Intervention de Thierry Repentin

Séance en hémicycle du 21 mars 2013 à 21h30
Débat sur la politique européenne en matière d'emploi des jeunes

Thierry Repentin, ministre délégué chargé des affaires européennes :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires européennes, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, permettez-moi d'abord de vous remercier de me donner l'occasion de m'exprimer aujourd'hui devant vous sur un sujet qui touche aux priorités que le Président de la République a, dès son arrivée aux responsabilités, inscrites au coeur de son action.

La bataille pour l'emploi et la jeunesse sont deux grands combats du Gouvernement. Ces deux enjeux, mes anciennes fonctions – que j'occupais encore il y a peu – m'ont permis de mesurer toute l'importance qu'ils revêtaient au quotidien pour nos concitoyens ainsi que l'immense attente qu'ils suscitaient à l'égard des pouvoirs publics. Au-delà du travail que nous menons au niveau national, il est essentiel que ces combats s'incarnent à l'échelle européenne. Et je suis heureux ce soir de pouvoir rendre compte à la représentation nationale de l'action de la France à ces deux niveaux.

Dans la crise que nous traversons, nous ne saurions nous contenter de proposer aux peuples européens l'austérité pour seul horizon. C'est la raison pour laquelle la France, depuis maintenant dix mois, a placé son action européenne sous le signe d'une réorientation vers la croissance et l'emploi.

La responsabilité budgétaire est évidemment nécessaire, mais elle ne permettra de redresser les comptes publics que si nous lui associons une politique vigoureuse pour la croissance et l'emploi. Notre devoir est de faire de l'Europe un atout dans la bataille pour l'emploi. Ainsi, les Français retrouveront d'autant mieux confiance dans le projet européen ; ainsi, ils seront d'autant mieux convaincus que l'Europe peut être regardée comme un espace de protection et de mieux-être.

C'est une exigence d'autant plus pressante que le chômage des jeunes constitue l'une des plus lourdes conséquences de la crise : il s'élève aujourd'hui à 56 % en Espagne, 58 % en Grèce, 37 % en Italie et à près de 40 % au Portugal. En France, il se situe à 27 %, soit quelques points au-dessus de la moyenne européenne. Nous ne pouvons tolérer cette situation.

Face à l'urgence, nous avons, au niveau national, mis en chantier des mesures ambitieuses.

Ce sont, d'abord, les emplois d'avenir, premier texte adopté sous cette législature, ce qui n'a rien d'un hasard. Proposant des solutions d'emploi et de formation aux jeunes de seize à vingt-cinq ans peu ou pas qualifiés, les emplois d'avenir concerneront 150 000 jeunes d'ici à la fin 2014 dont 100 000 dès cette année. Avec ces contrats de travail d'un an à trois ans, les jeunes qui ont décroché – parmi les quelque 150 000 qui quittent chaque année le système scolaire sans diplôme – auront l'opportunité de trouver à la fois un emploi, un salaire et une qualification. Cette mesure vient appuyer le pacte de compétitivité dans son ambition d'assurer la modernisation de notre économie et de lui permettre de retrouver le chemin de la croissance et de l'emploi.

Les jeunes non diplômés sont de très loin les plus touchés par le chômage. Ce sont eux aussi qui y sont confrontés le plus longtemps. Hélas, la précarité qui précède l'accès à un emploi stable touche plus largement l'ensemble de la jeunesse. La part des contrats courts est plus élevée en France que dans la moyenne des pays européens, et ces contrats concernent surtout les jeunes.

Ce constat nous a conduits à mettre en place, dans un deuxième temps, les contrats de génération, qui réaffirment le droit des moins de vingt-cinq ans à accéder à un emploi durable et celui des plus de cinquante-sept ans à se maintenir dans l'emploi. Ils répondent ainsi au grand défi de la transmission intergénérationnelle, en faisant se rencontrer l'envie d'apprendre et l'envie de transmettre. Il y a quelques jours, le Président de la République a signé les premiers de ces contrats de génération.

Un autre axe important de notre action en faveur de l'emploi des jeunes est l'encouragement à la création ou à la reprise d'entreprise. Le gouvernement français est actuellement en pleine préparation des assises de l'entrepreneuriat, portées par Fleur Pellerin, dans le cadre desquelles le développement de la culture entrepreneuriale chez les jeunes a été identifié comme une priorité.

Pour ambitieux qu'ils soient, ces efforts nationaux doivent être prolongés par une action au niveau européen.

