Intervention de secrétaire confédéral de la CGT-FO

Réunion du 21 mars 2013 à 9h30
Commission des affaires sociales

secrétaire confédéral de la CGT-FO :

Monsieur Cherpion, sur la question des droits rechargeables, notre organisation est la seule à avoir formulé une proposition écrite et chiffrée. Relisez l'accord : la mesure, qui concerne essentiellement les contrats courts, coûte potentiellement 700 millions d'euros. Or elle ne doit pas creuser le déficit de l'assurance chômage, qui atteindra 19 milliards d'euros à la fin de 2013. En outre, les négociations devront commencer en septembre, puisque la convention prend fin le 31 décembre 2013. Il serait plus sage de réfléchir au moyen de mieux prendre en compte des droits rechargeables qui existent actuellement sous le nom de réadmission ou de reprise de droits.

Pour l'année, le reliquat des droits non utilisés se monte à 6 milliards d'euros. Si l'on veut équilibrer le régime de l'assurance chômage, il n'y a que deux solutions : augmenter les recettes, un point de cotisation représentant 5 milliards d'euros, ou diminuer les dépenses. La seule manière de financer le dispositif sera de taper sur les demandeurs d'emploi les moins pauvres. Voilà pourquoi nous disons que le texte ne crée en fait qu'un droit virtuel.

Je rejoins l'avis du rapporteur sur le compte de formation. Tous les cinq ans, nous entendons les mêmes doléances sur l'inefficacité de notre système de formation. Mais quel est l'objectif essentiel ? Est-ce d'avoir des chômeurs bien formés ? La problématique de l'emploi doit être prioritaire. Relisez l'accord : le compte personnel de formation n'apporte rien de plus que le DIF, puisqu'il suppose l'accord de l'employeur et ouvre droit à cent vingt heures de formation au prorata du taux d'activité. Autant dire que le texte n'introduit aucune amélioration.

Le législateur peut parfaitement nous donner six mois pour renégocier, en associant les pouvoirs publics et les régions à la concertation. Nous ne sommes pas pressés. Mais laisser le dispositif tel quel, c'est aller à la catastrophe. Nous l'avons perçu lors des débats au sein du Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie et pendant la négociation. Substituer au droit individuel de formation le compte personnel de formation, c'est seulement varier la technique de gestion et la terminologie. « Quand les hommes ne peuvent changer les choses, disait Jaurès, ils changent les mots. »

Pour nous, l'essentiel est de définir le public visé, sachant que, dans un premier temps, il vaut mieux, par prudence, ne pas prévoir un droit universel. Ciblons par exemple les jeunes ou les non-diplômés. De plus, puisqu'il s'agit de faciliter la transition professionnelle, le droit devra être activé prioritairement à la sortie de l'emploi, forcée ou voulue.

Il faut aussi savoir comment et grâce à quel financement il s'exercera. Qui paiera : les pouvoirs publics, l'employeur ou le salarié lui-même ? Il est paradoxal que l'accord du 11 janvier mentionne un « compte personnel de formation », alors que le salarié ne peut exercer aucun choix. Il faut établir une frontière étanche entre le compte personnel et les dispositifs du plan de formation, que l'on a tendance à confondre. Nous sommes prêts à négocier, dans le calendrier que fixera le législateur.

Sur le contrat de travail intermittent, la négociation a été folklorique. Le dernier jour de la concertation, j'ai fait remarquer à la CGPME que nous attendions depuis trois mois l'annexe détaillant les secteurs. Elle nous a fourni une liste où figuraient les auto-écoles – qui en ont disparu ensuite par magie –, ainsi que les organismes de formation, à l'exception des organismes de formation en langue. Pourquoi ? Parce que, dans ceux-ci, un accord de branche entre les organisations syndicales et patronales a mis en place le contrat de travail intermittent. Faute d'avoir pu l'imposer partout, le patronat s'est engouffré dans cette brèche.

