Intervention de Jean-Louis Bianco

Réunion du 26 mars 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Louis Bianco, ancien ministre des transports :

Je suis accompagné de M. Claude Sardais, inspecteur général des finances qui est mon adjoint dans cette mission, et de M. Ludovic Espinasse, ingénieur des ponts et chaussées.

La mission que m'a confiée le Gouvernement est transversale. Contrairement à ce que certains ont pu croire, elle ne porte pas seulement sur la dimension sociale du projet de réforme. Bien que conduite en étroite liaison avec le ministre des transports, M. Frédéric Cuvillier, ma mission est clairement interministérielle. Ma lettre de mission porte d'ailleurs aussi le paraphe du ministre de l'économie et des finances, M. Pierre Moscovici, et du ministre chargé du travail, de l'emploi et du dialogue social, M. Michel Sapin. Les missions confiées respectivement à M. Guillaume Pepy, président de la SNCF, tout récemment reconduit dans ses fonctions, et M. Jacques Rapoport, nouveau président de Réseau ferré de France (RFF), sont de nature différente : il leur est demandé à chacun comment en tant que président d'entreprise ils voient leur tâche dans la perspective de la réforme. M. Jacques Auxiette a été chargé, lui, de travailler auprès des régions qui, depuis la décentralisation, ont endossé le rôle d'autorités organisatrices des services régionaux de voyageurs. Votre collègue Philippe Duron, pour sa part, travaille, dans le cadre de la commission Mobilité 21, à faire le tri parmi les très nombreux projets du Schéma national d'infrastructures de transport (SNIT). Toutes ces commissions échangent bien sûr et travaillent ensemble, même si au final chacune assumera la responsabilité de ses propres propositions. Mais je n'ai pas de raison de penser qu'avec M. Jacques Auxiette par exemple, nous ayons de grandes divergences.

Il est prévu que je remette mes conclusions au Gouvernement vers le 15 avril. Au-delà, nous présenterons à nos concitoyens, nombreux à s'intéresser à la SNCF qui fait partie de notre patrimoine national, un document grand public résumant ce que nous avons appris des quelque deux cents personnalités et organisations que nous avons entendues, expliquant le raisonnement qui a été le nôtre, exposant nos constats et nos conclusions.

Aux termes de ma lettre de mission, la concertation que je dois conduire s'articule autour des quatre axes principaux de la réforme. Premier axe : unifier l'organisation de notre système ferroviaire, de façon qu'il réponde pleinement aux besoins des usagers. Deuxième axe : assurer l'efficacité économique et la pérennité de ce système, aujourd'hui lourdement endetté. Troisième axe : définir un nouveau pacte social, fondé sur un cadre modernisé, applicable à l'ensemble des entreprises de la branche. Quatrième axe : préparer l'ouverture du marché ferroviaire à la concurrence à l'horizon de 2019 et garantir que cette concurrence sera équitable.

Je ne sais pas encore comment s'intitulera exactement notre rapport final, mais je pense que nous oserons parler non de réforme, mais de refondation. Pour répondre aux objectifs fixés par le Gouvernement, il faut en effet repenser l'ensemble du système. En ayant tout d'abord une vision européenne : il serait grand temps de mettre en place un réseau trans-européen – ce serait d'ailleurs l'occasion de parler d'Europe de façon concrète et positive, avec à la clé de l'activité et des emplois, induits par les travaux nécessaires. En repensant également le transport « de bout en bout » avec à l'esprit l'intermodalité indispensable. En revenant aussi sur la séparation entre RFF et la SNCF qui a été source de dysfonctionnements et de coûts supplémentaires. Enfin, en élargissant la réflexion au-delà des questions de gouvernance. Il s'agit de penser un véritable système industriel capable de produire, s'agissant du gestionnaire des réseaux, des sillons – c'est-à-dire des réservations de voies pour certains types de trains à certaines heures – mieux adaptés à la demande, et pour les opérateurs ferroviaires, essentiellement la SNCF, une offre renouvelée répondant mieux aux besoins des usagers et du pays.

On a trop tendance à raisonner en circuit fermé : il y a certes RFF et la SNCF, mais aussi les opérateurs privés de fret ferroviaire, et bien sûr le grand concurrent que constitue le transport routier. Plus que jamais, la puissance publique – État, Gouvernement, Parlement et régions – doit se placer au coeur du dispositif. Ainsi nous semble-t-il indispensable que ce soit le Parlement, et non l'autorité de régulation ou un pôle public, fût-il unifié, qui décide des investissements et assure le suivi des contrats de performance. Nous en ferons la proposition.

