Intervention de Christian Bataille

Réunion du 20 mars 2013 à 9h30
Commission des affaires étrangères

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristian Bataille, rapporteur :

Les deux accords que je vais vous présenter concernent une question complexe d'application du droit du travail dans les installations du CERN. Ils ont été conclus en 2010, l'un entre la Suisse et la France, l'autre, qui est en quelque sorte un texte d'application du premier, entre ces deux pays et le CERN, qui, en tant qu'organisation internationale, peut être partie à des accords internationaux.

Avant de vous présenter ces accords, je voudrais rappeler ce qu'est le CERN. Le CERN gère le laboratoire européen de physique des particules, qui est le plus grand centre de recherches de ce type au monde. Il a été créé en 1954 et c'est un joyau de la recherche européenne, l'une des grandes réalisations de l'esprit européen au lendemain de la Seconde guerre mondiale. Il associe aujourd'hui vingt États membres et six États observateurs.

Au fil des ans, des accélérateurs de particules de plus en plus puissants ont été construits sur le site du CERN, tandis que les découvertes scientifiques se succédaient. Par exemple, Carlo Rubbia et Simon van der Meer ont reçu en 1984 le prix Nobel de physique pour leur découverte concernant la force électrofaible, puis cela a été le cas en 1992 de Georges Charpak pour des travaux également réalisés au CERN.

Le Grand collisionneur électrons-positons, ou LEP, a été inauguré en 1989, puis en 2008 le Large hadron collider, qui est à ce jour le plus grand accélérateur de particules au monde et a permis de détecter, de manière très probable, le boson de Higgs, ce qui est une découverte majeure. Le CERN contribue au rayonnement de l'Europe en accueillant de très nombreux chercheurs et ingénieurs venus du monde entier. Outre environ 3 500 personnels qu'il rémunère, il accueillait en effet fin 2011 plus de 10 000 chercheurs associés issus de près d'une centaine de pays.

Vous le savez, les installations du CERN se situent dans la banlieue de Genève et chevauchent la frontière franco-suisse. C'est pourquoi, au-delà du rayonnement scientifique qui est évidemment l'intérêt premier de cette institution, il convient d'être conscient des retombées financières directes qu'elle représente pour l'économie française. La France est le deuxième contributeur du CERN, derrière l'Allemagne, et lui verse annuellement près de 170 millions d'euros. Mais, d'après le ministère des affaires étrangères, le retour financier pour l'économie française est bien plus important, puisqu'il serait de l'ordre de 500 millions d'euros en revenus et recettes distribués en France par le CERN. Pour arriver à ce total, sont pris en compte la part des marchés de l'organisation qui est attribuée à des entreprises françaises, les salaires et les retraites des personnels du CERN qui résident en France.

Si j'ai évoqué les marchés attribués à des entreprises françaises, c'est parce que les accords que nous examinons portent sur la question de savoir quel est le droit du travail qui s'applique aux salariés des entreprises prestataires de services du CERN.

Je vous l'ai dit, les installations du CERN sont en partie sur le territoire français, en partie sur le territoire suisse. Or, il existe en droit un principe traditionnel, c'est celui de la territorialité : chaque État applique son droit sur son territoire. Ce principe a été rappelé par la France et la Suisse quand elles ont signé en 1965 une convention qui traitait justement de l'extension des installations du CERN, initialement localisées en Suisse, sur le territoire français.

C'est aussi un principe général dans le droit européen, au moins pour ce qui concerne le droit du travail. En effet, les membres de l'Union européenne ont signé en 1980, à Rome, une convention traitant de la loi applicable aux contrats signés entre des personnes issues de différents États. Ce texte, qui a depuis été intégré au droit communautaire dérivé sous la forme de règlements, pose un principe général, la liberté des parties de choisir le droit applicable à leurs contrats, mais y prévoit ensuite de multiples dérogations. Vous en lirez le détail dans mon rapport écrit, mais on peut dire, pour aller vite, qu'en matière de droit du travail c'est le droit du pays sur le territoire duquel est exécuté le travail qui doit l'emporter. Cette solution est aussi appliquée, de manière assez stricte, par les juridictions françaises.

