consommateur final.
Il faudra, au cours de cette législature, nous attaquer directement à ce pouvoir de négociation exorbitant des centrales d'achat de la grande distribution, qui déséquilibre la production agricole, la pêche, les PME et l'industrie agroalimentaire.
Nous en mesurons les conséquences directes dans les scandales que nous connaissons. En effet, les industriels font appel à des traders, qui négocient la viande dans tous les pays. Ces traders ne touchent pas la viande : elle arrive découpée puis est revendue en l'état, sans contrôle sanitaire ni contrôle qualité.
Ainsi, Jan Fasen, ce fameux trader récemment médiatisé, possède la Draap, petite société de trading de viande qui bénéficie d'un montage fiscal baroque. Cela mérite d'être signalé, car c'est édifiant : l'actionnaire principal de la Draap est une société basée dans les îles Vierges britanniques, un paradis fiscal des Antilles. Cette société, dirigée par des prête-noms, est domiciliée dans l'Union européenne à Limassol, à Chypre.
Dans l'affaire des lasagnes, ce trader a acheté de la viande de cheval en Roumanie, transportée jusqu'aux Pays-Bas puis stockée par une autre compagnie dans un entrepôt frigorifique. Ensuite, il l'a fait transporter à Castelnaudary pour la vendre à l'entreprise Spanghero, qui a elle-même vendu la viande à Comigel dont l'usine se trouve au Luxembourg.
Je ne sais pas si vous avez réussi à suivre ; mais je comprends que les consommateurs français puissent être perdus. En clair, la viande de cheval a parcouru plus de 2 000 kilomètres de trop, et chemin faisant, elle s'est transformée en boeuf.
Ces itinéraires extravagants sont de plus en plus courants. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne pouvons pas continuer dans cette voie ! Convenons ensemble, à l'occasion de ce débat, qu'il nous revient de chercher des solutions pour éviter que ces pratiques insensées se poursuivent.
Nous comptons sur vous, monsieur le ministre, pour porter cette parole à Bruxelles. Nous connaissons les résistances des pays de l'Union qui tiennent à conserver leurs avantages compétitifs. Mais face à un monde globalisé, avec une dispersion géographique des acteurs et des produits, des risques nouveaux nous imposent l'adaptation des dispositifs en vigueur.
Concernant l'étiquetage, au cours des dix dernières années, la gauche alors dans l'opposition n'a eu de cesse de demander aux gouvernements de droite d'améliorer l'information des consommateurs.
Lors de l'examen de la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche en juin 2010, les controverses ont été vives sur cette question. Les débats ont tout de même abouti à l'adoption d'un amendement précisant que l'indication du pays d'origine peut être rendue obligatoire pour les produits agricoles et alimentaires et les produits de la mer, à l'état brut ou transformé. Mais l'application de cette loi est en attente d'une décision européenne.
Vous avez décrit vos initiatives, monsieur le ministre : charte anti-fraudes, étiquetage spécifique – VBF ou VPF –, renforcement des autocontrôles, étiquetage plus lisible. Vous avez rappelé tout le travail effectué ces derniers mois.
Je saisis cette occasion pour vous dire à quel point je trouve anormale et scandaleuse la réintroduction des farines animales dans l'élevage de poissons.
Les initiatives venant des parlementaires se sont également multipliées ces derniers mois. Ainsi, trois projets de règlements sont actuellement en cours d'examen par le Parlement européen et le Conseil européen, concernant les produits importés et l'étiquetage des produits transformés.
À l'Assemblée nationale, le groupe UDI a déposé le 28 février 2013 une proposition de résolution européenne tendant à la création d'un droit européen pour le consommateur à la maîtrise et à la parfaite connaissance de son alimentation. Des députés UMP ont annoncé dans la presse une proposition de loi sur le même thème.