Monsieur Cavard, s'il ne constitue pas un accord historique, je conviens que le texte a le mérite de poser la question fondamentale du rapport entre le collectif et l'individuel. En France, le droit du travail protège paradoxalement le contrat individuel tout en faisant la promotion du contrat collectif. Reste que les droits individuels ne sont pas réductibles à celui-ci. Les accords compétitivité-emploi cherchent à faire le bonheur des salariés malgré eux, ce qui n'est pas possible.

Notre organisation ne s'est jamais montrée défavorable à ces accords. J'en ai signé il y a quinze ans. Je n'avais pas le choix, puisque je travaillais dans l'industrie alimentaire pendant la crise de la vache folle. Mais il faut dire la vérité aux salariés. Ces accords, qui visent à sauver des emplois, n'y parviennent pas toujours, et ce n'est pas en réduisant les salaires qu'on favorise l'emploi. À ce jeu, on gagne au mieux deux ou trois mois. C'est ce qui s'est passé chez Renault ou à Sevelnord. Pour avancer, il faut deux jambes : on doit non seulement réorganiser le temps de travail – ce qui est très dur quand on doit faire les quatre-huit – mais aussi procéder à des investissements industriels, comme cela s'est passé tant chez Renault, avec la relocalisation d'activités automobiles, qu'à Sevelnord, avec l'entrée d'un véhicule électrique, ou à Osram, avec la fabrication des ampoules à basse tension. C'est la seule condition du succès.

Il est arrivé que certaines entreprises prennent nos délégués pour des « zozos ». Heureusement, ils savent lire un compte de résultats et un compte de bilan. En outre, ils connaissent la situation économique de l'entreprise. La fédération ou l'union départementale les aident à examiner l'accord en se demandant s'il est intéressant pour les salariés. Le plus souvent, ce n'est pas leur intérêt qui est pris en compte. Rappelez-vous ce que disait l'ancienne majorité en mai, alors que la négociation avait commencé depuis deux mois. Pour Xavier Bertrand, ministre du travail, la seule entreprise qui comptait en France était Poclain Hydraulics, parce que, 10 % des salariés ayant refusé de signer un accord réduisant le temps de travail et les salaires, il avait fallu prévoir un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). L'Union des industries et métiers de la métallurgie ne veut plus qu'on recoure à un tel plan lorsque des salariés refusent de signer les accords, mais il y a un moment où il faut préserver les droits individuels qui, je le répète, ne sont pas réductibles au contrat collectif.

La question de l'homologation des plans de sauvegarde de l'emploi en cas de licenciement économique collectif mérite d'être posée. Nous considérons, comme nous l'avions proposé lors des négociations, que c'est à l'administration qu'incombe le contrôle, qui ne doit pas se cantonner aux mesures du plan et au délai des procédures. Pourtant, si un juge judiciaire n'est jamais tenu à une décision administrative, ne nous leurrons pas : quand l'administration homologue un plan social signé par des représentants majoritaires, cette décision pèse forcément sur le contentieux judiciaire.

À mon sens, l'accord manque sa cible. Il n'envisage que la situation des grandes entreprises. Or, en 2011, on a compté 952 plans de sauvegarde de l'emploi. En outre, les licenciements économiques représentent moins de 3 % des entrées à Pôle emploi. Je regrette que le débat que nous devions avoir sur les contrats courts ait été biaisé. Le principe d'une homologation par l'administration est intéressant, à condition que celle-ci ait les moyens de faire son travail, mais, après la révision générale des politiques publiques et maintenant la modernisation de l'action publique, je doute que ce soit encore le cas. Vous le constatez dans vos circonscriptions : de plus en plus de gens s'interrogent sur la capacité de l'administration à effectuer un contrôle de qualité.

