Intervention de Alain Tourret

Réunion du 20 mars 2013 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlain Tourret, rapporteur :

J'ai précisé que je parlais des élections générales, mon cher collègue.

Si le dispositif de 2003 est maintenu, tout porte à croire que ce taux sera encore dépassé lors des prochaines élections.

Le second objectif correspond à une demande récurrente : il faut que les élus soient proches de leurs électeurs. Or aucun lien de proximité n'a été tissé entre les électeurs et leurs représentants au Parlement européen. Les citoyens ne connaissent pas leurs députés européens. Dans ma circonscription, où j'ai posé la question, pas un seul de mes interlocuteurs n'a pu me dire le nom des députés européens élus en Basse-Normandie. Le découpage en huit circonscriptions a d'ailleurs découragé la candidature des grandes figures de la République. Le plus souvent, ce sont divers responsables de partis qui siègent au Parlement européen.

Les circonscriptions interrégionales n'ont aucune consistance. Elles font fi de la réalité historique de nos régions, héritières de traditions anciennes, dans la mesure où elles résultent d'un assemblage de bric et de broc qui ne correspond à aucune réalité politique, administrative, économique ou culturelle – à moins que l'on ne démontre que la vie politique de notre pays se fonde, approximativement, sur les différents indicatifs téléphoniques régionaux !

Bref, l'absence de progrès en matière de proximité condamne le dispositif.

Ces circonscriptions n'existent que le temps de la campagne électorale et disparaissent dès le lendemain de l'élection. Elles ne servent à aucun autre scrutin. Mais elles ont donné lieu à un singulier « tourisme électoral ». Outre les parachutages auxquels on a assisté, certains députés élus dans une circonscription en 2004 n'ont pas hésité à se présenter dans une autre en 2009 : comme « ancrage territorial », on a vu mieux !

En réalité, la réforme de 2003 n'a pas manqué tous ses buts. Elle a atteint un autre objectif, moins affiché à l'époque car moins avouable : ce mode d'élection favorise les grands partis, au détriment de tous les autres.

Pour ce que l'on appelle les « petits » partis, il est difficile de mener campagne dans l'ensemble des huit « eurorégions », qui sont particulièrement vastes – et d'ailleurs, pour cette autre raison, incompatibles avec toute notion de « proximité » avec l'électeur.

Surtout, en découpant le territoire en huit circonscriptions sans pour autant modifier le mode de scrutin – qui demeure la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne –, on a considérablement réduit le caractère proportionnel de la répartition des sièges entre les différentes listes. Ce sont les grands partis arrivant en tête dans chaque circonscription qui remportent l'essentiel des sièges, ne laissant que des miettes aux autres listes.

Juridiquement – et ce point n'a pas changé depuis les premières élections européennes –, une liste ne peut obtenir de sièges que si elle a obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Mais ce « seuil de représentativité », classique dans une élection à la proportionnelle, n'a plus aucun sens en pratique depuis qu'ont été créées les huit circonscriptions interrégionales. C'est en effet un score de 7 ou 8 % qu'il faut réaliser pour pouvoir prétendre à un seul siège dans les plus grandes circonscriptions, comme l'Île-de-France ou le Sud-Est. Et dans les plus petites circonscriptions, comme le « Massif central-Centre », il faut obtenir environ 14 % des suffrages pour avoir un seul représentant au Parlement européen.

Dans ces conditions, le mode de scrutin aux élections européennes n'a plus de « proportionnel » que le nom.

Pour toutes ces raisons, je vous invite, avec mes collègues du groupe RRDP, à revenir à une circonscription nationale unique.

Les élections européennes doivent être l'occasion de tenir un véritable discours sur l'Europe. Nous savons que les positions sur ce sujet sont très diverses en France. Nos électeurs veulent connaître notre vision de l'Europe. Le débat européen doit-il être réparti entre huit circonscriptions ou doit-il être un débat national portant sur la politique étrangère de l'Union, sur l'avenir de la défense européenne, sur les évolutions institutionnelles, sur les perspectives en matière de budget et de croissance en Europe ? Toutes ces questions sont évidemment nationales, et non régionales !

