Intervention de Annick Le Loch

Réunion du 20 mars 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAnnick Le Loch, rapporteure :

Je suis d'accord avec vous Monsieur le président, il s'agit d'un secteur extrêmement réglementé. Les pêcheurs font un très beau métier dont on ne parle sans doute pas suffisamment, je me réjouis donc que nous puissions l'aborder ensemble ce matin. Je suis co-rapporteure avec Daniel Fasquelle, au nom de la Commission des affaires économique et Mme Annick Girardin et M. Didier Quentin, sont rapporteurs au nom de la Commission des affaires européennes. Les autres députés membres du groupe de travail pour la commission des affaires économiques sont Mme Marie-Hélène Fabre, M. Yannick Moreau et Mme Corinne Erhel.

Nous avons débuté nos travaux à la mi-novembre 2012 et avons procédé à un grand nombre d'auditions. Nous avons ainsi rencontré des ONG, des organisations professionnelles, des scientifiques, et nous nous sommes déplacés à Bruxelles où nous avons échangé avec un membre de la commission pêche du Parlement européen, la cheffe de cabinet adjoint de Mme Maria Damanaki, commissaire en charge des affaires maritimes et de la pêche, un représentant de la DG Mare, ainsi que deux membres de la représentation permanente de la France auprès des institutions européennes.

La difficulté de ce sujet réside dans l'équilibre à trouver entre prise en compte des réalités économiques et sociales et préservation d'une ressource fragile qu'il convient de pérenniser.

La réforme actuelle de la PCP fait, vous le savez, l'objet de vifs débats au sein du Parlement européen et de négociations ardues dans le cadre du trilogue, qui devraient néanmoins aboutir d'ici la fin du premier semestre 2013.

Si la pêche n'est pas un secteur économique dominant de l'économie européenne, elle n'en demeure pas moins un secteur important tant sur les plans de l'aménagement des territoires littoraux, de l'emploi que de la sauvegarde des terroirs. Dans le Finistère, il y a par exemple 3 000 marins, 700 bateaux, et cela génère 11 500 emplois dans la filière de la pêche, il y a 60 000 tonnes de poissons débarqués, dans 8 criées, représentant un chiffre d'affaires de 170 millions d'euros.

La raréfaction des ressources halieutiques est un phénomène mondial et européen. D'après la FAO, 30% des stocks sont surexploités à l'échelle mondiale. Cette situation implique une gestion raisonnée de la ressource - notamment par la promotion de techniques de pêche plus sélectives – gestion nécessaire à la sauvegarde de l'industrie de la pêche, qui se trouve fragilisée tant en France qu'en Europe. Cela ne fait pas débat, et les pêcheurs ont fourni des efforts depuis plusieurs pour améliorer la sélectivité de leurs bateaux. Cela a d'ailleurs eu un impact positif sur les stocks.

Le déclin tendanciel de la flotte au niveau européen et national a suivi celui de l'emploi. La capacité de la flotte européenne a diminué au cours des dernières années à un rythme annuel moyen de 2% par an, le nombre d'entreprises de pêche diminuant de son côté de 15% depuis 2006. On a appelé ça pudiquement les « déchirages de bateaux ». En France, en dix ans, les débarquements ont diminué de 25% et les importations ont augmenté de 50%.

Historiquement liée à la PAC, la PCP s'est progressivement émancipée pour devenir une politique à part entière. Toutefois, il est vite apparu que celle-ci ne remplissait pas totalement ses objectifs, à savoir prévenir la surpêche, garantir aux pêcheurs des moyens d'existence pérennes, approvisionner les transformateurs et les consommateurs de manière régulière, améliorer la préservation et la gestion des ressources, et assurer un développement équilibré des territoires. La PCP a fait de la lutte contre la surcapacité de la flotte européenne un objectif prioritaire, sans la quantifier précisément, comme si elle suffisait à elle seule à résoudre tous les problèmes dont souffre la pêche européenne.

La Commission a ainsi présenté les 13 juillet et 2 décembre 2011 un ensemble de propositions de textes qui constituent la nouvelle réforme de la PCP. Malgré un relatif accord sur le diagnostic, plusieurs aspects clés de la réforme font l'objet de profonds désaccords institutionnels.

Le « paquet PCP » propose une réforme d'ampleur mais le débat s'est principalement orienté sur trois des propositions de la Commission européenne : atteindre le rendement maximum durable (RMD) en 2015 pour tous les stocks, interdire tous les rejets selon un calendrier très rapide entre 2014 et 2016, mettre en place de concessions de pêche transférables (CPT) d'un navire à l'autre d'ici fin 2013. Suite à une levée de boucliers, les CPT ont fait l'objet d'un accord quasi général en faveur de leur abandon. Le principe d'une gouvernance plus régionalisée des pêches a lui été largement accepté. Il existe déjà sous forme embryonnaire depuis la création des conseils consultatifs régionaux. La réforme de l'OCM est assez consensuelle.

