J'invite nos collègues à adopter sur des sujets aussi sensibles des positions moins tranchées, triomphantes ou binaires.
La loi de 2011 a mis en place, de façon consensuelle, une certaine procédure. J'avais proposé qu'on puisse modifier les lois de bioéthique dès que nécessaire. L'opposition de l'époque préférait une formule de révision régulière, tous les sept ans. Ce que nous avons voté, hormis le cas où une découverte scientifique viendrait à bouleverser les équilibres. Nous avons précisé aussi, par amendement adopté à mon initiative, que chaque modification législative devrait être précédée d'états généraux, comme le traduit sur un autre thème le courrier du président Jean-Claude Ameisen. Car il ne s'agit pas d'un sujet aussi simple qu'on pourrait le croire. Or, voilà qu'aujourd'hui nous légiférons au bout d'un an et sans états généraux, donc sans débat public préalable, alors même que, à côté des scientifiques qui plaident toujours en faveur de la recherche, les citoyens se montrent extrêmement prudents quant au statut de l'embryon, être en devenir et non pas objet.
La bioéthique repose à la fois sur le pragmatisme et sur le symbolique, avec des conflits de valeurs portant sur la dignité de la personne humaine dès sa conception – référence constitutionnelle et non pas biblique – et autour de la nécessité de progresser sur le plan scientifique.
La loi Veil sur l'interruption volontaire de grossesse protège le foetus et autorise néanmoins, par dérogation, le droit à l'avortement. C'est là une constante du droit français, jamais abandonnée jusqu'ici, que d'affirmer la protection avant de prévoir des dérogations.
Certains feront valoir qu'entre l'autorisation encadrée et l'interdiction avec dérogation, il existe la même différence qu'entre blanc bonnet et bonnet blanc. Dans ce cas, ne serions-nous pas en train de discuter du sexe des anges dans Byzance assiégée par une crise économique ? Non, car s'il y a probablement peu de différence pour le chercheur, il n'en demeure pas moins que la position adoptée par la France revêt une portée symbolique sur le plan international. Ce n'est pas parce que certaines pratiques ont cours dans certains pays qu'on doit les autoriser chez nous. Au Brésil, on vend son rein pour quelques reals et la gestation pour autrui est autorisée dans certains pays européens… Attention donc à ne pas céder au moins disant éthique au nom du mieux disant scientifique et de la performance !
Il existe bien sûr des alternatives à la recherche sur les embryons et les lignées de cellules embryonnaires. Shinya Yamanaka, aujourd'hui prix Nobel, a montré que des cellules souches adultes pouvaient fournir des résultats supérieurs à ceux permis par des lignées embryonnaires. La recherche sur l'embryon demeure néanmoins nécessaire car cette « potentialité de personne humaine » n'est pas un objet et mérite que l'on progresse sur sa connaissance ainsi que sur ses traitements, lesquels peuvent d'ailleurs servir à d'autres stades.
Les scientifiques sont-ils aujourd'hui en France gênés dans leurs travaux de recherche ? L'ont-ils été par le moratoire : comment lancer un programme de recherche en sachant qu'au bout de trois ans il faudra peut-être l'arrêter ?
C'est pourquoi nous avons choisi un régime de dérogations pérennes. Ainsi, tout chercheur bénéficie d'une continuité dans ses travaux – du moins si les majorités parlementaires changeantes ne modifient pas chaque fois les lois de bioéthique – à la condition d'oeuvrer pour le progrès médical et non pour tester des cosmétiques…
Vous avez dit, madame la présidente, que la France était en retard. Relisez donc ce qu'a écrit Mme Sylviane Agacinski sur les lois de bioéthique : elle rappelle que la France est, au contraire, en avance, parce qu'elle est protectrice.
Ulysse, au large de l'île des sirènes, fait boucher à la cire les oreilles de ses hommes d'équipage et lui-même se fait attacher au mât afin de résister à la tentation de succomber à leurs charmes trompeurs. Il ne s'interdit pas d'entendre leur chant : il veut au contraire le connaître mais y résister. « Un homme, cela s'empêche », disait Albert Camus, mais par des liens humains. Ce chant s'appelle aujourd'hui lobbying avec, à la clé, d'importants intérêts financiers. De ce lobbying, les députés doivent se garder comme Ulysse du chant des sirènes : il faut avoir connaissance du progrès mais ne pas s'y fourvoyer. Tel est le projet qui nous anime.