Intervention de Guillaume Pepy

Réunion du 19 mars 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Guillaume Pepy :

C'est un honneur pour moi de me présenter devant vous. Exercer la responsabilité qui est la mienne dans une très grande entreprise publique nationale est un honneur ; être pressenti pour un second mandat donne une responsabilité particulière. Ce type d'audition, par le dialogue créé avec les députés, est très précieux dans une entreprise qui est l'objet de l'attention de tous les élus.

Je ne vous parlerai pas de mon bilan - je serais mal placé pour cela - mais de la situation de l'entreprise et du système ferroviaire. Je tracerai ensuite quelques perspectives pour le mandat qui pourrait m'être donné pour les cinq ans à venir.

L'identité de la SNCF a beaucoup évolué ces dernières années. Son chiffre d'affaires est de quelque 34 milliards d'euros, ce qui nous place au 17è ou au 18è rang des entreprises françaises. Le groupe compte 250 000 salariés, dont 150 000 cheminots et 100 000 employés qui exercent dans l'entreprise d'autres métiers que ceux du rail. Nous nous plaçons au deuxième rang mondial des entreprises de mobilité, derrière la Deutsche Bahn, dont le chiffre d'affaires s'établit à 40 milliards d'euros. Notre chiffre d'affaires a augmenté de 40 % ces dernières années. Notre marge opérationnelle avoisine les 9,5 % mais il nous manque entre 1 et 1,5 point pour être aux standards internationaux du métier ; nous devons donc encore gagner en efficacité. Notre résultat s'est établi à 700 millions d'euros en 2012, ce qui nous a permis de verser un dividende de 200 millions à l'État et un dividende salarial de 364 euros par agent.

Le plus important, c'est qu'au cours des dernières années, alors que le climat économique n'était pas facile, nous avons investi un peu plus de 13 milliards d'euros et augmenté nos investissements quand la plupart des entreprises réduisaient les leurs. L'année 2013 constitue d'ailleurs un pic historique, avec des investissements de 2,5 milliards d'euros, dont la moitié sera consacrée à la commande de trains neufs à l'industrie française. Enfin, l'endettement de la SNCF proprement dite a diminué d'1 milliard d'euros l'an dernier ; il est maintenant de 7 milliards d'euros, avec des ratios de solidité acceptables. Je précise qu'un quart de notre chiffre d'affaires est réalisé à l'exportation, en Europe et dans le reste du monde ; au nombre des objectifs qui pourraient m'être fixés, il pourrait y avoir celui de faire passer cette proportion à un tiers de notre chiffre d'affaires. Alors que les marchés mondiaux des transports publics se sont beaucoup développés, nous ne pouvons laisser nos homologues allemands, coréens et japonais prendre des positions au moment où les marchés s'ouvrent, qu'il s'agisse du tramway, du métro, des trains régionaux, de la logistique ou de la grande vitesse.

J'en viens aux métiers de la SNCF, en commençant par le plus sensible, celui de la logistique des marchandises. Il y a du bon et du moins bon. On m'avait fixé pour objectif de faire que notre pays dispose d'un champion mondial dans un domaine où les trois premiers acteurs internationaux sont allemands. L'aspect positif, c'est que nous avons constitué le champion mondial qui était attendu de nous : SNCF-Géodis, qui se place désormais au quatrième rang mondial, permet à l'industrie française de faire appel à un acteur français quand elle se projette à l'international. Ce qui n'est pas positif, c'est qu'après deux crises portant sur les volumes, en 2009 et en 2012, la rentabilité est insuffisante ; il faut l'améliorer. Le fret ferroviaire représente pour la SNCF un chiffre d'affaires de 2 milliards d'euros. Dans cette activité, nous sommes maintenant en concurrence avec dix-neuf autres entreprises françaises, qui ont déjà conquis 30 % du marché, la SNCF en conservant un peu moins de 70 %. Cependant, l'ouverture à la concurrence n'a pas porté le résultat espéré, et la part du fret ferroviaire par rapport au transport routier continue de décliner. À cela, je vois deux causes. La première est la super-compétitivité de la route en France ; cet état de fait n'est pas irrémédiable, la taxe « poids lourds » le montre, mais l'inégalité actuelle des conditions de concurrence est patente. La deuxième raison, c'est que le secteur français du fret ferroviaire souffrait de faiblesses historiques - rigidité, absence de flexibilité et d'écoute des clients, compétitivité particulièrement faible. Tout cela est en voie de correction et nous avons réussi à réduire le déficit de cette activité, mais il nous reste beaucoup à faire à la fois pour la développer et pour ne pas perdre d'argent.

