Monsieur le ministre, le vice-président de la commission des affaires européennes que je suis, membre de l'opposition, vous souhaite également la bienvenue dans vos nouvelles fonctions.
Le présent débat est important à mes yeux car le sujet, je le crois, est de ceux qui peuvent réconcilier le peuple avec l'idée européenne si malmenée. Il est en effet question de l'avenir de la jeunesse européenne, des générations futures. Même si l'effort est encore insuffisant, il est bon que l'Europe s'engage en faveur d'une politique qui concerne au premier chef les citoyens européens : l'emploi des jeunes, l'emploi de leurs enfants.
La situation a déjà été décrite : chaque année, 740 000 jeunes font leur entrée dans la vie active. Le taux de chômage des jeunes européens n'a jamais été aussi élevé : il touche près d'un jeune sur quatre. Ils sont parmi les premiers à être concernés par le chômage : 5,68 millions de jeunes entre 18 et 25 ans dans l'Union et 3,6 millions au sein de la zone euro. On peut mesurer la tragédie que cela représente, les difficultés graves qu'ils rencontrent ainsi que leurs familles.
Parce qu'ils ont développé des politiques qui ont permis de faire baisser chômage, seuls trois pays européens semblent dans une bonne situation : l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas avec, respectivement, un taux de chômage des jeunes de 7,9 %, 9,9 % et 10,3 %.
La crise économique et sociale a sans aucun doute eu des répercussions massives sur les taux de chômage dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, particulièrement dans le Sud. Jeunes et seniors en paient le prix fort. Le chômage des jeunes ne cesse d'augmenter et atteint aujourd'hui près de deux fois le taux moyen de la population active globale. Il en est ainsi dans de nombreux pays européens. En Espagne, ce taux atteint 55,9 % alors qu'il n'était que de 14 % en 2007 ; il est de plus de 57 % en Grèce, de 28 % en Pologne, de 30 % en Irlande, de 38 % en Italie, de 39 % au Portugal et de 27 % en France – où il dépasse la moyenne européenne, cela a déjà été signalé. En octobre 2012, en Europe, 7,5 millions des 15-24 ans se trouvaient en dehors de tout système d'emploi, d'éducation ou de formation.
Les jeunes sont confrontés, dès la fin de leurs études, à une grande précarité : précarité de l'emploi, d'abord, qui se traduit par la multiplication des stages, des contrats à durée déterminée ou des postes en intérim, précarité économique aussi, qui les contraint à miser sur la solidarité familiale, à prolonger leurs études et parfois à émigrer. Entre 2009 et 2010, les inscriptions dans l'enseignement supérieur ont augmenté de 26 % en Espagne et les étudiants sont surreprésentés parmi les candidats à l'émigration, notamment dans les pays les plus touchés : Irlande, Espagne et Portugal.
À l'âge où ils devraient se lancer, se dire que tout est possible et faire leurs premières armes sur le marché du travail, un grand nombre de ces jeunes sont coupés dans leur élan et se trouvent dans l'impossibilité de faire leurs preuves, par manque d'opportunités. Le diplôme n'est plus la garantie de l'emploi. Si elle s'explique d'abord par les restrictions qu'ont connues tous les États membres de l'Union dans le secteur privé comme dans le secteur public, l'augmentation du chômage des jeunes s'explique aussi par une véritable inadéquation entre la qualité des formations, les besoins du marché du travail et les compétences recherchées par les entreprises, qui se tournent souvent vers la jeunesse des pays émergents.
On observe aussi une immense disparité géographique entre l'offre et la demande, et la situation des jeunes n'est pas la même partout. Dans les pays où l'emploi se porte bien, les jeunes ont naturellement moins de difficultés à trouver un emploi que dans les pays où la croissance est au plus bas. Le chômage des jeunes a un coût réel de plus de 53 milliards d'euros par an, soit 1,2 % du PIB de l'Union européenne, et jusqu'à 2 % dans plusieurs pays d'Europe de l'Est, à Chypre ou en Italie. Il a surtout un coût social grave, car les jeunes n'ont plus confiance en l'avenir.
Des réformes sont adoptées dans l'urgence, qui aboutissent à la banalisation des contrats atypiques. Ainsi, en Grèce, le salaire minimum des jeunes a décru de 700 à 590 euros et la durée maximale des CDD est passée de 24 à 36 mois. Au Royaume-Uni, où le chômage des jeunes est particulièrement important, l'allocation versée aux Britanniques de condition modeste en vue de poursuivre leurs études après seize ans a été supprimée au début de l'année 2011. Partout, on adopte des mesures d'urgence, mais il n'y a aucune stratégie à long terme. Il faut que nous ayons une stratégie cohérente au niveau européen, avec l'ambition d'agir sur les causes structurelles du chômage des jeunes, qui est une réalité depuis le début des années 1980.
La politique sociale, notamment la politique de l'emploi, relève bien sûr de la compétence des États membres – vous y avez fait allusion. Les États conservent leur pouvoir d'initiative, mais l'Union européenne coordonne les actions des États membres, les rend cohérentes, donc plus efficaces. Elle agit pour l'uniformisation des cursus universitaires, pour la promotion de la mobilité universitaire et professionnelle, pour les échanges culturels et pour l'amélioration du fonctionnement des marchés du travail, avec le portail EURES. Elle garantit la qualité de la formation, avec le processus de Bologne, comme celle des premières expériences professionnelles.
Le commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'inclusion, Laszlo Andor, a proposé, le 5 décembre dernier, un « paquet emploi jeunes », qui contient des mesures destinées à aider les États membres à lutter contre l'exclusion sociale des jeunes. La commissaire Androulla Vassiliou, en charge de l'éducation, de la culture, du multilinguisme et de la jeunesse est venue mardi dernier en commission des affaires européennes. Elle a présenté le mécanisme de garantie, largement inspiré d'expériences menées aux Pays-Bas et en Autriche – ainsi, naturellement, que le programme « Erasmus pour tous », dont vous avez tout à l'heure souligné les mérites, monsieur le ministre.
Par ce mécanisme de garantie, la Commission souhaite offrir à chaque jeune, dans les quatre mois qui suivent sa sortie du système scolaire ou la perte de son emploi, une offre de qualité lui permettant de trouver un travail, de suivre une formation ou de reprendre ses études. Les États sont invités à tirer pleinement parti du fonds social européen, le FSE, ainsi que des autres fonds structurels à leur disposition. Une Alliance européenne pour l'apprentissage a été créée et un document de consultation des partenaires sociaux européens lui a été annexé, qui doit permettre de dessiner un cadre de qualité pour les stages. La Commission avait proposé de débourser 4 milliards d'euros de garantie ; cette somme a été portée à 6 milliards d'euros lors de la réunion des ministres du travail européens, qui s'est tenue le 28 février.
La commissaire Vassiliou nous a invités à identifier les filières d'avenir susceptibles de créer des emplois qualifiés et pérennes. Cette garantie ne doit pas être considérée comme le seul traitement du chômage, mais comme un outil de coopération européenne entre les États membres pour offrir un avenir aux jeunes. La présidence irlandaise avait prévu de mettre sur la table ce dispositif clé en faveur de l'emploi pour les jeunes. Un accord politique a été trouvé. Tous les jeunes de moins de vingt-cinq ans qui perdent leur emploi ou ne trouvent pas de travail après la fin de leurs études se verront proposer, dans un délai de quatre mois, une offre de bonne qualité consistant en un emploi, un complément de formation, un apprentissage ou un stage.
Le dispositif présente tout de même une limite, qui a déjà été soulignée par d'autres de mes collègues : les sommes seront allouées aux seules régions dans lesquelles le taux de chômage des jeunes dépasse 25 %, ce qui mérite d'être affiné, et même corrigé. Ces mesures devront se traduire en actes dans les meilleurs délais, de préférence dès 2014. Pour les pays en grave difficulté, la mise en oeuvre sera progressive. Le FSE financera le projet pour moitié, et une ligne spécifiquement consacrée à l'emploi des jeunes sera créée pour financer l'autre moitié. Consacrer 6 milliards d'euros sur sept ans à cette garantie jeunesse, alors que l'Union compte 27 États membres, ce n'est évidemment pas suffisant, mais c'est un premier pas.
Martin Schulz, le Président du Parlement européen, a exhorté les États membres à trouver des solutions durables. Il craint, sinon, que nous n'ayons une génération perdue. Il a déclaré que l'Union européenne avait réussi à sauver ses banques en dépensant 700 milliards d'euros, mais qu'elle risquait de perdre, dans le même temps, une génération entière, qui aurait dû accéder à l'emploi. « Si la nouvelle génération perd confiance, a-t-il déclaré, alors je pense que l'UE est en danger ».
La proposition de résolution qui a été adoptée le 17 janvier à une très large majorité, souligne que « la garantie pour la jeunesse n'est pas une garantie d'emploi, mais un instrument grâce auquel tous les jeunes citoyens de l'Union européenne et résidents légaux âgés de 25 ans au maximum, ainsi que les diplômés récents de moins de 30 ans, se voient proposer un emploi, une formation continue ou un apprentissage de bonne qualité ».
En ce qui concerne la France, selon une enquête de la Direction des études et des statistiques du ministère du travail, la proportion de jeunes âgés de 15 à 29 ans ayant un emploi – ce que l'on appelle le taux d'activité – est passée sous la barre des 45 %. Le taux d'activité recule tandis que le nombre de chômeurs s'accroît et que le taux de chômage s'établit à 27 %, ce qui est très inquiétant.
D'après le baromètre Prisme-Opinion Way du 18 mars dernier, seuls 18 % des jeunes de moins de 26 ans se disent optimistes quant à la situation de l'emploi en France et quant à leur propre situation. Les Français ont globalement le sentiment qu'il est difficile d'accéder à l'emploi.
