Je ne veux pas prolonger à l'excès cet excellent débat, qui a mis en lumière une réelle unanimité pour reconnaître que le Conseil européen a quand même réalisé une avancée au profit de la jeunesse. Certains sont parfois enthousiastes alors que d'autres font preuve d'une plus grande réserve car ils estiment que cette avancée n'est pas forcément à la hauteur de leurs attentes. On peut le comprendre, mais je veux apporter quelques éléments d'explication.
On m'a demandé quelles seraient les modalités définies au niveau européen pour l'utilisation des 6 milliards d'euros qu'il a été décidé de consacrer à l'emploi des jeunes lors du sommet de février. Ces modalités seront déterminées dans le cadre de deux négociations en cours. D'une part, le règlement fixant le cadre financier pluriannuel fait actuellement l'objet d'une négociation avec le Parlement européen, lequel a indiqué sa position et devrait se prononcer en juin. D'autre part, la deuxième négociation porte sur les propositions de règlement présentées par la Commission le 12 mars, qui régissent plus spécifiquement les modalités d'utilisation de ce fonds de 6 milliards d'euros.
Lors de ces négociations, la France sera très vigilante quant à la détermination des conditions d'utilisation de ces 6 milliards : en effet, je l'ai dit tout à l'heure à la tribune, nous espérons récupérer environ 600 millions d'euros. Si nous nourrissons cet espoir, c'est parce que nous mobiliserons, pour déterminer les jeunes qui en auront besoin, le réseau des missions locales jeunes. Ces 460 missions implantées dans tout le territoire connaissent bien ces jeunes, dont beaucoup ne sont même pas inscrits à Pôle emploi faute de pouvoir prétendre à une indemnisation. Vous le savez bien, puisque vous les rencontrez dans les territoires dont vous êtes les élus.
Quelqu'un l'a dit à la tribune avant moi – je crois que c'est vous, madame Massonneau – : la France n'a pas attendu la décision de cette « garantie jeunes », qui date de février, puisque le Gouvernement avait décidé, à l'occasion du comité interministériel de lutte contre les exclusions organisé en janvier – donc un mois auparavant –, de prendre des dispositions visant à aller chercher les jeunes durablement exclus de l'emploi en mobilisant les missions locales jeunes. Pourquoi l'avoir fait avant ? Eh bien, je ne porte pas de jugement sur l'action des gouvernements précédents, mais je crois que personne ne peut contester que la politique de ce Gouvernement procède d'une réelle volonté d'agir sur cette cible.
En septembre dernier, les régions de France étaient invitées à l'Élysée pour signer l'engagement de diminuer par deux, en cinq ans, le nombre de jeunes sortis du dispositif scolaire sans formation. Le comité de lutte contre l'exclusion s'est tenu en janvier. Fin novembre, entre ces deux dates, Michel Sapin et moi-même avons écrit à l'ensemble des vingt-deux présidents de région pour leur demander de mettre en place des pactes régionaux visant à la formation et à l'emploi des jeunes : l'objectif était d'aller chercher un par un ces jeunes inscrits dans les missions locales jeunes pour leur faire une proposition de formation diplômante, qualifiante, reconnue par une branche. Il y a deux jours, dix-huit régions étaient engagées dans la signature de ce pacte avec l'État : cela signifie qu'elles mobiliseront elles-mêmes des moyens financiers spécifiques pour les jeunes décrocheurs, les mêmes qui sont visés depuis le mois de février par la Commission européenne qui mobilise pour cela 6 milliards d'euros.
Il s'agit donc d'une avancée importante du Conseil européen, qui apporte de l'argent et affirme la nécessité de lutter contre le chômage des jeunes ; elle vient s'ajouter à des initiatives comme celle prise par la France depuis le mois de septembre dernier, ou que peuvent prendre d'autres pays.
Finalement, notre pays s'était engagé à l'origine dans cette démarche sans compter sur ces 6 milliards d'euros supplémentaires, dont nous allons sans doute bénéficier à hauteur de 600 millions d'euros. Ainsi, si certains ont considéré cette mesure comme insuffisante, il s'agit en tout état de cause de quelque chose que nous n'avions pas anticipé, même si, à l'occasion du Conseil européen, le Président de la République s'est beaucoup battu, soutenu par d'autres pays, notamment par notre partenaire allemand, pour inscrire cette ligne dans les derniers arbitrages. Il s'agit donc d'un plus par rapport à ce que nous avions engagé. Même si nous pensons qu'évidemment l'Union européenne doit faire plus, réjouissons-nous de cette avancée !
Votre rapporteur a demandé pourquoi cette mesure serait appliquée au niveau des régions. Cette initiative du Conseil européen en faveur des jeunes figure dans la rubrique du cadre financier pluriannuel de l'Union européenne consacrée aux fonds de cohésion. Ainsi, les règles qui s'appliquent à l'initiative jeune sont les mêmes que celles qui régissent l'ensemble des fonds de cohésion, pour lesquels la région est effectivement l'unité de référence.
Quant au seuil des 25 %, je comprends que certains – notamment les élus des régions qui ne seront pas éligibles – eussent aimé le baisser afin que la mesure puisse s'appliquer à un plus grand nombre de territoires. Cependant, vous savez comme moi que si l'enveloppe reste identique, plus vous élargissez son territoire d'application, moins les fonds répartis exercent un effet de levier réel sur les territoires.