L'Union européenne a fait de l'emploi des jeunes l'une de ses priorités, notamment dans le cadre de la « stratégie 2020 » définie par la Commission. Le Conseil européen de la semaine dernière a constitué, à cet égard, un moment important. La France y a rappelé la nécessité de l'équilibre entre sérieux budgétaire et mesures pour la croissance et l'emploi. Nous avons d'ailleurs pu constater que cette idée gagnait du terrain auprès de nos partenaires. C'est ainsi que Mario Monti, que l'on ne saurait pourtant soupçonner de socialisme, a envoyé une lettre qui soulignait l'impasse à laquelle mènerait inévitablement une politique économique exclusivement tournée vers l'austérité.

Au cours de ce Conseil européen, la France s'est affirmée comme une force de proposition en matière de bataille pour l'emploi des jeunes. Le Président de la République tenait à ce que cette mobilisation débouche sur des actions concrètes, au service des jeunes Européens. Le président Barroso y a consacré l'essentiel de sa contribution, dans laquelle il a notamment souligné les effets positifs de l'initiative pilote engagée en janvier 2012 : les huit États membres les plus touchés à qui elle était destinée ont ainsi pu recevoir 16 milliards de fonds structurels au bénéfice de 55 000 PME et de 750 000 jeunes. Le chômage des jeunes était également l'une des principales préoccupations exprimées par le président Van Rompuy, qui a insisté sur la nécessité d'agir au plus vite. Par ailleurs, la France a obtenu de ne pas avoir à attendre la mise en place du prochain cadre financier pluriannuel pour mobiliser les fonds prévus en faveur de l'emploi des jeunes : ceux-ci seront mobilisables dans le budget de l'Union en cours.

Le 5 décembre 2012, la Commission européenne adoptait le paquet « Emploi des jeunes », train de mesures incluant une proposition de recommandation du Conseil en faveur de l'introduction d'une « garantie pour la jeunesse ». Elle lançait également la deuxième phase de consultation des partenaires sociaux sur un cadre de qualité pour les stages, trop souvent facteurs de précarité, et annonçait une Alliance européenne pour l'apprentissage, sujet qui, comme vous le savez, me tient à coeur.

Le 28 février dernier, les ministres européens de l'emploi et des affaires sociales ont adopté la garantie pour la jeunesse. Celle-ci prend la forme d'une recommandation qui invite les États membres à prendre des mesures pour s'assurer que tous les jeunes, jusqu'à l'âge de vingt-cinq ans, se voient proposer une offre d'emploi, de complément de formation, d'apprentissage ou de stage dans les quatre mois qui suivent leur sortie de l'enseignement formel ou la perte de leur emploi.

La France a fortement soutenu cette initiative. D'ores et déjà, nous avons présenté les modalités de son application sur le territoire national. Il s'agira d'inscrire 100 000 jeunes qui ne sont ni à l'école ni en formation et qui vivent une situation de grande précarité dans un parcours contractualisé d'accès à l'emploi ou à la formation. Ce programme sera d'abord lancé sur dix territoires pilotes en septembre 2013, avant d'être généralisé. Un groupe de travail vient d'être mis en place pour définir plus précisément les contours de la mesure, les critères d'accès et de sélection de ces territoires pilotes.

Afin d'assurer leur financement, les mesures mises en oeuvre par les États membres au titre de cette garantie pour la jeunesse pourront bénéficier des crédits de l'initiative pour l'emploi des jeunes. Beaucoup a été dit de la récente négociation des perspectives budgétaires de l'Union pour la période 2014-2020. Peu de commentaires, cependant, se sont attardés sur cette initiative, défendue avec conviction par la France. Nous avons ainsi obtenu que le prochain cadre financier pluriannuel inclue un fonds pour la jeunesse doté de 6 milliards d'euros et destiné aux régions où le taux de chômage dépasse 25 % en 2012. Le Fonds social européen contribuera à cette initiative à hauteur de 3 milliards, le reste proviendra d'une ligne budgétaire dédiée. Plusieurs régions françaises sont concernées. Nous estimons que la France pourrait recevoir ainsi près de 600 millions d'euros à ce titre.

La bataille pour l'emploi, et tout particulièrement pour l'emploi des jeunes, s'inscrit aussi dans nos relations bilatérales avec nos partenaires européens. C'est, par exemple, le cas de notre politique de développement de l'apprentissage, sur laquelle nous travaillons en étroite collaboration avec l'Allemagne et l'Autriche, dont la longue tradition, si elle n'est pas reproductible, doit néanmoins nous inspirer. Nous étudions également de près les mesures annoncées par le gouvernement espagnol il y a quelques jours, dont beaucoup rejoignent la politique française.

