Intervention de Gérard Berry

Réunion du 21 février 2013 à 14h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Gérard Berry, professeur au Collège de France, membre de l'Académie des sciences et de l'Académie des technologies :

Je suis ravi que vous ayez pris l'exemple de la navigation aérienne, domaine dans laquelle la France était très en avance. Il était devenu impossible de piloter des avions de chasse à la main. En outre, l'informatique a permis une navigation plus économique, plus légère et surtout plus sûre.

Elle est désormais partout et ses applications sont innombrables. Je vais vous parler aujourd'hui de ses dangers, mais ceux-ci ne doivent pas faire oublier ses succès, qui sont plus importants.

Il y a deux grands dangers liés à l'informatique : les bugs et l'inculture informatique.

Il faut savoir qu'un programme informatique est un système qui exécute exactement et obstinément des ordres extraordinairement détaillés, y compris ceux qu'on n'aurait pas dû lui donner, d'où les bugs. Cela ne signifie pas que tous les systèmes engendrent des bugs. En avionique, l'extrême sophistication des méthodes de développement et de certification des équipements informatiques permet de les éviter. En réalité, les bugs sont dus au manque de soin dans la fabrication des applications. C'est le cas pour les téléphones portables, les industriels ayant d'abord le souci de sortir de nouveaux produits le plus rapidement possible pour conquérir des parts de marché. Il est vrai que la qualité des téléphones portables n'est pas un enjeu vital, à la différence de celle d'un avion. Les équipements informatiques posent également beaucoup plus de problèmes dans les voitures que dans les avions, parce que la règle de base des constructeurs automobiles est de réduire les coûts.

Le manque de culture informatique est peut-être plus grave, dans la mesure où il est plus difficile d'y remédier qu'à un simple problème technique. Pendant très longtemps, nos dirigeants ont relégué l'informatique à une place ancillaire. Cela s'explique par le fait qu'ils sont généralement dépourvus de toute formation dans ce domaine, voire du simple bon sens qui leur permettrait de comprendre à peu près comment cela fonctionne. Faute de cette qualité, on a tendance à projeter sur ce sujet les compétences apprises ailleurs. Je me suis ainsi rendu compte que les ingénieurs avec lesquels j'ai été amené à travailler sur le projet de navette Hermès appliquaient à l'informatique des raisonnements de mécanique.

Pour contrer les bugs, les informaticiens, tant les chercheurs que les industriels, développent des techniques de génie logiciel ou de mathématique formelle, domaine où la France excelle. Malheureusement les techniques de génie logiciel ne bénéficient pas de la même considération que les techniques de génie mécanique.

Il faut donc promouvoir les systèmes qui marchent, car ils existent : on n'est pas obligé d'utiliser des programmes qui ne fonctionnent pas ! Si la commande publique en matériel informatique n'était pas obnubilée par le critère du moindre coût, l'État risquerait moins de bugs, dont le coût peut se révéler important : récemment, un bug affectant la fabrication d'un des transistors du dernier Pentium a coûté un milliard de dollars à Intel.

L'autre remède, c'est l'éducation. Aujourd'hui que tout est numérique, il est grand temps que les ingénieurs et les dirigeants soient éduqués à l'informatique. L'éducation à l'informatique fait d'ailleurs l'objet de travaux de l'Académie des sciences. Il faut absolument que les parlementaires se saisissent de ce sujet crucial : nous ne serons pas en mesure de fabriquer des systèmes fiables et exportables tant que la culture informatique ne sera pas généralisée dans notre pays. Comme le disait Jean Vilar, « si vous trouvez que l'éducation coûte cher, essayez l'ignorance. »

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion