La présente proposition de loi, déposée au Sénat le 1er juin 2012 par M. Jacques Mézard, président du groupe du rassemblement démocratique et social européen (RDSE), a été adoptée en décembre dernier. Un texte identique fut déposé à l'Assemblée nationale le 23 janvier dernier par M. Roger-Gérard Schwartzenberg, président du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste (RRDP). Il vise à soumettre la recherche sur les cellules souches embryonnaires à un régime d'autorisation encadrée.
La recherche sur l'embryon humain et sur les cellules souches embryonnaires qui en sont dérivées constitue l'un des problèmes les plus sensibles de la bioéthique car il touche aux origines de la vie. Sujet récurrent depuis 1994, il figurait parmi les plus discutés lors de la révision de la loi de bioéthique en 2011.
En 1994, la loi avait posé le principe d'une interdiction absolue de la recherche sur l'embryon. En 2004, ce principe avait été maintenu, mais assorti de dérogations pour une période de cinq ans. Comme l'a souligné M. Axel Kahn, directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), ancien membre du Comité consultatif national d'éthique, lorsque nous l'avons auditionné à la fin de ce moratoire, le législateur avait alors le choix entre deux solutions : maintenir l'interdiction des recherches ou les autoriser de manière encadrée. Il a opté pour une solution hybride.
Le régime actuel, prévu par l'article L. 2151-5 du code de la santé publique tel que modifié par la loi de 2011, repose sur une interdiction de principe de la recherche sur les embryons, assortie de dérogations. L'affichage d'un interdit symbolique, dont on peut comprendre l'intention, recouvre en réalité une autorisation qui ne dit pas son nom.
Dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique du 6 août 2004, de nombreuses instances se sont prononcées sur la question de la recherche sur l'embryon. La commission des affaires sociales du Sénat avait adopté un texte en ce sens lors de la discussion de la loi de bioéthique de 2011, tout comme notre Assemblée l'avait fait en première lecture de la loi de bioéthique de 2004. Le Comité national consultatif d'éthique, l'Académie de médecine, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST), le Conseil d'État, une partie des députés membres de la mission d'information sur la révision des lois de bioéthique, enfin les citoyens ayant participé aux états généraux de la bioéthique, ont tous préconisé la mise en place d'un régime d'autorisation encadrée de la recherche.
Pourquoi ne pas les avoir entendus ?
Plusieurs arguments ont été à l'époque invoqués en faveur de la pérennisation du régime d'interdiction avec dérogations.
Il s'agissait tout d'abord d'affirmer un interdit symbolique fort, et de refuser de considérer l'embryon comme un matériau de recherche. Nous approuvons cet objectif mais le régime mis en place en 2011 non seulement ne s'avère pas plus protecteur qu'un régime d'autorisation encadrée mais paraît en outre de nature à stigmatiser la recherche. Ainsi, comme l'a clairement souligné le Conseil d'État dans son étude sur la révision des lois de bioéthique, « afficher le principe d'une interdiction là où les projets sont autorisés en quasi-totalité revient à créer un paradoxe peu souhaitable. »
Ainsi, au 1er mars 2013, 198 autorisations avaient été délivrées par l'Agence de la biomédecine (ABM), 79 concernant des protocoles de recherche dont 54 portant sur des cellules souches embryonnaires, 12 sur des embryons, 29 concernant la conservation de cellules souches embryonnaires et 50 leur importation.
Surtout, le régime actuel n'est pas plus protecteur pour les embryons. En effet, si l'on considère que l'embryon doit être respecté en tant qu'être humain dès sa conception, il faut non seulement interdire toute recherche mais interdire aussi la production d'embryons surnuméraires dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation. Car, comme nous l'a rappelé M. Jean-Claude Ameisen, président du Comité national consultatif d'éthique, « on ne protège pas l'embryon humain de la destruction en interdisant la recherche. La question éthique première est celle de la destruction de l'embryon humain » ne faisant plus l'objet d'un projet parental. C'est peut-être même en raison de la faiblesse de notre législation concernant la destruction de l'embryon in vitro, paradoxalement autorisée sous conditions, que le législateur a été « conduit à faire peser, par une forme de compensation, une charge symbolique supplémentaire ailleurs, en l'occurrence sur la recherche », poursuivait M. Ameisen.