Vouloir garder les huit circonscriptions, c'est en réalité refuser, pour des raisons purement politiciennes, de parler de l'Europe.

La Commission européenne vient d'ailleurs d'inciter les partis politiques à faire connaître à l'avance leur futur candidat au poste de président de la Commission. Cela plaide en faveur d'un vaste débat faisant s'affronter des personnalités d'envergure nationale.

Qu'on le veuille ou non, inscrire cette élection dans huit circonscriptions revient à ridiculiser le scrutin européen. C'est faire en sorte qu'aucune personnalité n'emmène les listes au niveau national ; c'est faire en sorte qu'aucune discussion n'ait lieu sur un véritable programme européen.

Enfin, une circonscription nationale sera plus respectueuse de l'objectif constitutionnel de parité. La division du territoire en plusieurs circonscriptions conduit à multiplier le nombre de têtes de liste susceptibles d'être monopolisées par des hommes, ainsi que les cas de listes n'obtenant qu'un seul siège ou un nombre impair de sièges.

Quant aux comparaisons avec les modes de scrutin utilisés dans les autres États européens, elles sont clairement favorables à la circonscription unique. En dehors de notre pays, cinq États seulement sur les vingt-sept États membres disposent de plusieurs circonscriptions pour élire leurs députés européens. Il s'agit de la Belgique – pour des raisons essentiellement linguistiques –, de l'Irlande, de l'Italie, de la Pologne et du Royaume-Uni. Encore faut-il préciser que dans certains de ces États, comme l'Italie ou la Pologne, les circonscriptions s'apparentent en réalité à de simples sections électorales : les suffrages sont d'abord calculés au niveau national en vue d'attribuer un nombre de sièges à chacun des différents partis victorieux, la répartition entre les circonscriptions n'étant effectuée que dans un second temps. Il s'agit donc de systèmes beaucoup plus proportionnels que celui qui est pratiqué en France.

À l'évidence, les grands partis profitent du système actuel. Mais en voulant le maintenir, ils vont au-devant de victoires à la Pyrrhus. C'est précisément le devoir des groupes minoritaires, comme le mien, que de les rappeler au nécessaire respect du pluralisme politique. Notre Constitution ne dispose-t-elle pas d'ailleurs, en son article 4, que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » ?

À cet égard, pour préparer mon rapport sur cette proposition de loi, j'ai écrit à l'ensemble des partis politiques de notre pays. À ce jour, dix d'entre eux ont répondu et m'ont fait connaître leur position sur le texte : tous sont favorables au retour à une seule circonscription nationale dès les élections européennes de 2014.

Bien sûr, le principal parti au pouvoir craint toujours d'être victime d'un « vote sanction ». Mes chers amis socialistes, n'ayez pas peur ! N'ayez pas peur des électeurs, n'ayez pas peur de la France, n'ayez pas peur d'assumer un discours, ne fuyez pas devant le vote ! Si vous avez peur des électeurs, vous serez immanquablement sanctionnés et l'échec sera à la mesure de ce qui s'est passé le week-end dernier.

N'ayez pas peur d'aller proposer la politique du président de la République et du Premier ministre, n'ayez pas peur d'aller proposer la politique de la France ! Ne tournez pas le dos au suffrage universel et aux Français !

Je vous invite donc à adopter ce texte. Je n'aurai pas la cruauté de rappeler tout ce qu'ont dit les dirigeants du parti socialiste jusqu'à la fin de l'année dernière pour encourager les uns et les autres à soutenir cette proposition. Il s'agit d'une mesure de modernisation de la vie politique que tous, à l'exception de l'UMP, ont soutenue au Sénat. La motion de censure déposée en 2003 par le président du groupe socialiste, Jean-Marc Ayrault, dénonçait « une loi inique qui impose la prépondérance du bipartisme et nie par là même la diversité politique de notre pays ».

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