Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie nos collègues du groupe RRDP d'avoir été réactifs pour demander ce débat sur la traçabilité alimentaire, et je remercie le ministre Guillaume Garot d'être venu répondre aux interrogations des députés ici présents.
Les nombreuses propositions de loi ou de résolution déposées par tous les groupes politiques à la suite des récents événements démontrent, s'il en était besoin, la vigilance des parlementaires sur un sujet dont la société s'est emparée.
Le maître mot ici doit être de redonner la confiance aux consommateurs.
Dans la nouvelle période de scandale que nous sommes en train de vivre, qui mélange à la fois manque de transparence, avec l'affaire de la viande de cheval, et risque sanitaire, avec l'autorisation des farines animales, la question centrale, comme l'a montré l'étude de Gilles-Éric Séralini sur les OGM, est de savoir comment garantir la sécurité et, si je puis dire, la confiance alimentaire.
Les consommateurs ont des attentes légitimes quant aux produits qui leur sont vendus. Ils font confiance aux autorités sanitaires et à la loi : quand on leur propose des lasagnes au boeuf, ils ne s'attendent pas à ce qu'il y ait du cheval ; quand on leur propose des légumes, ils ne s'attendent à ingurgiter des doses inimaginables de pesticides ; quand on leur propose des nuggets, ils ne s'attendent pas à ce qu'ils soient constitués de peaux et d'abats de poulet ; quand on leur propose du saumon, ils ne s'attendent pas à ce qu'ils soient nourris aux farines de porc, bourrés d'antibiotiques et colorés pour avoir un aspect plus attrayant.
La liste pourrait être longue. J'entends simplement, ici, souligner que les consommateurs se sentent protégés par les règlements, par la loi. Quand ils découvrent que les pratiques de l'agroalimentaire ne sont pas du tout celles qu'ils imaginaient, ils se sentent trompés et ils ont raison.
Certes, le facteur prix est indiscutable dans le choix des produits en supermarché, mais pas pour n'importe quel produit. Viser à proposer des prix toujours plus bas, c'est pénaliser toute la chaîne : le producteur qui ne s'y retrouve plus – inutile de faire un dessin sur l'état de la filière de l'élevage en France aujourd'hui – ; le transformateur qui perd son savoir-faire au détriment de pratiques agro-industrielles ; le consommateur qui est floué et dont la santé est parfois mise en danger. Le lien et la confiance entre ces acteurs sont perdus.
Il y a un minimum de critères de production à respecter, de relations commerciales à assainir et d'information à apporter. Une éthique des produits, des pratiques et des espèces animales et humaine doivent être réinstaurées : on ne nourrit pas des vaches avec des vaches ; on n'alimentera pas des humains avec des sous-produits.
Pour cela, la traçabilité est au coeur de ce processus. Elle est nécessaire afin de connaître les étapes de la production d'un bien, afin que chaque acteur soit responsable de ses pratiques, et que l'État puisse remonter la filière rapidement à la suite d'un incident, comme c'est régulièrement le cas, lors d'alertes de retrait de produits alimentaires, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
L'Europe et la France ont, sur ce point, été pionnières, en mettant en place un système sérieux de traçabilité alimentaire, répondant alors à la crise sanitaire de la vache folle. Le paquet « Hygiène » adopté en 2004 repose sur la responsabilité et l'autocontrôle des producteurs et des fabricants, et sur une surveillance des autorités publiques. Le règlement « Food law » ou encore la création de l'Autorité européenne de sécurité des aliments ont fini de compléter le dispositif.
Je dirais même que la traçabilité est un service d'intérêt général qui est malheureusement parfois délaissé. La baisse des effectifs des inspecteurs – de 15 % à la DGCCRF et de 20 %, en sept ans, à la direction générale de l'alimentation – a laissé le champ libre aux industries agroalimentaires qui ont pris certaines largesses dans l'autocontrôle. Il est indispensable de rétablir un contrôle public fort.
Cela fait vingt ans que la traçabilité est brandie comme une réponse magique aux problèmes de sécurité. On en voit aujourd'hui les limites : la traçabilité alimentaire est une condition nécessaire mais non suffisante pour garantir la sécurité sanitaire des produits. C'est pourquoi je demanderai dans les prochains jours la constitution d'une commission d'enquête sur l'impact sanitaire et environnemental des fraudes, dysfonctionnements et excès de la filière alimentaire.
Pourrait être mis en place, au-delà de la réglementation existante, un étiquetage beaucoup plus précis pour le consommateur : provenance de toutes les viandes, quel que soit leur état – fraîches, transformées, congelées… –, étiquetage sur le type d'élevage des animaux, à l'image de ce qu'il se fait pour les oeufs – batterie, plein air, bio. Ces mesures permettraient de lutter contre l'opacité des circuits passant par des paradis fiscaux ou sociaux et de favoriser les filières françaises et locales. Le coût économique de cette opération n'est pas négligeable non plus : on éviterait les coûts exorbitants d'un suivi sanitaire de produits mondialisés.
Soyons raisonnables, relocalisons la chaîne alimentaire. Nous avons énormément à gagner, d'un point de vue environnemental, économique et social, à produire, transformer et consommer en France. Soyons raisonnables, et arrêtons de courir après des chimères d'une industrie agroalimentaire française qui nourrirait la planète à bas coûts. Soyons raisonnables, ne laissons pas les maîtres de la distribution dicter leur loi du moins-disant, asservissant producteurs et transformateurs à des pratiques sans éthique.
Certaines pratiques de la filière alimentaire d'aujourd'hui sont les scandales de demain. Ces excès du quotidien sont favorisés par des circuits opaques, une spéculation financière à outrance, et des études partiales rendues par des agences sanitaires privées ou publiques minées de conflits d'intérêts patents. Je pense aux OGM et aux farines animales dans l'alimentation animale, à l'effet cocktail des pesticides dans nos végétaux, aux canettes et boîtes de conserve qui contiennent un grave perturbateur endocrinien, le bisphénol A, contre lequel le Parlement européen vient de demander une législation d'urgence, à l'aspartame, qui est encore trop utilisé, ou encore au recours excessif des antibiotiques chez les animaux – en février, l'exposition du bétail aux antibiotiques a augmenté de 12,5 % !
Des études récentes font le lien entre ces pratiques et les maladies de notre siècle que sont les cancers et les maladies neurodégénératives, comme la maladie de Parkinson, la sclérose en plaques ou la maladie d'Alzheimer. Ces pratiques ont également de graves conséquences sur l'environnement, puisque la contamination des eaux crée aujourd'hui des problèmes environnementaux et sanitaires.
La situation est grave, tant les lobbies sont puissants, les gouvernements passifs et les risques pour la société importants. Nous devrions, monsieur le ministre, nous atteler à ce chantier avant qu'il ne soit trop tard, et j'espère que vous apporterez des réponses à nos questions qui, vous l'aurez compris, vont au-delà de la seule traçabilité. Votre intervention de tout à l'heure me fait penser que nous aurons ces réponses dans peu de temps.