Intervention de Patrick Bernasconi

Réunion du 19 mars 2013 à 16h45
Commission des affaires sociales

Patrick Bernasconi, membre du bureau exécutif du MEDEF :

Vous nous interrogez sur la démocratie sociale et la démocratie politique. Si nous voulons encourager la démocratie sociale dans notre pays, il faut renforcer le dialogue social, afin d'aller vers un dialogue social à l'allemande. Mais pour aller vers ce dialogue social plus mature, encore faut-il que vous compreniez dans quelle logique nous avons essayé de travailler.

Nous sommes partis du principe que la meilleure façon de régler les problèmes était de le faire au niveau de l'entreprise, donc de laisser aux partenaires sociaux le maximum de latitudes pour trouver les bonnes solutions pour l'entreprise, donc pour l'emploi. Telle est l'ambition qui nous a animés. Ne pas le comprendre serait faire fausse route et compromettre les chances d'autres accords constructifs, qui pourraient demain aller plus loin. Je suis le premier à reconnaître que nous ne sommes pas allés assez loin dans de nombreux domaines, mais les évolutions ne peuvent être négociées que pas à pas.

Nous sommes parvenus à un accord intéressant pour les entreprises et pour les salariés. Si nous ne savons pas en tirer les bénéfices, nous ne pourrons pas en négocier d'autres demain. Il est donc important que la représentation nationale reste proche du texte de l'accord et respecte le travail de ceux qui ont accepté de s'engager dans l'aventure – car c'en est une que d'essayer d'expliquer les enjeux de l'accord sur le terrain. Sa transposition et les suites à y donner – selon la même méthode, c'est-à-dire par des accords laissant le plus de champ possible à la négociation au sein de l'entreprise – sont donc de vraies questions.

Le pouvoir judiciaire est aujourd'hui trop loin des réalités de l'entreprise : bien souvent, les réponses apportées ne sont pas assez favorables à l'entreprise et à l'emploi. À notre sens, mieux vaut renforcer le dialogue social et rechercher des solutions propres aux entreprises qu'aller vers une judiciarisation excessive de notre société. Là se trouve d'ailleurs l'explication des différences de posture observées entre les organisations syndicales qui font le choix du dialogue social et se sont pleinement investies dans la négociation de l'accord, faisant ainsi le jeu des accords de demain, et celles qui privilégient la judiciarisation pour, somme toute, exploiter leur fonds de commerce et recruter de nouveaux adhérents. J'ai pour ma part fait le pari qu'à terme, la première posture deviendrait la règle.

La règle qui a permis d'obtenir cet accord est celle d'avant la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale. Il y a eu débat sur le point de savoir si cet accord était majoritaire ou non. Selon les règles actuelles, il l'est incontestablement – et les partenaires sociaux qui se sont engagés l'ont fait en pleine connaissance de cause. Demain, lorsque d'autres règles seront en vigueur, la posture des uns et des autres changera sans doute. Certaines organisations syndicales en auraient peut-être adopté une autre si les règles de validité des accords et de représentativité des syndicats avaient été différentes. Mais nous avons appliqué les règles actuelles, et il faut les accepter : cet accord est majoritaire. Faisons donc confiance à ceux qui se sont engagés. Si les organisations patronales ou syndicales s'estiment trahies par le texte de loi, n'espérez plus les réunir autour d'une table avant longtemps ! Nous avons pris nos responsabilités, en travaillant sans relâche pour aboutir à cet équilibre ; j'en appelle aujourd'hui à la vôtre.

Quelques points nous préoccupent bien sûr encore. J'espère que nous pourrons ensemble trouver des solutions. Mais la première question à vous poser lorsque vous déposerez des amendements au projet de loi devra être de savoir s'ils sont acceptables pour l'ensemble des parties signataires. Si elles vous disent que votre proposition ne correspond pas à l'esprit dans lequel elles ont bâti l'accord, il vous faudra l'entendre. Certes, celui-ci mérite sans doute des précisions sur certains points, mais c'est animés de ce souci que vous devrez amender le texte. Si vous sortez de la logique de l'accord pour renforcer le pouvoir du juge ou sécuriser un dispositif au détriment de tel ou tel, si les choses ne s'écrivent que dans un sens, bref si nous ne retrouvons pas l'esprit dans lequel nous avons travaillé, soyez sûrs que nous prendrons nos responsabilités. Nous n'en sommes cependant pas là : il nous reste de nombreuses semaines pour trouver ensemble le bon texte et répondre aux interrogations que vous avez soulevées.

