Madame la présidente, messieurs les ministres, chers collègues, si le rapport de gestion pour 2011 nous permet d'évaluer la performance et la sincérité de la gestion de l'exercice passé, la fin de la législature nous invite et même nous oblige à analyser cette gestion sur l'ensemble de la période écoulée.
J'ai le souvenir du début de la législature précédente qui a conduit à une baisse de l'impôt sur le revenu. J'ai vu, cette année-là, mes impôts personnels baisser de 1 000 euros sur un total d'environ 5 000 euros pour un revenu net mensuel de 4 000 euros ; ce chiffre doit d'ailleurs vous rappeler quelque souvenir puisque celui qui allait devenir le candidat de la gauche à l'élection présidentielle, puis notre nouveau Président de la République, l'avait lancé dans le débat. La question était simple : à partir de quel niveau pouvait-on mieux et plus contribuer à la solidarité nationale ? Je m'étais senti personnellement concerné par ce chiffre de 4 000 euros et je m'étais posé la question : « Penses-tu que tu puisses, que tu doives payer plus d'impôts ? » La réponse que je me suis faite alors a été clairement « Oui. Je le peux, je le dois, et peut-être même je le veux, parce que j'ai la conviction que cet effort peut permettre de mobiliser des fonds vers le financement de l'emploi et un travail pour le plus grand nombre : notre priorité absolue. Ce serait, somme toute, un juste retour à l'équilibre après que trente années d'ultralibéralisme ont déplacé dix points de la richesse nationale du travail vers le capital ». En effet, vous le savez, le travail ne bénéficie plus, aujourd'hui, que de 57 % de la richesse nationale contre 67 % au début des années 80.
Alors, pourquoi a-t-on réduit mes impôts ? Je pouvais les payer, mon argent ne serait pas allé en Suisse, même si j'habite Besançon, à quelques dizaines de kilomètres seulement de la frontière. Je n'ai pas compris. Enfin si, plus exactement, j'ai compris que la pensée unique, celle qui fustige l'impôt, a fini par pénétrer toutes les consciences et toutes les réflexions. Cette pensée unique, figure de proue du néolibéralisme, a fini par annihiler tout sens du bien commun. Vous connaissez le discours et les slogans : l'impôt nuit à l'économie, l'impôt tue l'impôt et patati et patata… Le plus triste, dans cette histoire, est que les plus modestes se sont faits les « complices » à leur insu de cette logique. Évidemment, quand vous avez des difficultés à boucler les fins de mois et que l'on vous propose de payer 100 ou 200 euros d'impôt en moins, vous ne dites pas non. Et vous oubliez, à cet instant, que votre effort de 100 ou 200 euros constitue un levier pour que d'autres, dont moi-même, paient 1 000 euros d'impôt supplémentaire et que d'autres encore contribuent de manière plus forte.
Cette stratégie bien connue consiste, pour briser les tentatives d'instauration d'un impôt et d'une contribution plus progressive et plus juste, à faire croire aux classes moyennes qu'elles vont être touchées. On doit faire le constat que le bourrage de crâne a fonctionné. Ça a marché ; il suffit parfois de consentir quelques menus avantages aux plus modestes pour qu'ils se fassent les alliés des plus fortunés. Même la gauche y a cru ; souvenez-vous, chers amis, combien, dans les années 90, il était difficile d'esquisser la moindre critique du libéralisme. Car faut bien le dire, ce n'est pas seulement le bilan de la majorité Sarkozy qui doit être accablé, c'est surtout la logique néolibérale des années 80 dont elle a hérité et qu'elle a portée à son paroxysme.
Voilà comment les politiques libérales, en promettant croissance et emplois, conduisent en réalité au résultat inverse. Sciemment, elles détruisent l'emploi public et, par idéologie, elles contribuent à l'effondrement de l'emploi privé. On compte 700 000 chômeurs supplémentaires depuis 2007 et autant de personnes précipitées, comme des grains de sable au fond du sablier, dans la dépendance aux allocations de remplacement, au chômage ou au RSA, ce que certains appellent l'assistanat. Eh bien, si assistanat il y a, mesdames et messieurs de l'opposition, ce sont les tenants du libéralisme et les soutiens de l'UMP qui en sont les responsables.
Il ne faut pas nous laisser enfermer, chers amis de la gauche. Nous devons riposter et montrer où sont les vraies responsabilités ; montrer ceux qui ont fait preuve du plus grand laxisme vis-à-vis d'un système qui concentre les richesses, décriminalise la délinquance financière et abîme autant les hommes que la nature.
Dès lors, les libéraux, acculés, n'ont plus qu'une solution : diviser le pays, dresser les uns contre les autres ceux qui travaillent et ceux qui cherchent un emploi ; les anciens et les jeunes ; la ville et la campagne ; les Français et les étrangers ; et tenter de faire porter à la gauche le poids de l'assistanat.
