Intervention de Pierre Morel-A-L'Huissier

Séance en hémicycle du 26 mars 2013 à 21h30
Élection des conseillers départementaux des conseillers municipaux et des délégués communautaires et modification du calendrier électoral — Discussion générale commune

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-A-L'Huissier :

Madame la présidente, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, les grande lois de décentralisation des années 1982-1983 ont posé les bases de notre démocratie locale, en conférant de l'autonomie ainsi qu'une dimension politique et administrative à nos collectivités locales. Les deux projets de loi, organique et ordinaire, que nous examinons aujourd'hui en deuxième lecture ne s'inscrivent absolument pas dans cette logique.

Le texte a été rejeté par le Sénat en première lecture, le 18 janvier dernier. C'est la première fois qu'un texte aussi important pour les collectivités locales est rejeté par l'assemblée chargée de les représenter : c'est un signe, et peut-être un signe néfaste ! Ce texte ne génère que peu d'enthousiasme et, s'il a finalement été adopté en deuxième lecture par le Sénat, ce n'est qu'après avoir été maintes fois amendé, tant il est loin des attentes exprimées par les élus locaux lors des états généraux de la démocratie locale.

Je suis inquiet, monsieur le ministre. Je suis inquiet pour les territoires ruraux, dont les dispositions de ce texte mettent à mal la représentation électorale.

L'article 2 du projet de loi prévoit un nouveau mode de scrutin, binominal, mode de scrutin qui, je le rappelle, ne dispose d'aucun équivalent dans le monde. Le ministre de l'intérieur parle d'ailleurs d'un mode de scrutin « unique au monde ». Pourquoi cette exception française ? Vous êtes-vous demandé pourquoi aucun autre pays au monde n'a envisagé une telle mesure ?

Sous couvert d'améliorer la parité des élus départementaux, un binôme mixte, solidaire pendant la campagne électorale, puis indépendant une fois élu, a été imaginé. J'émets les plus vives interrogations sur le fonctionnement et l'entente efficace, dans la durée, pour le canton et sa population, de ce fameux couple imposé. Comment ces élus se répartiront-ils la tâche ? En cas de désaccord, des conflits politiques et humains se feront jour : comment cela se traduira-t-il pour le citoyen ? Où sera l'efficacité au service de l'intérêt général ? Je crains que ce système de binôme ait bien du mal à fonctionner. Par ailleurs, deux personnes élues sur leur nom, exerçant en même temps mais indépendamment l'une de l'autre, c'est la compétition assurée dans les territoires. Monsieur le ministre, vous n'avez jamais répondu à cette question : comment se régleront les conflits au sein du binôme ?

L'article 3 prévoit par ailleurs une division par deux du nombre de cantons actuels, ce qui va conduire à un laminage total des territoires ruraux, avec un éloignement programmé du futur conseiller départemental de ses électeurs et une marginalisation de la représentation territoriale de proximité.

Pour y parvenir, un redécoupage général va être opéré sur des bases exclusivement démographiques. C'est l'objet de l'article 23. Pour créer un canton, il faudra regrouper plusieurs cantons ruraux, fusionner jusqu'à cinq cantons en un seul dans certains départements. Le nouveau découpage aboutira à la création de super-cantons, dont la superficie pourra aller jusqu'à 500 kilomètres carrés tandis que, dans certains départements, la population moyenne des cantons dépassera 75 000 habitants. Il est intolérable que votre gouvernement privilégie ainsi le modèle urbain !

La configuration démographique des départements n'est pas homogène, et si l'on applique le seul critère démographique, même avec un correctif de 30 %, il y aura de nombreux départements dans lesquels la très grande majorité des élus ne représenteront plus que les grandes villes.

Deux questions se posent. Qu'adviendra-t-il, d'abord, des chefs-lieux de cantons ruraux actuels ? À aucun moment de nos débats vous n'avez abordé ce sujet. Or la cartographie administrative sur laquelle s'inscrit la vie de tous les jours est aujourd'hui liée au chef-lieu de canton rural et aux services publics qui s'y trouvent : l'école, la gendarmerie, la poste, le centre de l'équipement ou le centre technique du département, les relais de services publics, le siège d'un EPCI. Qu'adviendra-t-il, ensuite, de toute cette structuration administrative, avec votre redécoupage qui va entraîner la disparition de deux, voire trois ou quatre chefs-lieux de canton ?

Concernant le remodelage de la carte électorale, j'ai bien noté le tunnel passant de 20 % à 30 % en plus ou en moins, ainsi que l'article 23 remanié, qui, dans un souci d'aménagement équilibré du territoire, prend en compte des considérations – de portée malheureusement limitée – géographiques, topographiques ou démographiques, comme l'enclavement, la superficie ou le nombre de communes ; je subodore que le ministère de l'intérieur pourra y trouver de larges possibilités de triturations.

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