Intervention de Daniel Fasquelle

Réunion du 20 mars 2013 à 10h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle, rapporteur :

Je vous remercie, Monsieur le président, et je vous remercie tout d'abord pour avoir bien voulu inscrire le sujet de la pêche à la réunion de notre commission, ce matin. C'est un sujet important car, même si le poids de la pêche dans notre économie est relativement faible, c'est un secteur essentiel pour plusieurs de nos territoires.

La pêche est aujourd'hui un secteur en grande difficulté où nombre d'exploitations risquent de disparaître. Le secteur a perdu 30 % de ses effectifs en quinze ans : c'est considérable et cela témoigne de sa très grande fragilité.

Nous sommes arrivés aujourd'hui à un tournant dans l'équilibre économique des exploitations. La PCP a été créée en 1983, soit plus de vingt ans après la politique agricole commune qui date, elle, de 1962. Elle est actuellement en cours de révision puisque trois projets de textes sont examinés par le Parlement et le Conseil : on est donc encore en mesure de peser sur les choix qui vont être faits. Or, je tiens à le souligner, si la PCP telle qu'elle est actuellement présentée n'est pas amendée, on peut légitimement nourrir de sérieuses inquiétudes sur l'avenir de la pêche artisanale française. Le texte présenté est en l'état totalement inacceptable.

C'est une bonne chose que l'on souhaite pratiquer une politique de la pêche durable, respectueuse de l'environnement et des ressources halieutiques : il faut néanmoins que cette politique soit également favorable à l'emploi. Veiller aux stocks de poissons est une évidence puisque, faute de poissons, ce sont les pêcheurs qui disparaîtront ensuite : ils en ont conscience. Il existe actuellement une véritable défiance de la PCP à l'égard des marins-pêcheurs comme en témoigne d'ailleurs le vocabulaire utilisé (quotas, restrictions réglementation…), alors que cette politique doit au contraire être élaborée avec eux. En outre, cette politique se bâtit sur des constats scientifiques qui ne sont pas avérés, les stocks ne pouvant actuellement être précisément évalués. Encore une fois, il faut davantage écouter les marins-pêcheurs qui connaissent la mer, ce milieu et les poissons : leur expérience est plus que jamais nécessaire. Il faut également rappeler que si les stocks sont en baisse, ce n'est pas seulement à cause d'une pêche intensive : la construction d'éoliennes en mer, l'extraction de granulats, le réchauffement climatique sont autant de facteurs qui affectent le milieu dans lequel évoluent les ressources. Les marins-pêcheurs ne doivent donc pas faire office de boucs émissaires!

Par ailleurs, la pêche durable a une évidente dimension sociale. On a, par exemple, un choix objectif pour pêcher une même quantité de poissons : soit recourir à un grand nombre de petits bateaux qui mobilisent de nombreux pêcheurs, soit faire appel à de gros bateaux avec peu de personnel… On peut faire un utile parallèle avec la politique agricole commune où le choix a été d'intégrer une dimension « aménagement du territoire », qui a permis le maintien de nombreuses petites et moyennes exploitations. Ici, c'est la même chose : il faut privilégier les flottilles importantes qui permettent de faire vivre un grand nombre de pêcheurs. Le système des quotas de pêche transférables est problématique puisqu'il favorise les grandes structures, au détriment de l'emploi. Je pense qu'il est des domaines, comme celui de la pêche, où le politique et la régulation ont un rôle à jouer.

Un autre point pose difficulté, la définition des quantités de pêche par rapport au «rendement maximum durable ». Certains stocks sont en dessous du point maximum défini, et la Commission nous impose d'y revenir très rapidement. C'est une erreur : mieux vaut le faire progressivement. À Boulogne-sur-Mer, lorsque des règles ont été imposées brutalement sur la pêche au hareng, toute la filière a été détruite. Évidemment, une fois le stock reconstitué, la pêche a eu beau avoir été rouverte, les emplois d'hier n'étaient plus là, et la valorisation du hareng s'est faite ailleurs. La Commission européenne fixe 2015 comme objectif de retour au rendement maximum durable ; nous pensons qu'il faut reculer l'échéance à 2020.

L'interdiction des rejets en mer est une règle qui, elle aussi, ne nous semble pas en adéquation avec la réalité. La place pour une cargaison valorisable est diminuée d'autant. Cela signifie qu'il faut trouver une filière de valorisation de ces rejets, sinon cela reviendrait à une perte sèche pour les marins pêcheurs. Et que peut-on faire de ces rejets ? De la farine ? La Commission contribue à la création d'une filière totalement artificielle. Les navires qui ciblent une espèce en particulier peuvent encore s'accommoder de l'interdiction des rejets en mer. Mais pour les autres, c'est une catastrophe.

Enfin, je voudrais évoquer les lacunes de la PCP. En premier lieu, rien n'est fait pour soutenir l'achat de bateaux neufs. La moyenne d'âge de ces derniers est de 25 ans en France, ce qui est élevé. Il y a bien des soutiens à la modernisation, mais cela n'est pas suffisant, notamment pour les jeunes qui souhaitent se lancer dans la profession. De plus, les nouveaux navires sont moins consommateurs de carburants ; c'est un moyen de lutter contre le cercle infernal actuel, qui voit les marins obligés de pêcher toujours plus pour compenser la hausse du coût du carburant. À notre sens, la Commission raisonne à l'envers : aider au renouvellement de la flotte ne va pas détériorer les stocks mais, au contraire, contribuer à les reconstituer. Des navires neufs constitueraient également une amélioration des conditions de travail et de sécurité considérable, ce qui contribuerait grandement à rendre ce métier plus attractif pour les jeunes. Mais cela ne fait pas du tout partie des priorités de Bruxelles. Enfin, la règle des jauges, qui a été élaborée en référence aux navires de commerce, a été transposée de façon inadaptée aux navires de pêche, ce qui pose de vrais problèmes à ceux qui veulent en construire. Par exemple, dans le cas d'un navire de pêche hybride, tel que celui qui vient d'être lancé dans le port de Boulogne-sur-Mer, la machinerie prend plus de place, au détriment du poisson puisqu'on est prisonniers de la jauge. On ne peut pas non plus construire des navires plus longs, alors qu'ils sont plus économes en carburant.

Deuxième lacune de la PCP, elle ne prend pas du tout en compte la généralisation de la senne danoise – filet que l'on étend en mer puis que l'on referme pour prendre le poisson –, pratique venue des Pays-Bas. Le nombre de navires équipés de ces filets est passé de trois à vingt-quatre en dix ans. Les chalutiers boulonnais ne peuvent plus aller pêcher dans leur zone de pêche traditionnelle car elles sont envahies par ces filets. Vous imaginez bien que cela génère des tensions extrêmement fortes, que la PCP ne permettra pas d'apaiser. C'est incroyable : on construit une nouvelle politique de pêche, mais elle ne s'attaque même pas aux problèmes actuels de cohabitation entre marins, qui sont pourtant majeurs.

Enfin, le règlement OCM est faible. Le manque de valorisation des produits de la mer est l'un des trois éléments qui déstabilisent la filière.

En conclusion, le sujet que nous abordons aujourd'hui est extrêmement sérieux. Si les bonnes décisions ne sont pas prises aujourd'hui, dans quelques années il sera trop tard.

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