S'agissant du contentieux, nous avons fait un choix clair. Nous sommes revenus au tribunal administratif, car nous avons estimé que le système fonctionnait mieux auparavant. Mais il ne s'agit pas d'une autorisation : il doit être clair qu'à aucun moment le tribunal administratif n'a à se prononcer sur le motif – c'est le rôle du pouvoir judiciaire. Le tribunal administratif a vocation à examiner si les mesures d'accompagnement prévues sont les bonnes et si les formes ont été respectées.

J'en viens au délai de prescription. Deux ans vous paraissent peu, car le délai était auparavant de cinq ans. Mais sachez qu'en Allemagne, il est de trois semaines. Ce qu'a dit Jean-Pierre Crouzet est très vrai : dans la vente d'une affaire ou sa transmission aux héritiers, les garanties de passif sont toujours un élément d'insécurité important. Au-delà de cet aspect, avoir une possibilité de revenir cinq ans en arrière peut tuer une entreprise. Le cas d'Olympia en est un exemple.

Le compte personnel de formation est certes plafonné à 120 heures, mais le droit individuel à la formation (DIF), qui ne fonctionnait pas, se voit supprimé au profit d'un dispositif plus opérationnel, qui permet aux chômeurs d'avoir accès à la formation. Cette dernière n'est plus monétarisée. Le compte personnel de formation est un droit universel, portable et utilisable à tout moment du parcours professionnel. Enfin, il peut être abondé par les régions, avec lesquelles nous espérons trouver un accord, et par le Fonds de sécurisation des parcours professionnels (FSPP). Il importe d'associer celui-ci, les branches, les entreprises et les régions afin de trouver les réponses adaptées pour chaque salarié, et d'identifier précisément les besoins des filières, région par région et branche par branche. Si nous mettons en place ce compte personnel de formation suivant les principes que nous avons fixés, nous aurons à notre disposition un outil très performant.

Vous avez évoqué les représentants du personnel au conseil d'administration. L'accord a mis en place un certain nombre de « cales dans les portes » – pour prendre une expression que j'utilise souvent – en particulier en ce qui concerne le nombre de ces représentants. En revanche, il n'a pas fixé toutes les modalités de mise en oeuvre de cette disposition. Je regrette notamment que celles-ci n'aient pas pris en compte les actionnaires salariés, qui auraient mérité de figurer parmi ces représentants du personnel.

Pourquoi ne sommes-nous pas allés plus loin ? Le rapport Gallois préconisait que les représentants des salariés puissent représenter jusqu'à un tiers des membres du conseil d'administration. En France, les conseils d'administration comptent en moyenne 12 membres, dont la moitié sont indépendants, c'est-à-dire extérieurs à l'entreprise – ce qu'il faut conserver si l'on veut assurer une certaine indépendance au conseil d'administration. Par ailleurs, un problème de gouvernance se posera inévitablement si celui-ci ne compte pas suffisamment d'administrateurs au fait de la situation de l'entreprise. Il ne faut donc pas aller trop loin. Nous pouvons certes passer de 12 à 24 administrateurs, mais la tendance actuelle est plutôt à la réduction du nombre de sièges dans les conseils d'administration, et on peut difficilement envisager de réduire celui des administrateurs indépendants. C'est pourquoi l'accord a limité le nombre des représentants du personnel siégeant au conseil d'administration à un pour les entreprises dont le nombre d'administrateurs est inférieur à 12 et à deux pour celles où il est supérieur à 12. Elle a en outre réservé la mise en oeuvre de cette disposition aux entreprises de plus de 5 000 salariés, ce qui élimine de fait les entreprises de taille intermédiaire. Attendons que ces administrateurs aient trouvé leur place au sein des conseils d'administration des 200 grandes entreprises concernées avant d'envisager d'abaisser ce seuil. Sachons donner du temps au temps. La pédagogie des décisions que nous prenons est importante : nous devons pouvoir démontrer qu'elles portent leurs fruits avant d'envisager leur extension.

