Intervention de Laurent Fabius

Réunion du 23 janvier 2013 à 17h00
Commission des affaires étrangères

Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères :

Il est tout à fait normal que je me tienne à la disposition de la représentation nationale. J'apprécie au demeurant la tonalité de nos échanges.

La mise en place de la MISMA été décidée dans le cadre de la résolution 2085 adoptée sous chapitre VII de la Charte des Nations unies. À l'initiative de la France, ce texte a été voté à l'unanimité. On peut donc d'autant moins parler d'improvisation que, lors de la session de l'Assemblée générale des Nations unies, le Président de la République avait consacré une partie de son propos à la situation au Sahel et, en particulier, au Mali. Ensuite, à notre initiative encore, une réunion avait été organisée et permis une prise de conscience internationale. De nombreux responsables africains ont d'ailleurs vivement remercié notre pays car la situation au Sahel et au Mali n'occupait pas le devant de la scène avant que, pressentant les graves difficultés qui allaient survenir, la France ne contribue à la mettre en pleine lumière.

Après l'adoption de la résolution est venue la décision européenne de constituer une European Union Training Mission (EUTM), afin de former l'armée malienne.

Les Nations unies, les Africains et les Européens avaient donc programmé un certain nombre d'actions, selon un calendrier précis qui devait débuter à la fin du printemps ou au début de l'été 2013 . Deux groupes terroristes étaient alors identifiés comme tels : le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'ouest (MUJAO) et Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Le MNLA se tenait quant à lui à l'écart et Ansar Dine était considérée comme une organisation certes contestable, mais avec laquelle il était possible de discuter

Est survenue ensuite une accélération de l'histoire et un retournement de situation : Ansar Dine s'alliant avec le MUJAO et AQMI pour marcher sur Bamako, ce à quoi les troupes maliennes n'étaient pas en mesure de s'opposer.

Le président du Mali, M. Dioncounda Traoré, a saisi les Nations unies et a lancé un appel urgent à la France. Le président Hollande a dû alors prendre les décisions qui s'imposaient.

Lors de la réunion qui s'est tenue samedi dernier à Abidjan, le président Traoré m'a demandé de transmettre ses remerciements les plus chaleureux au peuple français et m'a dit, en termes très émouvants, que si la France n'était pas intervenue – puisqu'elle seule était en situation de le faire –, le Mali serait devenu un État terroriste. Le président de la Côte d'Ivoire, M. Alassane Ouattara, celui du Sénégal, M. Macky Sall, celui du Burkina Faso, M. Blaise Compaoré, et d'autres encore ont affirmé que leurs pays aussi auraient été menacés.

Le déploiement de la MISMA a donc été accéléré. Actuellement, plus de 1 000 soldats sont arrivés et, indépendamment de la CEDEAO, le Tchad a envoyé des renforts appréciables compte tenu de sa position géographique, de ses capacités militaires et de sa connaissance du terrain. Des forces sont également présentes au Niger, certaines étant arrivées à Bamako, d'autres ayant déjà commencé à se déplacer vers des villes intermédiaires. Cela ne va pas, bien entendu, sans problèmes de logistique et d'équipement, mais j'ai pu constater que l'effort déployé par nos amis africains était à la mesure du nôtre.

S'agissant du financement, mon collègue Jean-Yves Le Drian vous a sans doute fourni quelques éléments mais nous y verrons plus clair lorsque les Nations unies, en liaison avec l'Union africaine et avec la CEDEAO, auront évalué l'ensemble des coûts engagés, et surtout après que se sera tenue mardi, à Addis-Abeba, dans le cadre de l'Union africaine, la conférence des donateurs. En outre, avec nos ambassadeurs et, souvent, leurs homologues africains, nous sommes en train de recueillir des informations auprès de l'ensemble des pays concernés.

Les pays qui ont prétendu que nous n'agissions pas comme il le faudrait sont très peu nombreux. Leur argumentation s'effondre, d'ailleurs, lorsque le Mali, rejoint en cela par d'autres États africains musulmans, leur expliquent que c'est à leur demande que la France est intervenue et que c'est une chance car, sans elle, il n'existerait plus.

Le risque d'exactions constitue évidemment un point très important. Les troupes françaises se comportent bien évidemment d'une manière exemplaire, mais ce danger ne peut être écarté compte tenu de la violence des actions des uns et des autres ainsi que des oppositions ethniques ou autres. Lors du sommet d'Abidjan, j'ai donc insisté auprès de l'ensemble des participants et, notamment, du président Traoré pour que l'armée malienne et celles de la MISMA bannissent et dénoncent les éventuelles exactions, qui devront donner lieu à des poursuites. La procureure auprès de la Cour pénale internationale a d'ailleurs ouvert une instruction à propos d'événements passés. J'ai eu l'occasion de redire tout cela au Premier ministre du Mali, M. Diango Sissoko, lors de la conversation téléphonique que nous venons d'avoir. Le président Traoré s'est quant à lui engagé à sévir contre de tels comportements et je sais qu'il ne manquera pas de répéter son propos au cours de cette semaine.

Les violations des droits humains sont inacceptables, qu'elles soient le fait de civils ou de militaires, mais, si l'action de l'armée malienne et de la MISMA devait être entachée par des exactions, l'intervention de la communauté internationale en serait gravement atteinte. Nous devons donc nous montrer particulièrement vigilants sur ce point, qui figure d'ailleurs dans le mandat de l'EUTM : les 500 formateurs européens – eux-mêmes protégés par 200 militaires de l'Union – ont pour mission d'insister particulièrement sur la condamnation de ces méfaits.

Lors de la discussion qui s'est déroulée à l'ONU et à l'occasion des rencontres qui ont suivi, les États-Unis nous ont fait part de leur total soutien politique. Avant que la résolution du 20 décembre ne soit adoptée, un débat avait été engagé sur la pertinence ou non du concept et sur le format de l'intervention, et un accord avait été trouvé sur une formulation précise. Certes, les conditions dans lesquelles cette intervention s'est produite n'ont pas été celles qui avaient été prévues, mais le soutien politique américain n'en est pas moins réel. Les États-Unis ont ainsi mis à notre disposition un certain nombre de moyens dans le domaine des transports et du renseignement.

Le Royaume-Uni, comme souvent, a été le premier pays à soutenir très clairement la position française sur un plan politique, ce dont j'ai remercié ses dirigeants. Indépendamment de leur action en tant que membres des Nations unies ou de l'Union européenne, ainsi que de la contribution financière qu'ils annonceront lors de la conférence d'Addis-Abeba, les Britanniques nous apportent un soutien logistique et dans le domaine des transports.

Vous avez eu l'occasion, hier, de discuter avec vos homologues allemands. À ce propos, je note – mais avec un sourire – que je n'ai pas entendu les orateurs français de l'opposition adresser des reproches à leurs hôtes, ce en quoi ils ont d'ailleurs eu raison. Les Allemands nous apportent en effet un soutien politique total et proclament que le combat de la France est aussi le leur. Lorsqu'elle a reçu le Président du Bénin, M. Thomas Boni Yayi, qui préside également l'Union africaine, Mme Merkel a ainsi affirmé que la France ne défendait pas seulement le Mali ou la France elle-même, mais aussi l'Allemagne et l'Europe. Les Allemands ont d'ailleurs pris un certain nombre de décisions pratiques en conséquence.

Les pays que je viens de mentionner proposeront-ils d'envoyer des hommes dans le cadre de la MISMA ? Nous verrons ce qu'il en sera.

Sur les deux cents pays de la planète, on compterait sur les doigts d'une main ceux qui ont fait des déclarations hostiles. Ce fut le cas d'une autorité tunisienne, mais une autre a tenu des propos différents. J'ai conversé au téléphone avec le Premier ministre du Qatar qui m'a quant à lui assuré parfaitement comprendre la position de la France. Si une position officielle est arrêtée, nous verrons bien quelle elle sera. Il en est de même s'agissant de l'Arabie saoudite et d'autres pays encore.