S'agissant du transport de voyageurs, nos priorités ont changé. Sortant du « tout TGV », nous avons mis les transports de la vie quotidienne au premier rang de nos préoccupations, avec l'appui des autorités organisatrices. Ce travail a déjà donné de bons résultats en province, où les TER ont le vent en poupe : ce sont eux qui tirent l'activité de la SNCF et qui portent l'image de modernité du système ferroviaire français. En Île-de-France, l'honnêteté commande de dire qu'il nous reste plus à faire que ce que nous avons déjà fait. La « faute » de cette situation revient à un sous-investissement historique considérable dans les voies ferrées de la région. Ce sous-investissement est ancien : il date de l'époque où l'on pensait que les radiales, les pénétrantes et les autoroutes absorberaient la croissance de la mobilité. Il en résulte un retard à rattraper considérable, en termes financiers comme en termes « physiques », car on ne peut faire de travaux sur les lignes de RER que quelques heures par jour.

S'agissant des trains d'équilibre du territoire (TET), nous avons franchi une première étape en signant avec l'État un contrat de service public qui a permis de pérenniser le nombre de trains existants. Il reste à moderniser le parc, c'est-à-dire à changer les rames. Le Gouvernement a annoncé une première solution de financement qui permettra de dégager 400 millions d'euros destinés à ce renouvellement, mais il reste à définir un projet stratégique pour ces trains, qui ont une fonction d'aménagement du territoire puisqu'ils desservent les villes moyennes, et auxquels il faut donner une dynamique nouvelle.

À la suite de l'adoption de la loi relative à l'organisation et à la régulation des transports ferroviaires de 2009, nous avons créé une activité « gares », qui émerge. Ce projet ambitieux vise à transformer les gares en nouveaux centres villes, à en finir avec les délaissés ferroviaires, à faire des gares des plateformes multimodales de développement territorial associant aux trains les modes « doux » de transports urbains.

Notre troisième métier est celui de gestionnaire de réseau. La France a la chance de disposer d'un formidable réseau de 34 000 kilomètres de lignes, mais il a considérablement vieilli. Le plan Perben de rénovation du réseau, qui arrive à échéance, prévoyait un investissement de 13 milliards d'euros. M. Frédéric Cuvillier, ministre chargé des transports, nous a demandé de lui proposer un nouveau plan qui prendra la suite pour couvrir la période 2015-2020 ; nous y travaillons avec nos collègues de Réseau Ferré de France (RFF).

Quelques mots maintenant sur l'emploi et le dialogue social, puis sur notre rôle industriel. La croissance au cours de ces dernières années a permis la stabilisation des effectifs et un haut niveau d'embauches. En 2013, la SNCF sera le troisième recruteur de France, avec 10 000 postes à pourvoir. Nous portons une attention particulière aux zones urbaines sensibles – où ont lieu 15 % environ de nos recrutements – et aux jeunes sans qualification ; nous nous investissons dans les emplois d'avenir et dans les contrats de génération et nous continuons d'embaucher des jeunes gens qui n'ont pas le baccalauréat.

En matière de dialogue social, la loi de 2007 sur le service minimum a incontestablement changé les choses. Ce texte, désormais bien accepté dans l'entreprise, a permis de trouver un équilibre entre le droit de grève et le droit au transport. Par un travail en profondeur avec les syndicats, nous avons réussi à créer les conditions d'une discussion beaucoup plus responsable. Un exemple : le nombre de journées de grève en 2011 et en 2012 a été le plus bas constaté depuis une dizaine d'années. Des progrès sont encore nécessaires, qui sont de la responsabilité de l'ensemble des partenaires sociaux, mais nous sommes sur la bonne voie.