Seuls 44 % des jeunes qui ont un emploi estiment qu'ils n'auraient pas de difficulté à se faire embaucher s'ils étaient en situation de recherche. Par ailleurs, ils sont de plus en plus nombreux à penser qu'accepter un travail en intérim leur permettra d'accéder à un emploi plus rapidement. Or un rapport de l'OCDE montre que les premières expériences sur le marché de l'emploi conditionnent fortement la trajectoire professionnelle : un bon départ facilite l'insertion et jette les bases d'une carrière intéressante, alors qu'un échec, ou un travail en intérim, peut poser des problèmes difficiles à surmonter. La part des embauches en CDD a atteint 81,7 % au début de cette année, dans les entreprises de plus de dix salariés : c'est son plus haut niveau depuis que ce taux a été créé en 1999.
Il va de soi que l'emploi des jeunes relève d'abord de la responsabilité du Gouvernement et que l'Europe ne peut qu'apporter de l'aide. Lorsqu'il a défendu sa motion de censure hier, Jean-François Copé a eu raison d'insister sur les décisions, à nos yeux très graves, qui ont été prises par François Hollande et son gouvernement : elles augmentent le coût du travail et affaiblissent notre compétitivité.
Dans le seul but d'abolir les décisions du gouvernement précédent, le gouvernement actuel a commis des erreurs majeures, en rayant d'un trait de plume des avancées décisives pour notre économie. Je veux parler de la défiscalisation des heures supplémentaires, du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux, qui allait dans le sens de la réduction des dépenses, de la retraite à soixante-deux ans, et de la création d'une taxe anti-délocalisation. Il est d'ailleurs intéressant de noter que les décisions qu'avait prises le précédent gouvernement sont celles qu'ont également prises l'Autriche, l'Allemagne et les Pays-Bas, pays dont nous nous inspirons au plan européen.
Aujourd'hui, le chômage des jeunes ne cesse d'augmenter, comme celui du reste de la population : on enregistre 1 000 chômeurs de plus chaque jour et le seuil des 10 % a été franchi. Malgré la création d'emplois publics et la multiplication des emplois aidés, le Gouvernement reconnaît lui-même que le chômage va continuer d'augmenter. Le matraquage fiscal dans lequel le Gouvernement s'est engagé asphyxie par ailleurs les entreprises et tue l'emploi. Il n'est pas étonnant que, face à cette situation, les jeunes soient de plus en plus inquiets pour leur propre avenir.
Par la loi de refondation de l'école, le Gouvernement a également abrogé un dispositif d'apprentissage qui était ouvert aux jeunes dès l'âge de 14 ans. Je trouve un peu paradoxal que le Gouvernement revienne sur cette mesure au moment même où la Commission européenne met l'accent sur l'apprentissage en créant une Alliance européenne, et après qu'elle a notifié à la France, à l'occasion du semestre européen, qu'elle devrait faire des efforts plus importants en la matière. Même la présidente de la région Poitou-Charentes, Ségolène Royal, a déploré cette « regrettable suppression », contraire au bon sens et correspondant à une « idéologie dépassée vu la gravité de l'échec scolaire ».
Il faut renforcer l'accès à la formation des jeunes peu ou pas qualifiés. Madame Vassiliou nous a expliqué que deux millions d'offres d'emplois ne trouvent pas preneurs en Europe, dans certaines branches à haute qualification, du fait de la formation inappropriée des jeunes.
Beaucoup sont en situation d'illettrisme. Au sein de la population française, 12 % des personnes âgées de 18 à 65 ans rencontrent de très graves difficultés à l'écrit et sont en situation d'illettrisme. Les deux tiers d'entre eux ont pourtant été scolarisés et 4,8 % des jeunes de 17 ans sont concernés, d'après les chiffres de la journée défense européenne. Ce sont environ 100 000 jeunes qui, chaque année, recherchent du travail, sans maîtriser l'écrit. Nous devons évidemment intensifier la lutte contre l'illettrisme et permettre à tous d'entrer dans le marché de l'emploi.
En conclusion, il est indispensable, au niveau national, de revoir complètement la politique économique et sociale du Gouvernement, en mettant l'accent, comme Gerhard Schröder l'a fait il y a dix ans en Allemagne – puisque l'Allemagne semble être un modèle – sur la compétitivité des entreprises, car ce sont elles qui fournissent évidemment l'essentiel des emplois.
Si nous exprimons notre très grande inquiétude face aux orientations du Gouvernement en France, nous nous réjouissons, avec nos collègues du parti populaire européen élus au Parlement européen, notamment Françoise Grossetête, des mesures que l'Union européenne a adoptées.
Je terminerai, monsieur le ministre, en vous posant deux ou trois questions. Le « paquet emploi jeune » ayant un coût budgétaire important, quels moyens, notamment financiers, vont être mobilisés par l'Union européenne pour soutenir l'introduction de cette garantie dans tous les États membres ? Ensuite, comment la Commission compte-t-elle inciter les États à attribuer une partie de leur dotation en Fonds social européen pour développer la garantie pour la jeunesse ? Enfin, comment la Commission compte-t-elle stimuler la coopération entre les différents niveaux de gouvernance, les partenaires sociaux, les services de l'emploi et les instituts de formation ?