Un large consensus se dégage pour réunifier RFF avec les directions de la SNCF dont le métier est étroitement lié aux voies. Le nouveau gestionnaire d'infrastructure unifié (GIU) regrouperait donc RFF, la direction de la circulation ferroviaire et SNCF Infra, qui assurent la maintenance, la modernisation et le développement des voies. Alors que RFF n'emploie aujourd'hui que quelque 1 700 personnes, le nouvel ensemble n'en compterait pas moins de 50 000. Je salue l'esprit de collaboration dont font preuve M. Pepy et M. Rapoport. Les personnels de leurs deux entreprises, comme nous avons encore pu le constater tout à l'heure à la gare du Nord, travaillent déjà ensemble et souhaitent continuer de le faire.

Créer un pôle public ferroviaire unifié ne signifie pas revenir à une entreprise verticale intégrée comme a pu l'être la SNCF par le passé, à une administration des chemins de fer. Même s'ils sont étroitement liés, « produire du rail » et « produire du train » demeurent deux métiers différents. Pour des raisons de clarté d'organisation, d'efficacité opérationnelle, mais aussi par souci de service public, il est devenu indispensable de recréer un pôle public, tout en garantissant l'impartialité du gestionnaire d'infrastructure qui devra donner accès au réseau à tous les opérateurs ferroviaires, actuels et futurs entrants, dans des conditions équitables.

L'approche de la Commission européenne la concurrence était une fin en soi. Or, nous pensons que celle-ci n'est qu'un outil. Le système ferroviaire est plus contraint que l'aérien ou la route puisqu'il y a le rail et le train qui circule sur ce rail. Sa situation n'est pas non plus comparable à celle des réseaux électriques, encore moins à celle des réseaux de télécommunications. Pour qu'il fonctionne bien, il faut que ceux qui sont chargés des trains et ceux qui sont chargés des voies travaillent ensemble, plutôt que d'imposer une séparation artificielle. Le souci d'efficacité lui-même a conduit nos voisins britanniques, qui étaient allés à l'extrême dans la privatisation et l'étanchéité des fonctions, à revenir à une part d'intégration. Notre souci n'est pas de nous affirmer idéologiquement comme pro ou anti-concurrence mais seulement de permettre que ce qui marche bien aujourd'hui continue à bien marcher et d'améliorer ce qui fonctionne moins bien.

La Commission indique désormais qu'il est deux systèmes possibles : celui de la séparation, comme aujourd'hui en France avec RFF et la SNCF, et celui de l'intégration, le commissaire Siim Kallas ne cachant pas sa préférence pour le premier. Mais au nom du principe de subsidiarité, nous avons le droit de choisir le second. Les discussions vont porter maintenant sur les conditions de l'impartialité et de la transparence du gestionnaire de l'infrastructure. Autant il convient, c'est le cas aujourd'hui en France, que le gestionnaire des voies soit indépendant et impartial dans la fixation des tarifs de péage et l'attribution des sillons, autant pour le reste, excepté le secret commercial nécessaire sur certaines opérations, point n'est besoin de « muraille de Chine » entre lui et l'opérateur ferroviaire. La transparence nous paraît plus importante que l'étanchéité. L'essentiel est qu'un contrôle soit possible, par l'autorité de régulation et par le Parlement.

Le manque de financement de notre système ferroviaire – ce terme me paraît plus approprié que ceux de dette ou de déficit – oscille entre 1,2 et 1,5 milliard d'euros par an. Dans le même temps, chacun s'accorde à considérer qu'il faut investir davantage que par le passé dans l'entretien, la modernisation et le développement du réseau actuel : n'oublions pas que 90 % des voyageurs empruntent d'autres trains que les TGV. Contrairement à ce que certains veulent laisser accroire, nous ne sommes pas « anti-TGV » ou « anti-LGV ». Nous pensons seulement que l'effort doit porter en priorité sur les zones congestionnées ainsi que sur la qualité de la desserte et de l'offre dans les zones rurales, avant la réalisation de nouvelles lignes à grande vitesse. Il appartient au Gouvernement et au Parlement, en un mot à la nation, et non aux entreprises ferroviaires elles-mêmes, de rendre les arbitrages sur le sujet.