De manière générale, la relation franco-allemande constitue un laboratoire important de notre action pour l'emploi des jeunes. À l'occasion de la célébration du cinquantième anniversaire du traité de l'Élysée en janvier dernier, le quinzième Conseil des ministres franco-allemand a ainsi décidé une série de mesures qui traduisent à la fois la profonde amitié qui lie nos deux pays et notre engagement dans la lutte pour l'emploi. Je pense notamment à la création de la première agence franco-allemande pour l'emploi, à Kehl, en zone frontalière, inaugurée par mon ami Michel Sapin il y a quelques semaines. Je pense également au lancement d'une expertise en vue de la création d'une académie numérique pour contribuer à la formation et à la mobilité des jeunes chercheurs de ce secteur. Je pense encore à la création d'un lycée professionnel franco-allemand ou au développement de filières bilingues dans les centres de formation technique et d'apprentissage, qui contribueront à enrichir les profils des jeunes Français et Allemands qui auront le bonheur d'y étudier.

Encourager l'entrée de la jeunesse française et européenne dans la vie active, c'est aussi lui permettre d'acquérir une expérience de vie, une capacité d'ouverture à l'autre qui constituent des atouts considérables dans le monde professionnel d'aujourd'hui et auxquelles l'Europe offre un cadre particulièrement propice. C'est la raison pour laquelle la France défend résolument le développement de la mobilité internationale. Les jeunes ayant effectué un séjour à l'étranger au cours de leurs études accèdent plus souvent à un CDI et à un emploi de niveau cadre. Ce type d'expérience ouvre également des perspectives d'emploi, y compris au niveau européen. Nous devons démocratiser cet accès à la mobilité.

De plus en plus de jeunes Français effectuent une part de leurs études dans un autre pays européen. Ce sont là des programmes bien connus : Erasmus, qui touche 30 000 jeunes chaque année, et Leonardo, qui s'adresse aux apprentis. Un nouveau programme est aujourd'hui en cours d'élaboration. Sous le nom d'Erasmus pour tous, il bénéficiera d'une enveloppe budgétaire supérieure à celle en place aujourd'hui et rassemblera dans un cadre unique les sept programmes spécifiques actuellement en cours, qu'il s'agisse de l'éducation, de l'apprentissage ou de la formation professionnelle. En simplifiant les demandes de bourses, en réduisant les doubles emplois et le morcellement des activités, ce nouveau programme nous permettra de disposer d'un outil plus efficace et plus lisible. La France y apporte tout son soutien.

Une autre forme de mobilité mérite qu'on y prête une attention particulière : le volontariat international.

Dans le cadre du pacte de compétitivité, la France s'est engagée à augmenter de 25 % le nombre des volontaires internationaux en entreprises pour atteindre 9 000 jeunes en poste. La politique du Gouvernement consiste d'abord à développer ces mobilités qui ne touchent aujourd'hui qu'environ 2 % des jeunes et le plus souvent à des niveaux d'étude élevés. Les obstacles sont nombreux. Ils sont d'abord matériels : un séjour à l'étranger est coûteux, notamment en termes de logement. Mais ils sont aussi d'une autre nature. Pensons à la langue – la maîtrise d'une langue étrangère est souvent corrélée à la réussite scolaire – ou au rapport à l'inconnu : partir loin est d'autant moins attractif que l'on ne se sent pas sûr de soi, de ses compétences, de ses talents, de sa capacité à être accepté ailleurs. Ces appréhensions peuvent être rédhibitoires pour une partie de la jeunesse dont l'expérience de l'école puis du marché du travail est une expérience d'exclusion ou de dévalorisation.

Or, bien sûr, la mobilité peut être une formidable occasion de retrouver la confiance et de se doter d'une expérience. La ministre du commerce extérieur, Mme Nicole Bricq, a d'ores et déjà commencé à y travailler en ce qui concerne le volontariat international en entreprise, en se rapprochant des missions locales pour toucher des jeunes aux profils plus diversifiés. L'Agence du service civique s'attache également, sous l'impulsion de Mme Valérie Fourneyron, à développer les missions en Europe et à l'international.