Le rôle industriel de la SNCF est pour moi fondamental. Aux côtés de l'Allemagne et du Japon, la France appartient au trio des pays les plus puissants en matière de transports publics. Sur tous les marchés européens et mondiaux nous sommes en concurrence, qu'il s'agisse du tramway, du métro ou du TGV. Au Brésil, en Inde, en Russie ou en Chine, de très grands projets de transports publics sont élaborés, pour lesquels la France est attendue, mais elle a des concurrents ; la SNCF doit jouer son rôle de champion industriel. En cette matière, le fer de lance, ce sont les capacités d'ingénierie. C'est pourquoi la SNCF et la RATP ont décidé de doubler l'activité de SYSTRA, leur filiale commune d'ingénierie du transport.

Ces choses étant dites, je ne saurais passer sous silence regrets et échecs. Ainsi du fret ferroviaire, pour lequel je parlerai davantage de regret que de succès puisque nous n'avons pas réussi collectivement à créer en France les conditions d'un développement satisfaisant de cette activité ; nous portons une part de responsabilité. Pour y parvenir, il faut, selon moi, réunir trois conditions. La première est de trouver une complémentarité avec les autres modes de transport au lieu d'appréhender les relations en termes de concurrence. À la route la courte distance, au ferroviaire et au fluvial les longues distances : il faut trouver une forme d'accord. La deuxième condition, c'est de réserver au fret ferroviaire une partie des investissements. L'engagement national pour le fret ferroviaire de M. Jean-Louis Borloo prévoyait 7 milliards d'euros à cette fin ; de fait, contourner Lyon et relier les ports du Havre et de Rouen au réseau ferroviaire sont des mesures indispensables au développement du fret ferroviaire. Enfin, au niveau européen, il faudra poser la question de la contradiction entre la dérégulation sociale dans le secteur routier et de l'hyper-régulation sociale dans le secteur ferroviaire ; on ne peut penser que les deux secteurs peuvent se développer en parallèle dans un tel cadre.

J'ai des regrets aussi à propos de l'information des voyageurs. Nous avons progressé, mais les exigences des voyageurs et des élus ont évolué au moins autant au cours de la même période, si bien que ce chantier est à parfaire. Heureusement, les nouvelles technologies et les investissements nous y aideront. Cela reste un chantier prioritaire.

Mon dernier regret concerne l'Île-de-France. Dans cette région, nous sommes pris dans une course de vitesse permanente entre la modernisation, décidée, du système de transport public, et une fréquentation qui augmente de 3 à 4 % par an. De bonnes décisions ont été prises à propos du Grand Paris et du nouveau Grand Paris, mais l'obligation de réaliser les travaux alors que la fréquentation ne cesse d'augmenter nous met à la peine.

J'en viens aux perspectives qui devraient guider le futur mandat qui pourrait m'être accordé. La première est de réussir la réforme du système ferroviaire, une initiative décidée par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet au cours des Assises du ferroviaire, voulue aussi par M. Jacques Auxiette lors des États généraux du système ferroviaire régional et reprise par le Gouvernement actuel, qui a confié à M. Jean-Louis Bianco une mission de concertation à ce sujet. Aujourd'hui, nous pouvons proposer au Gouvernement un système ferroviaire « à la française » qui, tout en respectant les règles européennes, correspondra à la tradition, à la géographie et à la culture de notre pays et fonctionnera mieux que le système actuel, qui a montré ses limites. Si je suis reconduit à la présidence de la SNCF, ma tâche essentielle, une fois que vous aurez adopté la réforme, sera de faire qu'elle permette une meilleure qualité de service et une plus grande efficacité dans l'emploi de l'argent public, tout en confortant la position du champion français et le service public du transport. Tels sont les objectifs qu'il me paraît légitime d'attendre de la réforme du système ferroviaire.