Il leur faut inventer des dispositifs censés faire croire que c'est l'UMP qui défend la valeur travail. Dorénavant – c'est le message qui nous a été asséné durant le précédent mandat et pendant les récentes campagnes électorales –, celles et ceux qui travailleront plus gagneront plus, grâce aux heures supplémentaires exonérées. Quant à ceux qui ne travaillent pas, puisque c'est leur faute et qu'ils l'ont bien mérité, ils devront des heures de travail à la collectivité en contrepartie de l'assistance qu'on leur accorde : 7 heures de travail en échange du RSA. Tel était le programme de l'UMP durant cette campagne.
C'est indigne au plan humain mais c'est aussi le signe d'une abdication politique totale de la part de celles et ceux qui détruisent l'emploi public – qu'ils associent au train de vie de l'État – et qui, par idéologie, laissent le libéralisme détruire l'emploi privé.
Arrêtons-nous un instant sur ce dispositif censé valoriser le travail : les heures supplémentaires exonérées. Nous ne contestons pas que l'exonération apporte globalement un revenu supplémentaire à un certain nombre de ménages, mais nous devons évaluer le dispositif dans son ensemble. Si le niveau de revenu complémentaire se limite en moyenne à 30 euros par mois, il peut atteindre 8 000 euros par an pour les 1 000 personnes situées dans la tranche supérieure des revenus, soit 10 000 euros par mois.
Chacun ici a bien compris que la majorité UMP avait décidé de faire de cette question l'un de ses chevaux de bataille – il y a là une clientèle électorale, 9 millions de personnes étant paraît-il concernées par les heures supplémentaires –, arguant que la gauche allait, par sa politique de remise en cause des exonérations, porter atteinte au pouvoir d'achat des classes moyennes.
Outre le fait que cette exonération n'a pas créé d'emplois nouveaux, ni même d'activité nouvelle, comme l'attestent les différents rapports, le dispositif des heures supplémentaires est très critiquable par divers aspects.
Ainsi, Jean Mallot et Jean-Pierre Gorges ont montré qu'il avait constitué une entrave à la création d'emplois, même si nous avons bien conscience que la réduction des heures supplémentaires ne crée pas instantanément des emplois, notamment dans les petites entreprises. Par ailleurs, il a entraîné une dépense de l'ordre de 4,5 milliards par an, le creusement de la dette – 0,2 point du PIB, ce qui n'est pas négligeable par les temps qui courent – et une perte de recette pour les régimes de protection sociale. Ainsi, les heures supplémentaires dans l'éducation nationale ont coûté davantage que les économies tirées du non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
D'autre part, ce système d'exonération porte atteinte au principe de la progressivité de l'impôt. Le slogan est devenu : « gagner plus pour payer moins », ce qui est particulièrement choquant. Ainsi, les 1 000 ménages les plus avantagés améliorent leur revenus de 8 000 euros par an, soit 8 %, alors que le gain moyen est de 250 euros par an, soit 0,3 % des revenus en masse.
Enfin, le système crée des injustices, non seulement entre bénéficiaires mais aussi à l'égard de celles et ceux qui, parce qu'ils sont aux 35 heures, n'ont pas accès aux heures supplémentaires et n'ont donc droit à aucune exonération. Quelle injustice !
J'interpelle les 9 millions de Français qui bénéficient de ce système – à des niveaux très différents, on l'a vu. Sont-ils prêts à cautionner ce système injuste, qui alourdit la dette de l'État et de la sécurité sociale et qui empêche la création d'emplois ?
Bien entendu, la question de la dette imprégnera l'ensemble de nos réflexions. Aussi avons-nous la responsabilité de privilégier les activités qui auront le meilleur contenu en emploi et le plus faible impact sur le milieu naturel.
Je vous livre un exemple très précis pour illustrer cette approche. Alors que l'argent public est rare et que des choix devront s'opérer, il convient de s'interroger sur le transfert d'une partie de nos moyens financiers des grands projets d'infrastructures vers le logement. Voilà un beau chantier, au coeur du développement durable, bénéfique à l'emploi local, bénéfique au plan social – il permet de maîtriser les dépenses liées à l'énergie –, et bénéfique à l'environnement. Sur ces trois critères, ce grand chantier – en réalité, une multitude de petits chantiers – apparaît bien plus performant que les grands projets d'infrastructures, dont le coût et l'utilité doivent être évalués, comme nous y invite fortement la Cour des comptes.
Nous devrons être particulièrement attentifs aux choix à opérer. Il est impératif de mieux prendre en compte l'impact du développement sur l'épuisement des ressources naturelles, le changement climatique, la perte de la biodiversité. Tôt ou tard, le bilan économique s'en ressentira. Cela a déjà commencé. Cela peut nous coûter très cher et creuser encore davantage notre dette. (Applaudissements sur les bancs du groupe écologiste et sur quelques bancs du groupe SRC.)