Les conséquences de cette mutation sont multiples. Tout d'abord, cette soudaine attractivité financière de la biologie médicale est difficilement compatible avec l'indépendance déontologique des biologistes, pourtant constitutive de cette profession qui ne peut pas être réduite à une discipline uniquement technique, mais doit au contraire être réhabilitée comme une véritable discipline médicale exercée par des médecins biologistes et des pharmaciens biologistes au bénéfice des patients.
Par ailleurs, les laboratoires indépendants et de proximité tendent à disparaître au profit d'une concentration de l'activité sur des plateaux techniques. Cette réduction du maillage territorial, qui accentue l'inégalité d'accès aux soins, devient préoccupante, particulièrement dans les zones périurbaines et rurales.
Enfin, la politique agressive des groupements de laboratoires et des fonds d'investissement pousse les biologistes à vendre à prix d'or leur laboratoire d'analyse médicale, alimentant ainsi une bulle spéculative qui rend de plus en plus difficile leur reprise par des jeunes biologistes.
Face à cette situation, et pour tenir compte du règlement européen du 9 juillet 2008 qui impose un organisme d'accréditation unique dans chaque pays, le rapport Ballereau de septembre 2008 a fixé les objectifs et tracé les contours d'une vaste réforme de la biologie médicale dans notre pays. Prétextant que le contenu de cette réforme était trop technique pour les parlementaires – ce qui témoigne de la haute considération dans laquelle il tenait la représentation nationale –, le précédent gouvernement a tout d'abord introduit dans la loi HPST la possibilité de recourir à des ordonnances. À l'époque, nous avions vivement dénoncé ce procédé. Et nous avions raison : l'ordonnance n'ayant jamais été ratifiée, elle est appliquée de manière réglementaire et non législative, ce qui laisse la possibilité d'un recours devant un tribunal et crée ainsi une insécurité juridique préjudiciable aux laboratoires que l'on cherchait pourtant à protéger.
Par la suite, les principales dispositions de cette ordonnance ont été subrepticement introduites, par voie d'amendements, dans la proposition de loi Fourcade modifiant certaines dispositions de la loi HPST. Pas plus que nous, le Conseil constitutionnel n'a goûté ce cavalier législatif qu'il a donc censuré.
La réforme a alors fait l'objet d'une proposition de loi de notre collègue Jean-Luc Préel, adoptée en janvier 2012 par l'Assemblée nationale. Pour nous, ce texte n'apportait qu'une réponse très partielle aux problèmes posés et ne permettait pas de lutter contre la financiarisation de la profession : c'est pourquoi nous avions voté contre. Ce texte n'a jamais été transmis au Sénat.
Le texte qui nous est présenté aujourd'hui se veut l'aboutissement de ce long processus. Nous en partageons les objectifs, qui sont d'harmoniser les dispositions applicables aux laboratoires de biologie médicale, de mieux garantir la qualité des examens de biologie médicale – en mettant notamment en place une procédure d'accréditation –, de définir les missions du biologiste pour renforcer la médicalisation de la profession, et de lutter contre la financiarisation de la biologie médicale.
Les modifications apportées par nos collègues sénateurs ont permis d'améliorer le texte initial, notamment en ce qui concerne la financiarisation, mais certains points nous posent encore problème.
Sur la forme, tout d'abord, même si je vous accorde que cette remarque est secondaire, je m'interroge sur la démarche du Gouvernement qui consiste à commencer par ratifier, à l'article 1er, une ordonnance que les articles suivants s'attachent à modifier. Mais ce n'est pas d'une très grande importance.
Je suis davantage préoccupée par la question de la financiarisation car je crains, malgré les améliorations apportées par le Sénat, que les règles soient contournées : dans ce domaine, l'imagination des financiers est en effet sans limite.
Je souhaite également formuler des remarques concernant la médicalisation de la profession. Je conçois tout à fait que cette médicalisation passe par l'interdiction des ristournes qu'un laboratoire peut consentir à un établissement de santé dans le cadre de contrats de collaboration. En effet, nous ne parlons pas ici de biens de consommation ou de prestations de services quelconques, mais de santé, ce qui implique le respect du principe de la tarification des actes médicaux.
Cependant, cette interdiction causera en réalité des difficultés aux établissements de santé qui bénéficiaient de telles ristournes. Je pense notamment aux centres de santé et aux hôpitaux publics, qui se sont vu fixer cette année encore un objectif de dépenses inférieur à l'évolution prévisible de leur budget liée à l'augmentation des salaires dans la fonction publique et à l'augmentation du prix des médicaments et de l'énergie, autant de dépenses dont les directeurs d'hôpitaux n'ont pas la maîtrise. La seule chose qu'ils peuvent faire pour compenser ces hausses de dépenses est de réduire toujours plus leur masse salariale, donc les emplois, ce qui n'est plus possible sauf à porter gravement atteinte au fonctionnement hospitalier. Il conviendrait donc que le Gouvernement prévoie une enveloppe budgétaire pour compenser, au cas par cas, le coût de cette interdiction des ristournes pour les hôpitaux et les centres de santé.
Enfin, j'ai quelques réserves et interrogations au sujet de l'accréditation des laboratoires. Bien sûr, j'approuve sans aucune réserve l'impératif de renforcement de la qualité : il est tout à fait légitime d'exiger une accréditation pour le maximum d'actes et de parvenir à l'objectif de 100 % dans les meilleurs délais, car la qualité des examens ne saurait être négociée. En revanche, eu égard aux tarifs pratiqués par le comité français d'accréditation – le COFRAC –, davantage de transparence m'apparaît nécessaire.