On a estimé, en 2011, que le système dérogatoire ne portait pas préjudice à la recherche et pouvait être assimilé de fait à une autorisation encadrée. Et en effet, les statistiques de l'Agence de la biomédecine traduisent un grand dynamisme de la recherche française en la matière.
En vérité, le texte actuel stigmatise nos chercheurs et tend à les isoler sur la scène internationale, tant le système mis en place en France est incompréhensible à l'étranger. Les professeurs José-Alain Sahel, directeur de l'Institut de la vision, Philippe Menasché, chirurgien cardiaque à l'hôpital européen Georges Pompidou et directeur de recherches à l'INSERM sur les thérapies cellulaires en pathologie cardio-vasculaire, et Marc Peschanski, directeur scientifique de l'Institut des cellules souches pour le traitement et l'étude des maladies monogéniques (I-Stem), ont fait état des obstacles rencontrés par leurs équipes et des difficultés d'accès à certains financements en raison de l'illisibilité de la loi française.
S'y ajoute une véritable insécurité juridique qui nous prive de progrès thérapeutiques majeurs. La rédaction actuelle de la loi est source de contentieux qui retardent le lancement de certains projets scientifiques. Onze procédures, engagées par la fondation Jérôme Lejeune, sont aujourd'hui en cours contre des décisions d'autorisation de recherche sur l'embryon ou sur les cellules souches embryonnaires, accordées essentiellement à l'INSERM et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) par l'Agence de la biomédecine, au motif que celle-ci n'avait pas prouvé l'impossibilité de mener ces recherches par d'autres méthodes. Or, en matière de recherche fondamentale, une telle preuve ne peut pas être apportée.
Enfin, il a été considéré, en 2011, que l'existence de méthodes alternatives de recherche rendait inutile l'autorisation encadrée des recherches sur l'embryon.
Ce débat a récemment été relancé par l'attribution du prix Nobel de physiologie et de médecine à John Gurdon et Shinya Yamanaka, qui ont démontré la possibilité de faire régresser des cellules adultes jusqu'au stade de la pluripotence.
Même si d'autres techniques se révèlent prometteuses, la recherche sur les cellules souches embryonnaires conserve toute sa pertinence thérapeutique. L'année 2011 a ainsi été marquée par les premiers essais cliniques utilisant des dérivés de cellules souches embryonnaires humaines. Ensuite, certaines recherches ne peuvent être menées que sur l'embryon, notamment celles concernant son développement précoce. Enfin, l'efficacité et les effets des autres méthodes, notamment des cellules iPS (induced pluripotent stem cells, cellules souches pluripotentes induites) ne sont pas encore suffisamment connus et leur utilisation pose, elle aussi, des problèmes éthiques. Il faut envisager la possibilité que des hommes demandent une « reprogrammation » de leurs cellules, pouvant éventuellement conduire, un jour, à la naissance d'un bébé possédant l'entièreté de leur génome.
Il existe un véritable consensus pour reconnaître que les recherches sur les cellules souches adultes et les cellules reprogrammées n'ont pas vocation à se substituer, en l'état actuel des connaissances scientifiques, à la recherche sur les cellules souches embryonnaires, mais qu'elles en sont le complément nécessaire. La plupart des chercheurs que nous avons entendus ont déclaré mener ces différents types de recherche en parallèle.
Il n'y a aucune « appétence » particulière des scientifiques pour la recherche sur les cellules souches embryonnaires : si, à l'avenir, d'autres méthodes s'avèrent plus efficaces, elles évinceront naturellement cette dernière.
En 2004, notre manque de recul pouvait expliquer le choix d'un régime d'interdiction avec dérogation. En revanche, le texte de la loi de 2011 est allé plus loin : par le biais de dérogations pérennes, et non plus provisoires, il autorise de fait la recherche sur les embryons, tout en l'assortissant de conditions restrictives parfois impossibles à remplir, sources d'insécurité juridique et de confusion pour nos concitoyens. C'est pourquoi il est aujourd'hui proposé de modifier la loi sur ce point.