Or cette règle générale à des conséquences très compliquées pour les entreprises qui décrochent des marchés de prestations de services, par exemple de travaux, de maintenance, de nettoyage, de gardiennage, dans les installations du CERN. Il faudrait en principe que ces entreprises distinguent leurs salariés travaillant plutôt du côté français des installations et leur appliquent le droit du travail français et réciproquement pour ceux travaillant du côté suisse. Cela ne facilite pas la gestion du personnel et est donc un gros problème particulièrement pour les PME. Or, l'enjeu économique est important localement, car les achats de prestations de services du CERN représentent une centaine de millions d'euros par an et près de la moitié sont faits auprès d'entreprises françaises.

Cela crée aussi potentiellement des distorsions très importantes de traitement entre des salariés ayant pourtant le même employeur et faisant le même travail dans le cadre du même marché. En effet, le droit suisse et le droit français sont assez différents. Pour aller vite, on peut dire que les durées de travail sont un peu plus longues en Suisse, mais les salaires beaucoup plus hauts, car s'il n'existe pas de SMIC légal en Suisse, il y a des minima fixés par les conventions collectives qui font que les salaires sont au moins deux ou trois fois plus élevés que chez nous.

C'est afin de réduire cette complexité et ces distorsions que les deux accords que nous examinons ont été passés. Ces accords ont été longuement mûris, puisque c'est dès 1994 que le CERN a signalé les difficultés rencontrées par ses entreprises prestataires et que les accords n'ont été signés qu'en 2010, après de longues négociations, des consultations des partenaires sociaux et une saisine de la Commission européenne, qu'il a fallu convaincre du bien-fondé de la dérogation ponctuelle qu'ils prévoient par rapport au droit communautaire dont j'ai parlé précédemment.

Le principe retenu dans les deux accords est simple : pour chaque contrat de prestations de services du CERN, il faudra désormais déterminer dès l'appel d'offres, à partir de critères objectifs, par exemple la surface des locaux pour un contrat de nettoyage, si c'est sur la partie située sur le territoire français ou la partie située sur le territoire suisse des installations que sera localisée la part prépondérante de ces prestations. Ensuite un seul droit du travail, le français ou le suisse, sera appliqué pour toute la durée du contrat aux salariés chargés de le mettre en oeuvre, indépendamment de la localisation individuelle de leur travail. Ce droit du travail unique prédéterminé vaudra aussi pour les éventuels sous-traitants de l'entreprise titulaire du marché. Des obligations d'information des entreprises, des sous-traitants éventuels et des salariés sont prévues, de même qu'une coopération entre les administrations des deux pays, notamment les inspecteurs du travail, afin de vérifier l'application de ce système.

Il est cependant à noter que ce principe d'un droit unique ne vaudra que pour certaines matières du droit du travail : ce qui concerne le temps de travail, les salaires, l'intérim, l'hygiène, la santé et la sécurité, l'égalité entre hommes et femmes et la non-discrimination, mais pas tout ce qui touche à l'embauche, la rupture du contrat de travail, la représentation du personnel.

Ce distingo reprend en fait celui effectué en ce qui concerne les travailleurs dits détachés entre États de l'Union européenne en application d'une directive de 1996. Selon celle-ci, si une entreprise d'un État membre détache un salarié pour exécuter un travail sur le territoire d'un autre État membre, c'est le droit du travail de ce dernier qui s'applique à ce salarié, mais seulement dans les matières que j'ai indiquées plus haut. Il était sans doute inévitable que les accords concernant le CERN reprennent ce distinguo pour être compatibles avec le cadre communautaire, car sinon il y aurait eu une contradiction évidente entre le droit communautaire général et l'application de ces accords dans le cas d'une entreprise d'un État de l'Union européenne autre que la France qui obtiendrait un marché du CERN et le ferait exécuter par ses salariés détachés sur place.

Pour conclure, même si ces deux accords ne règlent pas toutes les difficultés et n'ont par ailleurs pas encore été ratifiés par la Suisse, je vous invite à autoriser leur ratification par la France, car ils visent à simplifier la gestion du personnel dans les entreprises prestataires du CERN, ce qui peut intéresser de nombreuses PME françaises. Ils garantiront également aux salariés employés dans le cadre de chaque marché du CERN des conditions de travail et de rémunération identiques, indépendamment de la localisation précise de leur poste plutôt dans la partie française ou plutôt dans la partie suisse des installations du CERN.

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