J'en viens à la clause de désignation du ou des organismes assureurs pouvant garantir la couverture complémentaire des frais de santé. L'accord me paraît clair : l'appel d'offres pour la mise en oeuvre de cette couverture complémentaire santé est lancé en toute transparence par les branches. Nous avons préféré la recommandation, car nous souhaitons laisser leur libre arbitre aux entreprises. Du reste, l'organisme recommandé par une branche professionnelle est assuré de capter la clientèle de 80 % à 90 % des entreprises de cette branche. Prévoir une clause de désignation n'est donc pas nécessairement opportun. L'Union des industries et des métiers de la métallurgie (UIMM) ne l'a d'ailleurs pas fait. J'ai moi-même recommandé au conseil exécutif du MEDEF de demander aux branches qui y siègent de ne pas appliquer cette clause de désignation. Je préférerais que la loi aille dans le même sens.

Les droits rechargeables seront mis en oeuvre. Une négociation devra avoir lieu pour bâtir le futur équilibre du régime d'assurance chômage ; laissons-là se dérouler. Nous allons réunir à nouveau le groupe de travail qui avait été constitué sur le sujet pour tenter de définir les paramètres de ce dispositif, afin qu'ils puissent être abordés dans le cadre de la négociation de la future convention de l'Unédic. C'est une question de confiance entre les partenaires sociaux : si nous nous trahissons sur de tels sujets, nous ne pourrons plus négocier demain.

Vous vous demandez pourquoi l'accord est un bon texte pour certains et un mauvais pour d'autres. L'appréciation qui est portée dépend des choix qui sont faits par rapport au dialogue social. Ceux qui croient à la judiciarisation, à la revendication, au pouvoir de la rue et à la contestation seront par nature moins favorables à la voie du dialogue, certes plus difficile, car elle exige du temps, mais davantage susceptible de conduire à des changements dans notre société. Si les partenaires sociaux sont assurés que les accords qu'ils signent seront fidèlement retranscrits, cela renforcera leur volonté de continuer à négocier. Le plus mauvais service à leur rendre serait – comme on a hélas toujours fait en France – de leur laisser croire qu'il est possible de ne pas signer un accord et de recourir ensuite au lobbying auprès des élus. C'est ainsi qu'on tue le dialogue social. Ayons donc le courage de rompre avec cette habitude et de faire comprendre à ceux qui ne s'engagent pas qu'ils ne pourront plus « rentrer par la fenêtre » après la signature de l'accord : vous verrez que leur posture dans la négociation changera du tout au tout. Si vous couplez cette évolution avec la représentativité à 50 %, vous aurez les éléments fondateurs d'un autre dialogue social dans notre pays.

Je note avec amusement que l'on me reproche tantôt d'être trop enthousiaste et tantôt de ne pas l'être assez, ce qui signifierait dans un cas une victoire du MEDEF, et dans l'autre une déception – l'accord n'aurait pas les effets que j'avais escomptés. J'espère bien qu'il les aura, mais il nous faudra attendre de voir comment il est appliqué pour le savoir. Quoi qu'il en soit, ma conviction est que nous avons travaillé intelligemment.

J'en viens à l'encadrement du temps partiel, avec l'instauration d'une durée minimale hebdomadaire de 24 heures. L'article de l'accord relatif au temps partiel a été construit lors d'une négociation à part, avec les grandes entreprises de la propreté, de la distribution et du commerce – qui sont celles qui recourent le plus au temps partiel. C'est un accord équilibré : en échange de l'instauration de cette durée minimale hebdomadaire de 24 heures, la sécurisation des avenants se trouve garantie. Il est néanmoins possible de déroger à la durée minimale hebdomadaire de 24 heures par un accord de branche – existant ou à conclure – ou dans le contrat de travail du salarié, si celui-ci en est d'accord. La seule contrainte consiste à organiser son temps de travail par demi-journées ou par journées, afin qu'il puisse cumuler son emploi avec un autre. C'est une contrainte qui peut être comprise et qui répond à une attente importante des salariés.

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