Le régime d'autorisation encadrée est-il la voie ouverte à toutes les dérives ? Est-il moins respectueux du statut de l'embryon ? Non, car l'autorisation n'implique pas un droit systématique mais offre une simple faculté. La plupart des comités éthiques considèrent le consentement parental comme nécessaire mais non suffisant pour la manipulation des embryons créés in vitro. S'y ajoutent des autorisations accordées par des commissions scientifiques et techniques, ce qui donne à ces embryons, sinon pas plus de droits qu'aux autres, du moins une meilleure protection, en instituant une sorte de tutorat de la collectivité.
S'inscrivant dans cette logique, la présente proposition de loi maintient le statut d'exception de la recherche sur l'embryon et sur les cellules souches embryonnaires, faisant ainsi droit au respect qui leur est dû.
Ainsi, comme à l'heure actuelle, quatre conditions strictes encadreront toute autorisation de recherche et il reviendra à l'Agence de la biomédecine d'autoriser les protocoles de recherche, après vérification du respect de toutes les conditions légales, comme elle l'a fait jusqu'ici avec la plus grande rigueur depuis 2006. Je rappelle à cette occasion que l'agence ne se fonde pas uniquement sur des avis scientifiques pour prendre ses décisions : son comité d'orientation, réunissant des scientifiques et des représentants de la société civile, est appelé à se prononcer sur chaque dossier ; les considérations éthiques sont donc présentes pendant l'instruction de celui-ci.
La première condition demeure inchangée, prévoyant que la pertinence scientifique de la recherche doit être établie.
Deuxièmement, « la recherche, fondamentale ou appliquée, doit s'inscrire dans une finalité médicale ». Nous reprenons ici la formulation proposée dans le rapport d'information de notre Assemblée en vue de la dernière révision de la loi de bioéthique.
La troisième condition porte sur le caractère subsidiaire des recherches sur l'embryon. « En l'état des connaissances scientifiques, cette recherche ne peut être menée sans recourir à ces embryons ou ces cellules souches embryonnaires. »
Enfin, la quatrième condition prévoit que « les projets de recherche et les conditions de mise en oeuvre des protocoles doivent eux-mêmes respecter les principes éthiques relatifs à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires ». Cet alinéa n'est pas modifié par la présente proposition de loi.
De plus, le consentement parental demeurera une condition sine qua non. Il est prévu, comme le législateur en a décidé en 2004 et en 2011, que le couple doit consentir aux recherches par écrit, après un délai de réflexion de trois mois. Il doit être informé des possibilités d'accueil des embryons par un autre couple ou d'arrêt de leur conservation. Enfin, le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant est révocable sans motif tant que les recherches n'ont pas débuté.
Existerait-il une conception de droite ou de gauche de la bioéthique ? Je ne le crois pas. Ces questions complexes, mobilisant des convictions souvent personnelles, transcendent les clivages politiques traditionnels. De même, il est impossible de ramener le débat à une opposition simpliste entre partisans forcenés ou détracteurs du progrès scientifique, ou entre, d'un côté, ceux qui considéreraient l'embryon comme un simple matériau de laboratoire et, de l'autre, ceux qui lui accorderaient l'attention et la dignité qu'il mérite. Toute solution ne peut résulter que d'un compromis, et nul ne possède la réponse à l'énigme que constitue pour nous l'embryon humain. Si nous avons souhaité modifier la loi de 2011, c'est parce qu'elle a introduit une ambiguïté juridique et morale qui nuit à la recherche, sans pour autant mieux protéger l'embryon.
Ce texte ne remet donc pas en cause la philosophie générale de la loi de bioéthique et maintient l'équilibre entre le respect de l'embryon comme être en devenir et les perspectives offertes par la recherche. Il fait simplement le choix de la lisibilité et de la responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens. C'est pourquoi je vous invite à l'adopter.