Intervention de François Lamy

Séance en hémicycle du 21 mars 2013 à 15h00
Débat sur la politique de la ville et la rénovation urbaine

François Lamy, ministre délégué chargé de la ville :

C'est également reconnaître que Guéret ou Auch, bien que situées en milieu rural, rencontrent des difficultés urbaines similaires qui rendent le soutien de l'État nécessaire. Nous sommes actuellement en train de faire des simulations pour déterminer la carte des zones prioritaires. Je pourrai la rendre publique après qu'elle aura effectué quelques allers et retours entre nos services et les préfets, qui eux-mêmes consulteront les élus locaux. Vous verrez que ces villes, qui n'étaient pas incluses dans le périmètre de la politique de la ville car elles sont situées en milieu rural, pourront désormais bénéficier de l'ingénierie et des crédits de cette politique.

Je souhaite, dans un premier temps, identifier les poches de pauvreté sur l'ensemble du territoire national. Mais ce n'est pas tout : je veux également, dans un deuxième temps, prendre en compte la richesse des territoires et leurs capacités d'intervention. Ces capacités seront mesurées par leurs potentiels ou leurs efforts fiscaux. En effet, certains quartiers de certaines communes peuvent rencontrer des difficultés, alors que dans le même temps ces mêmes communes disposent d'une richesse budgétaire structurelle leur permettant de mener des politiques de cohésion sans l'aide de l'État.

Je m'interroge, par exemple, sur la légitimité d'accorder encore aujourd'hui des crédits au titre de la politique de la ville à une ville du Sud de la France, plus précisément des Alpes-maritimes, dont les recettes de fonctionnement sont de 80 % supérieures à la moyenne de sa strate démographique, les dépenses d'investissement supérieures de 65 %, et le potentiel fiscal de 65 %. Je ne crois pas que le rôle de la politique de la ville soit de financer tous les festivals de France, fussent-ils les plus prestigieux !

Je pourrais citer d'autres exemples. Je m'interroge tout autant sur la légitimité de maintenir les crédits de la politique de la ville à destination d'une commune proche de celle dont je viens de parler, dont le budget de fonctionnement est de près de 15 % supérieur à la moyenne des autres grandes villes françaises, tout comme ses charges de personnel, ce qui lui permet de disposer de la première force de police municipale de France en termes d'effectifs, avec 380 policiers, 150 agents de la voie publique et 624 caméras de vidéosurveillance. Cette politique de sécurité fait la fierté de son maire. J'espère qu'il aura autant de fierté à reconnaître que sa ville peut être solidaire avec tous ses citoyens et notamment les plus fragiles, avant même de bénéficier de la solidarité nationale.

Cette révolution culturelle de l'action publique que j'évoque pour l'État doit également être amorcée par les collectivités territoriales. Celles-ci sont en première ligne face à l'urgence sociale ; elles sont un garde-fou territorial essentiel face à la crise qui frappe encore plus durement qu'ailleurs les habitants de ces quartiers. C'est le sens du nouveau contrat de ville qui se substituera dès 2014 aux contrats urbains de cohésion sociale, les CUCS. Ce contrat de ville devra être signé par les principaux acteurs de la politique de la ville, notamment les intercommunalités, les départements et les régions.

À cet égard, je me félicite d'avoir signé le 13 février dernier avec l'Association des régions de France et son président Alain Rousset une convention actant l'engagement des régions dans ces futurs contrats. Elles se sont engagées à consacrer au moins 10 % des fonds européens, qu'il s'agisse des fonds versés par le Fonds social européen ou de ceux versés par le Fonds européen de développement régional, aux quartiers concernés par la politique de la ville. À l'heure actuelle, ce taux est de 2 % pour le FSE et de 7 % pour le FEDER. Je vous signale que des conventions similaires sont en cours de rédaction avec l'Assemblée des départements de France et j'espère qu'une convention sera bientôt conclue avec l'Association des maires de France et bien d'autres associations de collectivités territoriales également. L'État et les collectivités ont un objectif commun : ils doivent donc conjuguer leurs forces sur ces territoires.