J'observe d'ailleurs que nous avons nous-mêmes, dans le cadre de certaines politiques nationales, des règles qui excluent certains territoires qui pourraient néanmoins être aidés. C'est le cas, par exemple, pour la politique de la ville. En dehors des territoires ANRU, il est impossible de percevoir des aides : même si une ville comporte un quartier qui connaît une vraie précarité, le critère de chômage ou de poids de population n'est pas respecté. Il en est de même pour la définition des zones de revitalisation rurale, ou encore pour les politiques d'application de la « loi montagne » qui nécessitent de remplir des conditions d'altitude moyenne et de pente. Certains territoires auraient besoin de la PAC, mais ils en sont exclus à cause d'effets de seuil que l'on peut regretter. Ainsi, on peut déplorer les effets de seuil suscités par les règles européennes, mais nous faisons de même dans notre pays.
S'agissant des stages, nous saluons l'initiative européenne d'examiner leur utilisation réelle par les entreprises, afin d'éviter – permettez-moi l'expression – l'exploitation d'une partie de la jeunesse qui exercerait un vrai travail dissimulé derrière un stage. Avec Michel Sapin, nous avons pris l'engagement de proposer, avant la fin de l'année, des dispositions en vue d'encadrer le recours aux stages, en renforçant notamment les droits des stagiaires. Vous aurez à connaître de ces évolutions au cours des prochains mois, notamment en commission des affaires sociales.
Au-delà des 6 milliards d'euros de la « garantie jeunes », il faut souligner d'autres avancées, concernant notamment « Erasmus pour tous » : le budget de ce dispositif passe de quelque 8 à 13 milliards d'euros. Ce n'est pas non plus suffisant, mais dans une période où les arbitrages budgétaires sont difficiles, y compris à l'échelle de l'Union européenne, il s'agit quand même d'une avancée. Au-delà de l'avancée financière, monsieur Vercamer, il importe aussi de souligner l'élargissement de la cible, notamment aux apprentis – je suis sûr que vous serez tous d'accord sur ce point. Il s'agit d'une reconnaissance de la formation par alternance. On atténue les mesures de ciblage qui stigmatisaient les apprentis, comme s'ils ne devaient pas eux aussi avoir la chance de pouvoir passer une partie de leur formation dans un pays étranger. Les apprentis ont également le droit d'acquérir une expérience à l'extérieur de nos frontières ! Pour ma part, je m'en réjouis, car cela revient en quelque sorte à reconnaître l'égale dignité de la formation par apprentissage.
Vous avez regretté, monsieur Lequiller, qu'une disposition d'une loi votée la semaine dernière dans cet hémicycle interdise désormais d'entamer un apprentissage à partir de quatorze ans. Cependant, vous le savez aussi, même si vous avez sans doute omis de le dire tout à l'heure : il existe une directive européenne qui, paradoxalement, ne permet pas l'apprentissage avant la fin de l'âge légal de la scolarisation, et en tout état de cause pas avant quinze ans. Au cours d'une législature précédente, la France avait ouvert cette possibilité à partir de quatorze ans : nous revenons donc au droit européen – l'Europe peut aussi servir de référence pour faire évoluer nos dispositions nationales !
Au-delà de l'âge, j'ai la conviction que c'est la solidité des compétences générales qui permet aux personnes d'évoluer dans la suite de leur carrière. La lutte contre le décrochage doit passer aussi par un suivi personnalisé, notamment pour les jeunes qui choisissent l'apprentissage ; je me réjouis que vous ayez été nombreux sur ces bancs à voter, en loi de finances, une somme de 2 millions d'euros pour accompagner des jeunes de quinze ans aux profils difficiles et éviter des ruptures qui sont déjà trop nombreuses.
Sans vouloir être exhaustif, je termine mon intervention par quelques derniers éléments. Nous oublions de valoriser ce que nous faisons – c'est plus facile à faire pour un membre du Gouvernement, qui a porté un certain nombre de ces dispositions. On évoque les 6 milliards d'euros de l'Union européenne à destination des jeunes décrocheurs, mais il faudrait aussi valoriser les 2 milliards d'euros des emplois d'avenir, qui visent les mêmes jeunes, c'est-à-dire ceux qui n'ont aucune formation, et qui ne font pas concurrence à l'apprentissage. Je signe tous les jours, sur le territoire national, des emplois d'avenir, et je peux vous dire qu'ils s'adressent à des jeunes qui n'ont, à vingt-cinq ans, aucune formation ou très peu de formation, et qui se trouvent en tout état de cause en dehors de tout système de réinsertion professionnelle.
Ainsi, à l'occasion de ce débat, on devrait admettre que les 6 milliards d'euros apportés par l'Union européenne constituent un effet de levier fabuleux, mais que rien n'interdit aux États membres de faire, au titre de leurs compétences nationales, ce que nous avons fait en France pour les emplois d'avenir. Rien n'interdit non plus à d'autres pays d'adopter une législation de mobilisation pour l'emploi, ou de copier notre dispositif du contrat de génération, lequel est aussi ouvert aux jeunes en formation par alternance dans l'entreprise. Ce petit alinéa a échappé à beaucoup de journalistes, qui regardent souvent les choses de trop loin.
Aujourd'hui, nous faisons de la pédagogie et nous disons aux chefs d'entreprise : « Prenez des jeunes en formation, en apprentissage, nous savons que vous y êtes sensibles. Vous profiterez de tous les dispositifs qui allègent la charge dès lors que vous embauchez un apprenti et vous bénéficierez pendant trois ans de la prime de 12 000 euros liée au maintien durable dans l'entreprise de jeunes en formation. »
Nous pourrions débattre encore longtemps de cette question. Je souhaitais vous apporter les quelques éléments que j'avais en tête. Cette liste n'est pas exhaustive et Bernard Cazeneuve vous aurait répondu avec beaucoup plus de compétence que moi. C'est aussi une façon de lui rendre hommage ce soir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)