Voici l'ambition que nous portons pour la jeunesse européenne. Cette ambition, la France la défend auprès de l'ensemble des institutions de l'Union. Dans l'immédiat, nous espérons voir les deux règlements adoptés la semaine dernière par la Commission rapidement mis en oeuvre. Nous souhaitons également créer, au niveau de l'Union, un statut européen des apprentis qui facilitera leur mobilité et contribuera à reconnaître les parcours de réussite que sont résolument les parcours en alternance. Cela s'inscrit dans le prolongement de la validation des apprentissages non formels et informels – ce qui se rapprocherait de notre « validation des acquis de l'expérience » – décidée en décembre dernier dans une recommandation du Conseil.

À terme, la politique macroéconomique que la France propose de mettre en oeuvre en Europe entend, par sa réorientation, susciter la croissance et l'emploi.

Nous appelons également de nos voeux une politique industrielle globale à l'échelle européenne, utilisant tous les leviers possibles pour favoriser la croissance et générant un emploi diversifié, tant dans ses secteurs que dans ses niveaux de qualification : le soutien à l'innovation, coeur de notre compétitivité ; notre marché intérieur, le premier marché du monde en termes d'habitants comme de PIB ; l'encouragement à produire en Europe.

Cette politique industrielle doit également s'attacher à développer de véritables politiques sectorielles. Les secteurs pertinents sont nombreux, des technologies clés génériques aux énergies, notamment renouvelables, des nanotechnologies à l'aéronautique, l'automobile et l'acier. Le Président de la République l'a annoncé en décembre dernier : en la matière, la France sera au rendez-vous, et nous ferons des propositions dès cette année.

J'ai débuté mon intervention en évoquant la nécessité pour nous, responsables politiques européens, de définir une vision pour l'Europe de demain. Cette vision, nous pouvons la décliner en un certain nombre de grandes politiques européennes, d'une politique industrielle à une politique de sécurité et de défense commune, en passant par une Europe de la culture ou une Europe de l'énergie. Parmi ces projets qui réactiveront l'envie d'Europe, la politique sociale occupe une place spécifique, au sein de laquelle vient s'inscrire notre action pour l'emploi des jeunes.

L'histoire de l'Europe sociale est une histoire tourmentée, parcourue d'obstacles, de retards, de reculs. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus reculer. Nous ne convaincrons les peuples européens de l'efficacité de l'Union qu'en faisant la preuve que l'intégration n'est pas qu'affaire de coordination des politiques budgétaires et économiques, mais qu'elle signifie aussi la préservation et l'amélioration de droits sociaux. Telle est la position que nous défendons dans les discussions sur l'approfondissement de l'Union économique et monétaire.

La convergence sociale ne peut être qu'une convergence par le haut, qui préserve les garanties sociales. Nous avons déjà obtenu qu'un véritable volet social soit inclus dans les travaux qui donneront lieu à un rapport du président du Conseil européen en juin.

Nous devons poursuivre dans cette voie, et accélérer les travaux en cours sur les initiatives spécifiques pour l'emploi des jeunes, que je viens d'évoquer, et plus largement, pour l'ensemble des travailleurs : l'adoption de la révision de la directive sur la reconnaissance des qualifications professionnelles, qui doit faciliter la mobilité ; le renforcement du portail EURES, pour faciliter le rapprochement entre offres et demandes de travail au sein de l'Union européenne ; la sécurisation des parcours professionnels au niveau européen ; enfin, la garantie de la bonne application du droit du travail et la lutte contre les abus.

Au-delà de ces combats que nous menons aujourd'hui, les pistes de réflexion ne manquent pas, de la question d'un salaire minimum européen à la mise en oeuvre d'un véritable dialogue social à l'échelle européenne. L'Europe sociale n'est pas un luxe, encore moins une option : elle devrait être le fondement même de notre projet.

Certains voudraient croire que l'Europe gagnerait à n'être qu'un grand marché, ouvert aux quatre vents de la mondialisation. Ce n'est pas la vision qu'en avaient ses pères fondateurs, ni celle que nous défendons. L'Europe que nous voulons, celle qui nous fera sortir de la crise, doit répondre aux aspirations de ses citoyens, et d'abord à leurs préoccupations les plus évidentes.

L'emploi des jeunes est l'une de ces questions pour lesquelles l'Union doit nourrir une grande ambition, en s'en donnant les moyens. La France se réjouit des progrès accomplis ces derniers mois en la matière. Elle veillera à ce qu'ils soient confirmés et prolongés par de nouvelles mesures concrètes qui, en donnant un corps à cette Europe sociale dont certains commencent à désespérer, permettront de redonner confiance dans l'idéal européen. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

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