Intervention de Jean-Louis Bianco

Réunion du 26 mars 2013 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jean-Louis Bianco, ancien ministre des transports :

Vaste programme que de « réguler l'État », comme vous le souhaiteriez, monsieur Gilles Savary ! C'est à l'État de se réguler lui-même. Heureusement, si je puis m'exprimer ainsi, la contrainte budgétaire nous oblige collectivement à faire preuve d'intelligence et de responsabilité – comme quoi à quelque chose malheur est parfois bon…

Plusieurs questions m'ont été posées concernant le volet social. Nous avons longuement reçu les syndicats à plusieurs reprises. Tous ont compris, je le crois, que la concurrence, quoi que l'on en pense, faisait partie du paysage, et qu'il fallait travailler à assurer l'avenir de la SNCF. Tous admettent qu'il faut améliorer la productivité du système – à ce mot, je préfère d'ailleurs ceux d'efficacité ou de performance. Rassurés et motivés par la constitution d'un pôle public unifié fort alors qu'ils redoutaient, non sans raison, une séparation et une privatisation, ils sont plus constructifs. De longues négociations n'en sont pas moins à prévoir.

Une convention collective est nécessaire pour rapprocher les conditions sociales et rendre plus loyale la concurrence dans le domaine du fret, et demain du transport de voyageurs. Cela n'a rien à voir avec la dette, qu'il faut aujourd'hui s'attacher simplement à contenir car il importe de continuer à investir. La convention collective donnera lieu à une négociation dans laquelle chacun est en principe prêt à s'engager. Les positions de départ sont assez éloignées, mais chacun est disposé à faire des concessions, à condition que ce soit gagnant-gagnant.

À condition de ne pas procéder à l'ouverture à la concurrence, comme cela, hélas, a trop souvent été le cas, de manière subreptice, trop tardive et aveugle, dans l'impréparation, nous sommes dans une position favorable dans la négociation européenne. Tout d'abord, nous avons au départ des alliés avec l'Allemagne mais aussi d'autres pays. Même les Britanniques disent qu'il leur paraît nécessaire que le gestionnaire des infrastructures et celui des trains soient intégrés. À cela s'ajoute, comme vous l'avez dit, un calendrier favorable du fait des élections européennes du printemps 2014.

La réforme de notre système ferroviaire interviendra bien avant l'adoption du quatrième paquet européen. Il se dit aujourd'hui à Bruxelles que la première lecture du quatrième paquet ferroviaire interviendrait au mieux en 2014, année de renouvellement du Parlement. Ayant, nous, déjà dessiné par la concertation et le dialogue, les contours du futur système intégré, la charge de la preuve se trouve en quelque sorte renversée. Ce ne sera pas à nous de démontrer que ce système est eurocompatible mais à la Commission d'apporter la preuve que ses exigences ont une utilité pour le bon fonctionnement du système au bénéfice des usagers et de la nation. Et je suis optimiste car nous aurons, là, d'excellents arguments concrets à lui opposer, au-delà de l'argument selon lequel la concurrence, qui n'est qu'un outil, ne saurait être l'alpha et l'oméga. Le but de la construction européenne n'est pas que partout prévale le libre jeu de la concurrence.

Plusieurs d'entre vous ont évoqué les Assises du ferroviaire. Celles-ci ont servi à poser un diagnostic partagé mais, je le dis sans nulle intention de polémique moi non plus, l'orientation que nous défendons aujourd'hui est différente de celle préconisée à leur issue.

Pour ce qui est du calendrier, il est à peine décalé. Je remettrai mes conclusions à la mi-avril, et le Gouvernement a toujours l'intention de déposer un projet de loi rapidement, sachant que le texte peut d'ores et déjà être travaillé, parallèlement à la mission que je conduis.

Peut-on profiter du véhicule législatif de la future loi de décentralisation ? Il appartiendra au Parlement de juger si des dispositions utiles peuvent être introduites par ce biais. Beaucoup d'élus, nationaux et régionaux, ont exprimé la crainte que l'État ne se défausse des TET sur les régions. Ce danger paraît aujourd'hui écarté. Mais quoi qu'il en soit, la loi de décentralisation ne pourra pas remplacer la future loi ferroviaire.