En ce qui concerne les clauses de désignation, monsieur Sebaoun, nous craignons que, si l'on ferme la porte, certains n'entrent par la fenêtre. Au cours de la négociation, les fédérations patronales, qui ne voulaient plus de ces clauses, même sur les régimes de prévoyance, se sont livrées à un intense lobbying. À les entendre, il fallait tout remettre à plat, au nom de la transparence, mais celle-ci ne doit pas être confondue avec la pratique de l'appel d'offres, qui doit être réservée aux marchés publics. Pour avoir négocié certains accords de prévoyance, je sais qu'ils ne sont pas exempts de transparence, puisqu'on établit un cahier des charges, qu'on l'envoie aux opérateurs, qu'on les auditionne et qu'on choisit le meilleur d'entre eux. Le risque, avec l'accord du 11 janvier, est que l'unique critère retenu soit le prix, ce qui est grave, car certains opérateurs ont une telle surface financière qu'ils pourront se permettre de faire du dumping. C'est pourquoi nous devrons être très vigilants, et distinguer nettement la notion de transparence du principe de l'appel d'offres.

M. Cavard m'a demandé si la négociation avait permis de renforcer le dialogue social. Sur la forme, je conviens qu'elle est préférable à l'oukase, même si, après nous avoir laissé jusqu'à la fin mars pour négocier, on nous a dit qu'il vaudrait mieux finir en décembre, ce qui interdisait de traiter à fond les sujets complexes. Sur le fond, la législation actuelle prévoit qu'un accord d'entreprise ou d'établissement n'est valable que signé par un ou plusieurs syndicats représentatifs ayant recueilli 30 % des suffrages exprimés au premier tour des élections professionnelles. L'accord à 50 %, que réclame le projet de loi, sera beaucoup plus difficile à obtenir. On devine ce que deviendra le dialogue social dans ces conditions. Au reste, pourquoi l'obligation de signer un accord collectif améliorerait-elle le contenu des plans sociaux ? Aujourd'hui, même si elle n'est pas formalisée par un accord collectif, la négociation existe déjà, puisque le projet présenté en début de consultation n'est jamais celui qui sera transmis à l'administration. Dès lors, qu'apporte l'accord collectif ? La seule avancée envisageable serait que l'on puisse repenser les délais.

Nul besoin de rappeler les difficultés rencontrées par nos délégués lors de la négociation de l'accord Renault. Si les accords compétitivité-emploi évitent une baisse de la rémunération, ils ne permettent pas de renouveler l'emploi. En somme, ils ne sont qu'un chantage à l'emploi. Comment résister quand on n'a le choix qu'entre une baisse de salaire de 20 % et un licenciement ?

Sur les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, je ne suis pas en mesure de répondre.

Pour conclure, je rappelle notre position. Sur le plan macroéconomique, on ne peut pas réduire la problématique de l'emploi à la question sociale. Or, au cours de la négociation, nous avons eu l'impression qu'il fallait à tout prix signer un accord, parce qu'on ne trouvait plus de solution macroéconomique. L'accord du 11 janvier qui prétend chercher « un nouveau modèle économique et social » mentionne la compétitivité avant la préservation de l'emploi, ce qui est révélateur. On connaît la rengaine de la philosophie patronale : « C'est en licenciant plus facilement qu'on embauchera plus facilement. » Mais, en Grèce, où l'on a libéralisé le marché du travail, 50 % des jeunes sont au chômage. C'est aussi le cas en Espagne. L'accord pose donc un problème de fond.

Enfin, je vous invite à regarder les chiffres de la Chancellerie. Le nombre d'actions devant les prud'hommes diminue depuis quinze ans. Seuls 3 % ou 4 % des plans de sauvegarde de l'emploi – infiniment moins nombreux que les ruptures du contrat de travail – arrivent devant la justice. Le plus grand nombre d'entrées à Pôle emploi – 130 000 par mois – sont constituées par des fins de CDD. Le patronat considère le droit du travail comme un frein. S'il cherche à déjudiciariser, c'est pour éviter que le juge – qui, après tout, est quasiment un fonctionnaire – ne se prononce sur la cause économique. Dans l'entreprise, le patronat se sent chez lui. C'est tout juste s'il admet la présence des syndicats, à la seule fin d'imposer des accords de mobilité forcée et des plans sociaux. Pour le dialogue social, en revanche, il entend s'affranchir des seuils. C'est parce que nous ne partageons pas cette philosophie que nous avons refusé de signer l'accord.

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