Intervention de Gilles Savary

Réunion du 26 mars 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Savary :

Votre mission, cher Jean-Louis Bianco, n'est pas facile. En effet, l'état des lieux de notre système ferroviaire, indépendamment de toute considération européenne, exige qu'une réforme en profondeur soit entreprise. Avec un endettement de RFF dépassant les 30 milliards d'euros et qui a augmenté de trois points l'année dernière, il n'est plus possible de continuer sur cette pente. Les difficultés opérationnelles sont par ailleurs bien connues : effondrement du fret, obsolescence des lignes sur lesquels circulent les fameux trains d'équilibre du territoire (TET), défis nouveaux à relever dans le mass transit en Île-de-France et au niveau du transport express régional (TER).

À cela s'ajoute la contrainte européenne connue depuis l'adoption, en 1991, de la directive qui prévoyait l'ouverture progressive du rail à la concurrence. Cette ouverture a pris du retard et beaucoup plus de temps que pour les autres modes de transport. Le secteur du transport routier a été ouvert à la concurrence dès les années 1990, mais il faut reconnaître que c'était plus facile du fait de l'absence de contraintes techniques.

Le regroupement des métiers de l'infrastructure fait consensus dans notre pays –c'était l'une des conclusions des Assises du ferroviaire. Notre culture même nous porte à revenir à une organisation intégrée, préférable pour des raisons opérationnelles, comme en atteste le fait que tous les grands pays ferroviaires comme la Suisse, le Japon, l'Allemagne ou bien encore les États-Unis pour le fret, ont fait ce choix. Reste à trouver le moyen de ne pas pénaliser les nouveaux entrants.

Si l'allocation des sillons doit être opérée en toute indépendance par le gestionnaire d'infrastructure et le secret commercial préservé au sein du GIU, une « porosité » financière entre l'entreprise ferroviaire historique et RFF est-elle envisageable ? En Allemagne, par le niveau élevé des péages dont ils s'acquittent, les nouveaux entrants subventionnent indirectement l'opérateur ferroviaire de la Deutsche Bahn intégrée. En effet, les bénéfices du gestionnaire d'infrastructure sont réinjectés à son profit. Les conditions de concurrence ne sont donc pas équitables. Le dispositif que nous proposons est de nature à être défendu avec l'Allemagne au niveau européen mais aussi à la favoriser ultérieurement à nos dépens dans un espace totalement concurrentiel.

Le rôle de l'ARAF et l'articulation de ses contrôles avec le travail des opérateurs mériteraient d'être précisés. L'État sera souverain, dites-vous, mais il n'a pas été exemplaire en matière de gouvernance ferroviaire. Ainsi c'est lui, et non RFF, qui a demandé à la fois qu'on « mette le paquet » sur le réseau francilien, qu'on réalise la liaison Seine-Escaut et qu'on construise de nouvelles lignes à grande vitesse, etc, pour un montant d'investissements estimé au départ à 245 milliards d'euros et aujourd'hui à 260, dont nous n'avons pas le premier sou ! RFF s'endette chaque année de deux milliards supplémentaires, du fait de ce qu'il lui a été demandé de réaliser. Comment pourrait-on « réguler l'État » si je puis m'exprimer ainsi ? Les à-coups de ses décisions ne sont pas faciles à gérer pour le système ferroviaire.

En ce qui concerne le volet social, les syndicats ont bien identifié les problèmes et compris les enjeux, instruits par la très mauvaise gestion des précédentes étapes d'ouverture à la concurrence. En effet, on a caché le plus longtemps possible le projet d'ouverture pour y procéder au dernier moment dans l'impréparation la plus totale. C'est ainsi que cela s'est passé pour le fret dans notre pays. Or, comment, avec un statut comme celui des personnels de la SNCF, lutter avec de nouveaux entrants qui n'offrent pas de protection supérieure à celle du code du travail ? D'ailleurs, pour essayer de survivre, SNCF-Geodis a créé une filiale, Voies ferrées locales et industrielles (VFLI), qui aujourd'hui concurrence Fret SNCF ! Si l'on ne fait rien sur le plan social, une dérégulation totale est à craindre avec l'explosion de l'intérim, de la sous-traitance et de conditions très défavorables. Les syndicats en sont conscients mais ont-ils à l'esprit la compétitivité globale du système ? L'enjeu n'est pas la concurrence pour la concurrence, ni la construction européenne pour la construction européenne mais de savoir si la SNCF devient ou non un grand acteur ferroviaire mondial et si notre pays demeure compétitif en matière de transport – c'est l'un des secteurs où nous figurons aujourd'hui parmi les meilleurs au monde, qu'il s'agisse de l'aérien, du naval, du ferroviaire ou des transports publics.

Comment garantir que la réforme envisagée sera euro-compatible ? Elle sera en effet vraisemblablement terminée avant que le quatrième paquet ferroviaire n'ait été adopté par le Parlement européen, le renouvellement de celui-ci au printemps 2014 risquant de retarder cette adoption.

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