Permettez-moi de dire un mot de la rénovation urbaine. Le Plan national de renouvellement urbain a effectivement donné un visage plus digne à 300 000 logements en métropole et outre-mer. Il ne faut pas sous-estimer cette avancée, qui a amélioré le cadre et les conditions de vie des habitants. La rénovation urbaine est un outil qu'il s'agit de continuer à utiliser. Certaines opérations qui ont déjà commencé doivent être suivies d'une seconde phase pour transformer vraiment la vie des habitants. Rénover, construire, réorganiser les espaces privés et publics : ce ne sont là que des outils pour recréer des villes mixtes. Pour réduire les fractures géographiques, rénover les logements et limiter leur consommation énergétique, pour lutter contre l'étalement urbain, il faut reconstruire la ville sur la ville, et pas à côté d'elle, comme cela a été trop souvent le cas.

Le premier Plan national de rénovation urbaine représentait 45 milliards d'euros. Nous sommes à présent à près de 6 milliards d'euros de paiements, soit presque la moitié des montants dus par l'Agence nationale de rénovation urbaine. Je remercie mes prédécesseurs de m'avoir laissé ainsi l'essentiel des financements à trouver. (Sourires sur les bancs du groupe SRC.)

Non sans mal, les discussions budgétaires de fin d'année ont permis de sécuriser le financement de la fin de ce programme, tout en restaurant des relations de confiance avec les principaux acteurs. Avec la contribution d'Action logement et les nouvelles recettes fiscales mises en place par la loi de finances pour 2013, nous mobilisons les ressources nécessaires pour prendre en charge des dépenses supérieures à un milliard d'euros chaque année, et garantir ainsi la poursuite du PNRU sur la période 2013-2015.

Lors du comité interministériel des villes, le Premier ministre a souhaité, à ma demande, qu'une nouvelle phase soit lancée sans attendre la fin du premier PNRU. De nouvelles opérations de rénovation urbaine seront donc engagées dès la signature des contrats de ville en 2014 dans deux cents quartiers de métropole et trente quartiers d'outre-mer. Elles devront s'inscrire dans le cadre d'une politique de l'habitat plus globale, pour rééquilibrer l'offre de logements locatifs sociaux, notamment l'offre à bas loyer, sur le territoire des agglomérations.

La nouvelle géographie des actions de l'ANRU sera basée sur la nouvelle géographie prioritaire de la politique de la ville, définie à partir de critères urbains comme la diversification de l'habitat, l'état du parc de logements et l'enclavement des quartiers. La liste des quartiers concernés sera donc resserrée et arrêtée au niveau national au mois de septembre prochain, afin d'éviter la dilution des crédits dans un contexte budgétaire contraint. Il s'agit d'assurer, à la différence du premier PNRU, la concentration des moyens nécessaires au traitement complet des quartiers concernés. En conséquence, la priorité sera donnée à la finalisation du traitement des sites actuellement concernés par un programme de rénovation urbaine et à l'intervention sur les secteurs limitrophes n'ayant pas bénéficié du premier PNRU.

L'apport de la rénovation urbaine est indéniable pour ce qui est de la méthode et de la rigueur : une logique de projet prévaut désormais, avec des échéances précises et des clauses de revoyure. La rénovation urbaine a permis de structurer les schémas d'aménagement des collectivités et de faire progresser l'ingénierie. Tout ceci doit être conforté par la continuité des programmes de rénovation urbaine de nouvelle génération. Mais il faut aller plus avant : une réflexion est en cours sur l'évolution du modèle financier, notamment sur les conditions de financement des opérations, la modulation des aides selon les capacités financières des maîtres d'ouvrage, l'analyse préalable de la soutenabilité financière des projets, l'introduction de formes de financement autres que la subvention, et le développement et la facilitation de l'investissement privé. Une réflexion est également en cours sur les nouveaux champs d'intervention de la rénovation urbaine. Je pense notamment aux équipements publics de santé et à la culture. La réflexion porte surtout sur la recherche d'une plus grande cohérence avec la politique du logement, dans la définition des stratégies de rééquilibrage du parc social et du relogement.

