Intervention de Philip Cordery

Séance en hémicycle du 21 mars 2013 à 21h30
Débat sur la politique européenne en matière d'emploi des jeunes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilip Cordery, rapporteur de la commission des affaires européennes :

Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires européennes, chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer la nomination de Thierry Repentin comme ministre des affaires européennes et de lui souhaiter la bienvenue dans ses nouvelles fonctions.

Les défis en matière de politique européenne sont immenses et vous êtes aujourd'hui la personne indiquée, monsieur le ministre, pour poursuivre la politique de réorientation de l'Union européenne impulsée par le Président de la République. Je voudrais également rendre hommage à Bernard Cazeneuve pour son action ; nous avons été, au sein de la commission des affaires européennes, satisfaits de notre excellente coopération avec lui. Je suis convaincu, monsieur le ministre, que celle-ci sera tout aussi fructueuse. Ce débat sur l'emploi des jeunes constitue certainement une très bonne transition pour vous.

Que signifie être jeune dans la société européenne d'aujourd'hui ? Malheureusement, vous savez comme moi, mes chers collègues, que la réponse n'est pas porteuse d'espoir.

Être un jeune Européen aujourd'hui, c'est, le plus souvent, faire face à la crise, et se dire qu'en dépit de tous les efforts consentis pour mener à bien ses études, le ou les diplômes obtenus ne seront en rien une garantie d'accès à l'emploi.

Être un jeune Européen aujourd'hui, c'est se battre pour obtenir un stage, trop souvent non rémunéré, se réjouir de décrocher un CDD, rester au domicile des parents jusqu'à un âge où eux-mêmes avaient le plus souvent déjà fondé un foyer et savoir que, si l'on obtient un emploi, on cotisera pour une retraite qui ne sera en rien garantie.

La litanie des taux de chômage des 15-25 ans aujourd'hui en Europe a de quoi donner le tournis. Ils s'établissent en octobre 2012 à 23,4 % dans l'Union européenne, 25,5 % en France, 36,5 % en Italie, 55,9 % en Espagne. Seuls quelques rares pays, comme l'Autriche ou les Pays-Bas, avec des taux de chômage des jeunes inférieurs à 10 %, tirent leur épingle du jeu.

En France, 740 000 jeunes font chaque année leur entrée dans la vie active et subissent de plein fouet les fluctuations du marché du travail dont ils sont, avec les seniors, la principale variable d'ajustement. Derrière ces chiffres se trouvent des citoyens, des jeunes dans des situations de désespoir, qui sont exclus parfois durablement de la société.

Notre devoir, tant au niveau européen que national, est de tout mettre en oeuvre pour lutter contre cette situation dramatique. Il y va de notre cohésion sociale, et le Président de la République en a fait sa priorité absolue. Le Gouvernement, le Parlement y travaillent également sans relâche.

D'ores et déjà, vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, les contrats de génération, qui permettent de favoriser l'insertion des jeunes tout en maintenant l'emploi des travailleurs seniors, et les contrats d'avenir, qui visent à faciliter l'embauche des jeunes éloignés sur le marché du travail, sont autant de mesures importantes que nous avons adoptées dans cette assemblée.

Sous l'impulsion de François Hollande, la Commission européenne a enfin pris conscience du problème. Ainsi elle a lancé, le 5 décembre 2012, une initiative dite « paquet emploi jeunes », constituée de mesures destinées à aider les États membres à lutter contre l'exclusion sociale des jeunes en assurant à ceux-ci des offres d'emploi, d'enseignement ou de formation. Nous ne pouvons que saluer cette initiative.

Parmi ces mesures figure la proposition dite de « garantie pour la jeunesse ». Celle-ci s'inspire largement d'expériences menées en Finlande et en Autriche notamment, ces deux pays ayant mis en oeuvre des politiques volontaristes en la matière qui ont donné de bons résultats.

Ces initiatives, lancées par des gouvernements sociaux-démocrates, et largement soutenues par le parti socialiste européen, ont été reprises en premier lieu, au niveau européen, par le Parlement européen, grâce à la détermination de Pervenche Berès, présidente de la commission de l'emploi et des affaires sociales, que je tiens à saluer.

En qui consiste la « garantie pour la jeunesse » ? Il s'agit d'offrir à chaque jeune, dans les quatre mois qui suivent sa sortie du système scolaire ou la perte de son emploi, une offre de qualité lui permettant de trouver un travail, de suivre une formation, d'entamer un apprentissage ou de reprendre ses études.