L'OCI, c'est vrai, a dans un premier temps formulé un appel au cessez-le-feu, mais elle a appelé ensuite à la « mobilisation aux côtés des États africains », ce qu'on ne peut pas considérer comme une condamnation de l'action française. De son côté, le Président Morsi a certes fait la déclaration que vous évoquez, mais nous verrons à l'occasion de sa venue en Allemagne puis en France ce qu'il en est vraiment. Nous lui avons en tout cas fourni toutes les informations nécessaires, ainsi qu'à l'ambassadeur d'Égypte à Paris. Nous faisons ce que nous devons.

Le processus politique constitue également un point très important qui a été abordé par les Nations unies, dans le cadre de l'Union européenne et lors de la conférence d'Abidjan.

J'ai en l'occurrence insisté sur les trois volets de l'action que nous devons mener au Mali et au Sahel : volet sécuritaire, bien évidemment ; volet politique – il faut que s'engagent des discussions entre le nord du Mali et des autorités politiques légitimées par des élections – et, enfin, volet du développement.

Après le coup de force des terroristes, il importait au premier chef de bloquer leur avancée. Néanmoins, il est évident pour nous, mais aussi pour la CEDEAO comme pour l'Union européenne et pour la communauté internationale, que l'élaboration rapide d'une feuille de route s'impose. J'ai cru comprendre qu'un conseil des ministres qui se tiendra dans quelques jours à Bamako en examinera une. Il appartiendra certes aux autorités maliennes d'en définir le contenu, mais deux points sont indispensables : d'une part, la discussion avec le nord du Mali, ses élus, ses populations civiles qui sont nombreuses à vouloir simplement vivre et être considérées – ce qui, c'est un euphémisme, n'a pas toujours été le cas ; d'autre part, l'ouverture d'un processus électoral. Bien entendu, il n'est pas question qu'AQMI organise le scrutin dans le nord du pays !

Nous devons donc toujours avoir à l'esprit les trois éléments que je viens de mentionner.

Le Premier ministre malien m'a indiqué, comme le président Traoré l'avait fait auparavant, que la feuille de route serait présentée à l'Assemblée malienne dans quelques jours, qu'elle serait adoptée et appliquée.

Je crois donc avoir commencé à répondre à vos légitimes interrogations, monsieur Dufau.

S'agissant de la situation des populations civiles, le président Traoré a utilisé une formule frappante et émouvante en comparant l'arrivée des Français à Bamako à la libération de Paris.

Les terroristes reculent, certes, mais ils sont encore capables de très mauvais coups. Nous devons donc nous montrer très vigilants dans les zones libérées et dans les pays voisins du Mali. Des mesures de sécurité ont été prises, d'autres le seront.

Dans les parties du territoire qui n'ont pas encore été libérées, la population connaît de graves difficultés.

Enfin, il faut tenir compte des centaines de milliers de personnes qui ont été déplacées. Nombre d'habitants du nord sont ainsi partis pour le sud ou dans les pays voisins, en Mauritanie, au Burkina-Faso ou au Niger. Ils ne reviendront que lorsque le territoire sera sécurisé mais, en attendant, ils ont besoin d'une aide alimentaire et sanitaire. Les Nations unies et l'Europe accomplissent à cet égard des efforts qui devront encore être accrus.

Il est sans doute souhaitable que le Mali devienne un État exemplaire, monsieur Dufau, mais tel n'est malheureusement pas encore le cas. Pour y porter remède, il faut agir dans les trois directions que j'ai indiquées : le Mali doit retrouver son intégrité territoriale, la paix et la démocratie afin d'être à même de se développer correctement. Nous savons bien que ce ne sera pas possible en deux ou trois semaines mais l'espoir a désormais changé de camp. C'est en tout cas la conviction que je retire de mes contacts avec les Maliens, qu'ils vivent ici ou là-bas, ou avec d'autres Africains. L'autorité du président Traoré, du Premier ministre Sissoko ou du ministre des affaires étrangères Coulibaly s'est considérablement affermie.