Quant à l'intervention de l'ANRU dans les territoires d'outre-mer, elle doit s'adapter aux spécificités de chaque département d'outre-mer, et notamment s'affranchir de la logique des grands ensembles. Il y a une urgence sociale et sanitaire à intervenir sur les secteurs d'habitat informel et insalubre. Je l'ai encore vu le week-end dernier au cours de mon déplacement en Martinique et Guyane. Les dispositifs de résorption de l'habitat insalubre, ou RHI, doivent bénéficier des acquis de la rénovation urbaine en matière de gouvernance. Les moyens de la rénovation urbaine et de la RHI devront donc être combinés. L'ANRU fera ainsi levier sur la résorption de l'habitat indigne, en se concentrant sur les volets aménagement, équipements publics et infrastructures, tandis que la RHI se recentrera sur le volet habitat.

Bien entendu, comme cela a déjà été évoqué, cette reconnaissance des fractures territoriales passe également par la solidarité financière, afin de soutenir les territoires qui connaissent des déficits structurels de ressources alors même qu'ils doivent assumer des besoins sociaux extraordinaires. Comme François Pupponi l'a souligné, dès 2013, le Gouvernement a proposé un renforcement historique de la péréquation. Je ne rappellerai pas les montants de cette augmentation. Nous devrons bien entendu maintenir ce cap en 2014.

Cette solidarité financière doit s'exercer à tous les échelons. Sur ce point, je suis d'accord avec les préconisations formulées par François Pupponi dans les conclusions de son rapport sur la solidarité financière et intercommunale, qui seront présentés au Parlement. Il s'agit notamment de rendre obligatoire la mise en place d'une dotation de solidarité communautaire efficace partout où l'État s'engage avec les crédits de la politique de la ville. Cette solidarité locale devra être retracée dans des annexes aux budgets communaux et intercommunaux. Nous réfléchirons également – comme François Pupponi l'a précisé – à la mutation de la dotation de développement urbain en une dotation de la politique de la ville. Celle-ci sera véritablement le bras armé financier des futurs contrats de ville. La liberté de son emploi permettra dans une certaine mesure de consacrer le droit à l'expérimentation, source d'innovation et d'intelligence territoriale.

Reconnaître les fractures territoriales, c'est aussi, comme cela a été souligné au cours de ce débat, reconnaître les quartiers et leurs habitants. C'est donc aussi en finir avec la stigmatisation dont ces derniers sont victimes depuis trop longtemps. C'est une réalité dans les faits mais aussi dans les têtes. Il y a, parmi les objectifs de la politique de la ville, des batailles que personne n'a le droit d'abandonner. La lutte contre les discriminations et la stigmatisation des habitants des quartiers est de celles-ci. C'est aussi le sens de cette réforme, conformément à notre souci de justice et d'égalité. À propos d'un sujet aussi sensible, ne nous retranchons dans des postures simplistes et rassurantes. Ne réduisons pas le débat à l'unique question de l'intégration. Faire porter le blâme sur les habitants de ces quartiers est trop facile : la majorité d'entre eux est en réalité totalement intégrée dans ce pays.

Il est trop facile de désigner et d'ostraciser par ce biais les héritiers de ceux qui en d'autres temps et en d'autres lieux ont pourtant fait la fierté de notre nation. Je pense aussi à nos compatriotes français d'outre-mer qui résident en métropole : ils sont également victimes de ces stigmatisations. C'est ajouter l'humiliation à l'injustice ! L'enjeu de cette bataille est majeur : à force de ne pas reconnaître les droits de ces habitants, nous construisons à l'intérieur du ghetto territorial, un ghetto mental. Et l'esprit de communauté qui a maintenu jusqu'ici, en lieu et place de la République, les valeurs de solidarité et de fraternité dans ces quartiers, peut en effet devenir un facteur d'auto-exclusion et de repli vers l'extrémisme.

Cette bataille pour casser les ghettos et reconstruire des villes mixtes est une bataille majeure pour la République et pour le gouvernement de Jean-Marc Ayrault. Le Premier ministre l'a pleinement exprimé lors du comité interministériel des villes, le 19 février dernier. Je sais que cette bataille sera longue et compliquée, car je connais les inerties coupables et les idéologies trompeuses qu'il va falloir combattre.