Le deuxième enjeu du mandat à venir est, me semble-t-il, de continuer le développement dans une période au cours de laquelle il faut s'attendre à ce que les finances publiques soient extraordinairement contraintes et le pouvoir d'achat des Français et des Européens sous tension. Nous devons donc parvenir à réduire nos coûts pour pouvoir baisser nos prix. Les collectivités locales, les voyageurs et les industriels souhaitent un transport ferroviaire moins cher. Cela signifie que, dans le respect de la qualité, de la sécurité et de la solidarité des territoires, nous devons réaliser des gains de performance ; ils sont accessibles. Il y a quelques mois, j'ai indiqué dans l'entreprise que nous devions nous fixer pour objectif la réduction de nos frais généraux de quelque 700 millions d'euros en trois ans. Cet effort portera sur les achats, les systèmes d'information, l'immobilier et en général sur toutes les fonctions support. La SNCF doit faire un effort d'efficacité qui n'aura aucun impact négatif sur la qualité du service mais qui lui permettra de réduire ses coûts propres. Nous souhaitons aussi un plan d'efficacité industriel : le capital investi dans le système ferroviaire français est de l'ordre de 100 milliards d'euros et l'efficacité de chaque milliard d'euros de ce capital collectif doit être renforcée.

Le prochain mandat devrait avoir pour troisième priorité d'essayer de réinventer nos produits et nos services. La transition écologique et énergétique, la généralisation du numérique et les attentes des voyageurs à propos du trajet « de bout en bout » représentent un potentiel considérable. Dans ce contexte, il faut donner de l'avance à la SNCF, en vue de l'ouverture du marché du transport de voyageurs à la concurrence aux alentours de 2019. Le mandat à venir sera pour cette raison un mandat de préparation et de renforcement de l'entreprise, visant à ce qu'elle puisse affronter la concurrence et non la vivre comme un choc, avec les problèmes économiques, sociaux et éventuellement politiques que cela pourrait susciter. J'insiste particulièrement sur les trajets « de bout en bout », autrement dit sur la coordination des modes de transports, qui doit être élaborée en liaison avec les autorités organisatrices. Tout le monde est d'accord sur le principe ; l'enjeu est maintenant le passage à l'acte, la systématisation, l'industrialisation qui donneront une alternative écologiquement et économiquement satisfaisante à l'utilisation de la voiture individuelle. Nous proposons des investissements en ingénierie dans ce projet.

Je parlerai pour finir de méthode car, dans une très grande entreprise publique, la façon de s'y prendre est un élément clé de la réussite. Selon moi, il y a trois leviers de méthode. Pour commencer, on ne peut rien faire sans la confiance des personnels. Je l'ai dit, la SNCF comprend 250 000 salariés ; mais en comptant les ayants droit et les retraités, un million de Français sont liés au système ferroviaire. La réforme et le système ferroviaire que vous définirez seront l'élément clé de cette confiance car le corps social a besoin à la fois de visibilité et d'exigence.

Le deuxième point de méthode, c'est la capacité de la SNCF à se décentraliser, à donner aux niveaux de terrain des responsabilités réelles. Historiquement, l'entreprise a une structure hyper-centralisée qui laisse peu de place aux initiatives et à la négociation locales. Les choses ont déjà changé, mais je souhaite une SNCF véritablement décentralisée dans laquelle les responsables de lignes pourront s'engager à l'égard des élus.

Enfin, dans une entreprise qui est à ce point sous le regard de l'opinion et des médias et dont les décisions et les orientations font l'objet de débats légitimes, nous devons être capables de trouver une méthode de co-construction systématique. Le temps des projets tout ficelés est terminé ; nous devrons proposer des projets semi-finis, qui pourront faire l'objet de discussions, d'enrichissement et de contre-propositions. Je prends l'engagement que cette méthode collaborative sera suivie systématiquement.

J'y insiste en conclusion : le plus important, c'est la capacité pour la SNCF de connecter les différentes solutions de transport. La SNCF est un opérateur, mais c'est aussi un architecte au service des élus locaux, des collectivités régionales et de la collectivité nationale, désireuse d'agir pour que les multiples systèmes de mobilité soient plus fluides et plus efficaces et pour qu'il y ait moins de gaspillage, afin que l'efficacité économique de l'ensemble de nos transports publics s'améliore. Parce que 70 % de l'argent des transports publics provient des collectivités ou de l'État et non des voyageurs, nous avons un devoir particulier et une responsabilité singulièrement lourde.

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