Pour ce faire, la Commission appelle les États membres à assurer l'intervention à un stade précoce des services de l'emploi ou d'autres partenaires soutenant les jeunes, et à prendre des mesures d'aide à l'insertion professionnelle. Elle les incite également à tirer pleinement parti du Fonds social européen ainsi que des autres fonds structurels, à évaluer et à améliorer constamment les dispositifs de garantie pour la jeunesse, et enfin à les mettre en oeuvre dans les meilleurs délais.

Cette garantie s'exerce donc dans deux directions : d'une part, en faveur des jeunes diplômés, en leur assurant un accès à une première expérience professionnelle et, d'autre part, en faveur des jeunes ayant quitté l'école ou arrêté leur formation avant la fin de leurs études secondaires supérieures, afin qu'ils reprennent des études ou suivent une formation professionnelle leur permettant d'acquérir les compétences recherchées sur le marché du travail.

Pour faciliter le passage de l'école au monde du travail, ce paquet comporte également un volet de consultation des partenaires sociaux sur un cadre de qualité pour les stages, le but étant que les jeunes puissent acquérir une expérience de travail de qualité dans des conditions sûres. La question de la qualité est tout à fait essentielle et nous devons porter aujourd'hui au niveau européen la question de la rémunération des stages étudiants, comme c'est déjà le cas en France, afin d'éviter des abus trop fréquents.

Le dispositif sera partiellement financé par les fonds de l'Union, qui seront renforcés par une nouvelle initiative. La Commission a proposé que celle-ci soit dotée de 4 milliards d'euros ; à l'issue du Conseil européen, il a finalement été décidé de mettre à disposition 6 milliards d'euros pour la période 2014-2020, financés pour une moitié par le Fonds social européen, et pour l'autre moitié par une ligne budgétaire spécifique consacrée à l'emploi des jeunes.

Cette somme sera allouée aux régions dans lesquelles le taux de chômage des jeunes dépasse 25 %. Certes, il s'agit là d'un investissement important de la part de l'Union européenne et des pays membres, mais celui-ci doit être comparé aux coûts sociaux, humains et économiques considérables qu'implique à moyen et long terme un taux de chômage élevé des jeunes.

L'action du Gouvernement s'inscrit pleinement dans cette dynamique. Le comité interministériel sur la jeunesse vient en effet de confirmer la création d'un nouvel outil de lutte contre le chômage, baptisé également « garantie ». Notre dispositif va cependant au-delà des préconisations de l'Union, puisque cette garantie devrait être complétée par un revenu minimum équivalent au RSA.

À ce stade, au nom de la commission des affaires européennes, je souhaiterais, monsieur le ministre, vous interroger sur un certain nombre de points.

En premier lieu, faut-il réellement circonscrire le champ d'action de la garantie pour la jeunesse aux seules régions dont le taux de chômage des jeunes dépasse les 25 % ? Je comprends la volonté sous-jacente à cette décision : il s'agit en effet d'éviter le saupoudrage et de concentrer les moyens sur les zones les plus touchées. Mais, outre les DOM-TOM, seules quatre ou cinq régions françaises seraient actuellement concernées. La moyenne régionale de taux de chômage ne prend pas en compte les disparités à l'intérieur des régions. Or, il existe dans certaines régions des territoires où la situation de l'emploi des jeunes justifierait la mise en place de cette « garantie jeunes ».

Je pense par exemple au département de la Seine-Saint-Denis, tout près d'ici, où 28,8 % des jeunes sont au chômage alors que la moyenne, dans la région Île-de-France, est inférieure à 25 %. Est-il envisageable de mettre en oeuvre une action nationale complémentaire sur ce point ?

En second lieu, pouvez-vous nous éclairer sur les modalités de mise en oeuvre de cette garantie ? À quelle structure ou organisation sa mise en oeuvre sera-t-elle confiée ? Ces modalités seront-elles définies au niveau européen ou au niveau national ? Enfin, a-t-on une idée de l'articulation entre la garantie européenne et celle que nous allons mettre en oeuvre au niveau national ?

Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons aujourd'hui d'un sujet majeur pour l'avenir de notre pays et de l'Union européenne. L'Europe n'est pas uniquement là pour contraindre les déficits et nous astreindre à la nécessaire rigueur financière : elle se préoccupe aussi de l'avenir de sa jeunesse.

Nous avons tous conscience que la sortie de la crise ne pourra se faire que si l'on prend également en compte la dimension sociale de cette crise.

Le « paquet pour l'emploi des jeunes » et, au premier rang des mesures qu'il contient, la « garantie pour la jeunesse » sont un premier pas décisif. Il en appelle d'autres, mais c'est un premier pas auquel nous apportons un soutien enthousiaste. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, écologiste et RRDP.)

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