Lutter contre les stigmatisations, c'est aussi, bien entendu, combattre les discriminations à l'emploi. Aujourd'hui, un grand nombre de jeunes de ces quartiers, sans formation, sont éloignés du marché de l'emploi. Ce sont ces jeunes auxquels les emplois d'avenir devront s'adresser en priorité, comme je l'ai dit tout à l'heure. Nous devons également être attentifs aux jeunes diplômés qui, démarche après démarche, entretien après entretien, se voient refuser l'accès à un premier emploi.

C'est pour cela que nous expérimenterons dès cette année, sur une dizaine de sites, quelque 2 000 emplois francs. J'envisage cette formule avant tout comme un outil contre les discriminations. En effet, ces emplois francs doivent faciliter l'embauche de ces jeunes par des entreprises situées non plus dans le quartier, mais dans le bassin d'emploi. Si l'expérimentation est satisfaisante, nous disposerons de 10 000 emplois francs dans les trois années à venir.

La bataille contre les stigmatisations est aussi la bataille contre les discriminations qui frappent les habitants en raison de leur origine réelle ou supposée, ou de leur lieu de résidence. Afin de rétablir l'égalité pour les habitants des quartiers populaires, le comité interministériel des villes a pris plusieurs décisions visant à renforcer le pilotage interministériel et les leviers d'action du Gouvernement dans ces domaines pour en finir avec les discriminations en fonction de l'adresse dont sont victimes les habitants des quartiers populaires.

Lutter contre les stigmatisations passe également par la reconnaissance de l'existence d'une force citoyenne extraordinaire déjà mobilisée et qui doit être soutenue et encouragée. Je le vois dans chacun de mes déplacements : l'attente est forte dans les quartiers populaires.

Il faut à cet effet accorder une place centrale aux habitants, en leur reconnaissant le droit d'opinion, la capacité d'agir, le pouvoir de co-construire l'avenir de leur quartier. C'est pourquoi j'ai proposé à Marie-Hélène Bacqué et à Mohamed Mechmache – président de l'association ACLEFEU – une mission sur cette question pour qu'ils s'interrogent sur les bons outils à mettre en oeuvre. La France connaît un retard important dans ce domaine, et il y a même quelque chose d'anachronique à ce que je me tienne en 2013 devant vous, représentants du peuple, à l'Assemblée nationale, pour justifier de l'intérêt d'une démocratie locale renforcée. Le temps où l'on imposait d'en haut les politiques publiques sans l'accord de celles et ceux pour lesquels elles sont conduites est dépassé.

C'est d'ailleurs l'une des lacunes majeures qu'il nous faudra corriger dans les prochaines opérations de rénovation urbaine. Qui accepterait qu'on lui dise « bonjour monsieur, bonjour madame, dans trois ans, votre immeuble va être démoli et vous allez partir, mais on ne peut pas encore vous dire où, mais vous allez partir ». Aucun de vous ne l'accepterait. Ce qui n'est pas acceptable pour vous ne l'est pas non plus pour les habitants des quartiers populaires.

Il est paradoxal de s'inquiéter du désintérêt croissant pour la chose publique, de se préoccuper de l'hémorragie électorale dans ces quartiers ou de la montée des extrémismes et, dans le même temps, de ne pas donner aux habitants les moyens d'être pleinement acteurs dans leur quartier.

Je veux que la réforme de la politique de la ville marque sur la question de la participation des habitants un tournant décisif. Je veux que les habitants deviennent des acteurs à part entière dans les territoires, aux côtés de l'État et des collectivités.

Enfin, j'ai l'intime conviction que la lutte contre les discriminations passe par la lutte contre les processus de ségrégation et de relégation, donc par notre capacité à repenser la mixité sociale à l'aune des politiques de peuplement. C'est un point essentiel pouvant expliquer un grand nombre des difficultés de ces quartiers. Il est assez cynique de parler de problème d'intégration quand, pendant des décennies, on a délibérément concentré les populations immigrées dans ces quartiers. Il est parfaitement malhonnête de dénoncer un repli communautaire qui serait délibérément recherché par les habitants, quand des communes « hors la loi » préfèrent payer l'entre soi plutôt que de participer à l'effort de solidarité imposé par la loi SRU.

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