Rapportée au chiffre d'affaires et au volume d'activité, la dette actuelle n'est pas aussi considérable qu'il pourrait y paraître. Nous disons donc qu'il faut pour l'heure s'attacher à la contenir et trouver les moyens de financer 1,2 à 1,5 milliard par an. Car il faut continuer d'investir, et surtout ne pas tomber dans une logique régressive où, par manque de crédits et peur de s'endetter, les investissements reculent, si bien que la qualité du service se détériore et que les recettes diminuent. Il faut au contraire chercher à accroître le trafic – la SNCF y travaille en renouvelant son offre –, de voyageurs et de marchandises, car il n'est pas question d'abandonner le fret. C'est ainsi, et non par une politique restrictive, d'austérité dirais-je, que l'on peut espérer atteindre l'équilibre.

Des centaines de millions d'euros d'économies sont escomptées du meilleur fonctionnement permis par le GIU. On peut attendre beaucoup aussi de l'essor de moyens et de services nouveaux. Pourquoi ne pas développer une offre de trains roulant à 200 ou 220 kmh, offrant le même confort que les rames de TGV les plus récentes, utilisant le plus souvent les lignes classiques, ce qui éviterait d'investir dans de nouvelles lignes à grande vitesse, et permettant de mettre en place, comme en Suisse et en Allemagne, un dispositif de cadencement ? Entre faire gagner une demi-heure sur un trajet au prix de milliards d'euros d'investissements et offrir, pour un coût bien inférieur, davantage de trains, à des horaires plus adaptés, il n'y a pas, selon moi, à hésiter. Mais il faut que nous prouvions au pays, et pas seulement aux autorités européennes, que notre système ferroviaire est capable d'atteindre l'équilibre financier.

S'agissant du nouveau pacte social, disons-le d'emblée, il n'est pas question de toucher au statut des personnels de la SNCF. Contrairement à ce que pensent certains, ce n'est pas la remise en cause de certains droits qui permettra d'accroître la productivité, mais bien plutôt l'octroi d'une souplesse négociée de manière intelligente au plus près du terrain. Une harmonisation est nécessaire, d'abord pour des questions de concurrence. L'expérience de l'ouverture du fret à la concurrence est riche d'enseignements. Les conditions sociales n'ayant pu être harmonisées auparavant – les écarts tenant d'ailleurs davantage à la réglementation de la durée du travail qu'aux salaires eux-mêmes –, la SNCF a perdu 30 % de parts de marché depuis l'ouverture à la concurrence, tandis que l'ensemble du fret ferroviaire reculait par rapport au transport routier. Il faudra, comme l'avait d'ailleurs préconisé M. Dutheillet de Lamothe, un décret-socle énonçant les règles d'ordre public qui, pour des raisons de sécurité, s'imposent pour les personnels de tous les opérateurs. Une convention collective de la branche ferroviaire devra aussi être négociée. Les positions de départ étant assez éloignées, la discussion ne sera pas facile, mais il est indispensable de mener à bien cette négociation.

Je terminerai par le sujet de la gouvernance. Certains ont évoqué des sociétés anonymes, d'autres des sociétés publiques. Tout bien considéré, il nous paraît que la structure juridique bien connue de l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) est la mieux adaptée. Nous proposons donc que la SNCF conserve son statut d'EPIC – même si la jurisprudence relative à la Poste peut susciter certaines craintes – et que le nouveau GIU conserve lui aussi le statut d'EPIC de RFF. Quant à la structure faîtière – le terme holding n'est pas approprié –, elle aussi pourrait être un EPIC. Cette structure assurerait notamment les fonctions ressources humaines, exportation, recherche, étant entendu que chacun des deux établissements SNCF et GIU serait pleinement responsable de l'opérationnel. L'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF) devrait, quant à elle, voir ses pouvoirs renforcés. Aux règles compliquées, bureaucratiques, parfois, je préfère un fonctionnement plus pragmatique, s'attachant à prévenir toute dérive et ne faisant appel à la sanction qu'en cas de non-respect des règles.

Au total, l'objectif de retour à l'équilibre du système ferroviaire, vraisemblablement étalé sur une dizaine d'années, se concrétisera dans les contrats d'objectifs et de performances conclus respectivement entre le GIU et l'État, et la SNCF et l'État. L'autorité de régulation sera invitée à donner son avis, et le Parlement à prendre des décisions si les objectifs ne sont pas atteints.

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