Je vous remercie, monsieur Lellouche, de ce que vous avez dit à propos de la solidarité de l'opposition. Les questions que vous posez sont légitimes. D'ailleurs, nous nous les posons aussi : il n'y a pas, d'un côté, ceux qui détiendraient toutes les réponses et, de l'autre, ceux qui tiendraient absolument à mettre des bâtons dans les roues. Il importe que nous ayons un véritable débat tout en maintenant une solidarité totale. Tel est le visage que doit donner la France dans les circonstances que nous connaissons.

Je confirme également les objectifs que vous avez mentionnés.

S'agissant, précisément, de la reconquête du Mali, Jean-Yves Le Drian a usé d'une formule juste mais qui a été mal interprétée. L'objectif est bien de restaurer l'intégrité territoriale de ce pays, mais ce n'est pas la France et, a fortiori, la France seule qui le fera.

Notre objectif est donc de bloquer la progression des terroristes puis de les faire reculer, de permettre à l'armée malienne de se renforcer et de faciliter l'arrivée de la MISMA. Nous pouvons réaliser un certain nombre d'opérations mais, ensuite, ce sera aux Africains de prendre le relais. À plusieurs reprises, le Président de la République, le Premier ministre, le ministre de la défense et moi-même avons dit que nous n'avions aucune intention de rester éternellement au Mali : ce serait une erreur et une faute.

Nous devons donc proportionner nos forces en fonction de cet objectif. Elles doivent être assez nombreuses pour mener la bataille contre les terroristes, mais il n'est pas question de les dimensionner en contradiction avec les objectifs qui sont les nôtres. Je le répète : nous n'avons pas du tout l'intention de rester éternellement au Mali, nous voulons seulement faire en sorte que les décisions internationales s'appliquent : restauration de l'intégrité territoriale, mise en place de la MISMA, organisation d'élections dans un Mali devenu démocratique qui pourra ainsi se développer.

C'est une pétition de principe, monsieur Lellouche, que de considérer que la France serait seule. Outre que l'on n'est jamais seul lorsqu'on porte un message quasi unanime de la communauté internationale, nous bénéficions du concours effectif de la CEDEAO, du Tchad et d'autres pays africains mais, aussi, de nombre de nos partenaires de l'Union européenne, des Américains et des Canadiens. Si d'autres pays veulent nous rejoindre, ils seront évidemment les bienvenus.

Il est vrai, monsieur Asensi, qu'il faut prendre garde aux mots dont on use. Nous employons volontairement l'expression « groupes terroristes » parce que c'est bien de cela qu'il s'agit. D'aucuns parlent d'« islamistes » mais c'est prendre le risque de favoriser une confusion entre islamisme et islam, alors que ce qui se passe au Mali n'est en rien représentatif de ce qu'est la religion musulmane. Nous sommes un pays de laïcité où coexistent des gens de toutes religions : évitons tout ce qui peut évoquer un « choc des civilisations », une guerre entre non-musulmans – les « infidèles » – et musulmans !

Il faudrait d'ailleurs nous montrer plus précis à propos de ces « groupes terroristes » et parler plus exactement de « groupes narco-trafico-terroristes » car ils se livrent à toutes sortes de trafics mafieux – drogues, otages, armes – dont le terrorisme est à la fois le moyen et le but. Nous ne découvrons pas une telle situation mais, dans le grand jeu international auquel nous sommes confrontés, cet aspect-là doit être malheureusement de plus en plus pris en compte, notamment dans le Livre blanc de la défense à venir. Face à de tels risques, qui ne concernent pas le seul Mali, la France, qui est une puissance moyenne mais dont le rayonnement est grand, doit se doter des instruments qui lui permettent d'affronter le défi.

Enfin, la qualification de « groupes terroristes » rend compte à la fois de leur diversité et des connexions qui les caractérisent – ils échangent en effet leurs membres et les uns peuvent fort bien vendre aux autres les otages qu'ils ont pris – comme nous l'avons d'ailleurs constaté dans le récent drame algérien qui, contrairement à ce que j'entends parfois, n'est pas lié à la situation au Mali puisque l'opération avait été préparée depuis longtemps.

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