Concernant l'interdiction des rejets des espèces sous totaux admissibles de capture (TAC) et quotas, la Commission a posé ce principe comme la pierre angulaire de son projet de réforme, estimant que les rejets représentent aujourd'hui 23% des prises, soit 1,7 millions de tonnes de poissons par an. La pratique des rejets en mer correspond à des réalités variées. Certains rejets sont liés à la réglementation ou à des pratiques purement commerciales. Mais certaines prises accessoires sont inévitables, notamment dans le cas de pêcheries mixtes ou multi-spécifiques. La France est particulièrement concernée par ce type de pêche. Or, avec l'interdiction des rejets, elle sera pénalisée : il faudra veiller à consommer ses quotas par espèce au même rythme, ce qui est en pratique quasiment impossible. Lorsque l'un des quotas dont dispose un navire sera épuisé, même s'il lui reste des droits de pêche pour d'autres espèces, il ne pourra plus sortir du port. C'est la raison pour laquelle il est important de prévoir la fixation de flexibilités interannuelles et d'exemptions de minimis.

Mais le principal effet pervers de centrer l'interdiction des rejets sur l'obligation de débarquement est le risque de conduire à la mise en place d'une filière de valorisation de ces prises indésirables, destinée uniquement à une transformation sous forme de farine pour l'alimentation des élevages aquacoles.

Enfin, l'interdiction totale des rejets posera d'immenses difficultés pratiques, en termes d'investissement dans de nouveaux moyens de surveillance et de capacité des navires (caméras embarquées par exemple), car les capacités de stockage ne sont pas illimitées et les risques de surcharges réels, avec toutes les conséquences négatives en terme de sécurité que cela comporte (risque de chavirage).

Le Gouvernement français s'est résolu à accepter le principe de l'interdiction, tout en maintenant une position très ferme pour que soient adoptées des mesures d'application qui rendent le dispositif praticable pour les pêcheurs. Il a souligné la nécessité d'augmenter les TAC pour les espèces visées par une obligation de débarquement, de mettre en place une obligation de débarquement pour certaines espèces et une tolérance de rejet.

La Commission de la pêche du Parlement puis le Parlement européen lors du vote en plénière, se sont prononcés en faveur d'une interdiction progressive des rejets pour l'ensemble des espèces exploitées et des espèces réglementées, ce qui constitue une extension considérable du champ de cette mesure par rapport à la proposition initiale de la Commission européenne. Le calendrier est par ailleurs restreint et ne correspond pas aux possibilités réelles d'adaptation des filières. Le Parlement européen a néanmoins apporté quelques ajouts positifs par rapport à la proposition de la Commission : la mise en place d'une étude visant à analyser au cas par cas la mise en oeuvre graduelle de l'interdiction des rejets, le principe de la fixation de flexibilité interannuelles et d'exemptions de minimis.

Vos rapporteurs estiment que le problème devrait être pris à la source. Il faut étudier et mettre en place les conditions permettant de ne faire aucune capture inutile en premier lieu ; la gestion des prises par l'obligation de débarquement n'est qu'un outil de gestion qui découle du manque de sélectivité de la pêche. Comme le disent les pêcheurs, « il vaut mieux trier au fond que sur le pont ». De nombreux progrès ont d'ailleurs été réalisés sur ce point, mais il faut donc encore promouvoir le passage à des méthodes de pêche plus sélectives, notamment grâce à des subventions européennes. Le principe de sélectivité doit s'appliquer à tous les types de pêche. Il n'y a pas de mauvais engins de pêche en soi, il existe aussi des pêcheurs qui n'ont pas une attitude responsable.

Le RMD est, selon la FAO, la plus grande quantité de biomasse que l'on peut en moyenne extraire continûment d'un stock, dans des conditions environnementales données, sans affecter le processus de reproduction de ce stock. La Commission souhaite atteindre le RMD en 2015 pour tous les stocks. De son côté, le Conseil ne remet pas en cause la proposition de la Commission mais propose un calendrier plus souple, actant le principe de l'atteinte RMD en 2015 quand cela est possible et au plus tard en 2020 pour tous les stocks. Le Conseil suit en cela les orientations du plan stratégique 2011-2020 pour la biodiversité, adopté à Nagoya en 2010.

La position du Parlement européen parait irréaliste : il a souhaité qu'à partir de 2015, les taux de mortalité soient fixés de sorte qu'en 2020 au plus tard les niveaux des stocks soient maintenus au-dessus du RMD. Il s'agit d'une approche trop brutale qui pourrait conduire la France à fermer 50 % de ses pêcheries, avec des conséquences économiques et sociales irréversibles. Si le principe de précaution s'applique à la ressource, il doit aussi pouvoir s'appliquer à nos territoires et à nos emplois.

Vos rapporteurs plaident pour une application différenciée et progressive de l'objectif d'atteinte du RMD, qui entraînerait néanmoins probablement des difficultés importantes à court terme pour un secteur de la pêche déjà fragilisé. Nous allons devoir accompagner nos filières et nos ports.

Enfin, la définition des TAC au niveau européen doit tenir compte des discussions avec les pays tiers, lorsque ceux-ci partagent des zones de pêche avec l'Union européenne, comme par exemple en Méditerranée. L'Union européenne ne peut fixer d'objectif d'atteinte du RMD différent de celui visé par les autres flottes de pêche, qui se nourrissent du même stock, sinon cela pénaliserait les pêcheurs européens sans permettre d'atteindre le RMD.

Il y a plusieurs possibilités qui doivent pouvoir être envisagées pour atteindre le RMD. Les professionnels estiment ainsi qu'outre la sélectivité des engins, l'interdiction de la pêche dans certaines zones et la réglementation des périodes de pêche pourraient avoir des effets positifs.

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