La mission que je conduis n'a pas à se prononcer sur telle ou telle ligne locale, ni même sur telle ou telle offre commerciale. Nous nous limitons à dire qu'il faut développer une offre pour la desserte des territoires ruraux, s'orienter vers le cadencement des trains, améliorer la qualité du service, et privilégier une solution intermédiaire alternative à toujours plus de nouvelles lignes à grande vitesse. C'est au Parlement qu'il revient de fixer les objectifs et aux entreprises, notamment la SNCF, de développer une offre qui réponde aux besoins du pays et des usagers.

Quel bilan peut-on dresser de l'ouverture à la concurrence pour le fret ? Le fret va très mal à cause non pas des écarts de salaire, je l'ai dit, mais des différences dans la réglementation du temps de travail, notamment par le jeu des repos compensateurs et des temps de repos exigés entre la conduite de deux trains. L'impréparation avec laquelle on a procédé à cette ouverture à la concurrence n'y est pas étrangère non plus. Depuis lors, le secteur privé a pris 30 % de parts de marché. Ses offres ne sont pourtant pas, de ce que j'ai vu, beaucoup plus intéressantes que celles de la SNCF. Les opérateurs ont simplement eu une attitude commerciale plus agressive et plus ouverte. Nous sommes convaincus qu'en dépit des difficultés, il faut continuer de développer le fret car il en va d'aménagement du territoire et de développement durable. Comment ? Tout d'abord, oui, monsieur Christophe Priou, en s'appuyant sur nos ports. Alors que notre pays a la chance de disposer de formidables façades maritimes, les connexions ferroviaires avec les ports maritimes font cruellement défaut. Ensuite, en veillant à ce que la SNCF ne discrimine pas les petits opérateurs de proximité qui travaillent sur des niches répondant à des besoins locaux. Il existe dans les territoires des offres associant des producteurs, qui, dans certaines conditions, peuvent avoir intérêt à investir dans le rail, des chargeurs, des chambres de commerce et d'industrie, et des collectivités – régions, départements, agglomérations –, le tout accompagné bien sûr d'investissements publics au niveau national. Ces acteurs peuvent localement avoir un intérêt commun à ce que se développe une offre ferroviaire de proximité pour le fret. Voilà « la stratégie de reconquête » à laquelle nous songeons.

Aura-t-on les moyens de la réforme envisagée ? La mission que je conduis se limitera à faire des propositions. C'est à la nation qu'il reviendra de déterminer comment se doter des moyens nécessaires. De la même manière, il ne m'appartient pas de dire quelle offre ou quelle ligne devrait être privilégiée ici ou là. C'est aux autorités organisatrices, les régions, de déterminer, en lien avec les usagers, ce qui répond aux besoins.

Le succès sera au rendez-vous si on s'attache à sauvegarder le fret dans les conditions que je viens d'indiquer, si la SNCF est capable de renouveler son offre avec de nouveaux trains d'équilibre du territoire – qu'il ne faut pas surtout pas sacrifier mais au contraire développer – si les dessertes sont pensées pour mieux irriguer mieux les territoires. Ainsi, je l'ai constaté dans le Doubs où j'ai de la famille, les frontaliers qui travaillent en Suisse prennent leur voiture plutôt que le train, avec pour conséquence une congestion du trafic aux heures de pointe, alors qu'en Suisse les travailleurs sont beaucoup plus nombreux à utiliser le transport ferroviaire, notamment parce que le cadencement des trains permet de s'organiser de façon plus prévisible. Certes, la Suisse a beaucoup investi pour ce cadencement mais pourquoi ce qui y a été possible ne le serait-il pas en France ? Je parle du Doubs que je connais, mais on pourrait parler aussi des Alpes-Maritimes, citées par M. Charles-Ange Ginesy.

La question des régimes spéciaux ne faisait pas partie de la mission qui m'a été confiée. Nous n'en avons donc pas traité.

Voilà le point d'étape que je pouvais faire sur nos réflexions et propositions. Je serai toujours heureux de revenir dialoguer avec vous, si vous le jugez nécessaire.

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