Intervention de Marietta Karamanli

Réunion du 27 mars 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarietta Karamanli, rapporteure :

Ce projet de loi a pour objet de transposer plusieurs instruments de l'Union européenne et d'adapter notre législation pénale à plusieurs engagements internationaux, adoptés notamment dans le cadre du Conseil de l'Europe ou des Nations unies.

S'agissant du droit de l'Union européenne, ce texte traduit le franchissement d'une étape importante dans la construction de l'espace pénal européen. C'est en effet la première loi de transposition de directives dans le domaine pénal. C'est une conséquence directe de l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, qui a « communautarisé » ce qui relevait de l'ancien « troisième pilier » de l'Union européenne, c'est-à-dire la coopération policière et judiciaire pénale. Cette activité normative s'appuie sur une volonté politique clairement affichée par l'Union dans le programme de Stockholm, adopté par le Conseil européen du 11 décembre 2009, sur les libertés, la sécurité et la justice, cadre de l'action européenne dans ce domaine.

Nous entrons ainsi, en quelque sorte, dans la troisième phase de l'espace pénal européen.

Dans la première, issue du traité de Maastricht, seules des conventions, qui devaient être ratifiées par tous les États membres, et des actions ou positions communes sans portée contraignante, pouvaient être utilisées.

À partir du traité d'Amsterdam, ce sont les décisions-cadres, plus efficaces mais dépourvues d'effet direct, qui ont été employées.

Depuis le 1er décembre 2009, l'Union européenne peut adopter des directives, dotées d'effet direct, et la Commission européenne peut déposer des recours en manquement contre tout État membre qui n'aurait pas transposé dans les délais, ou qui aurait mal transposé. Ces recours peuvent conduire à des condamnations par la Cour de justice à une amende – dont le montant minimal, forfaitaire, proposé par la Commission européenne, pour la France est de plus de 10 millions d'euros – et à une astreinte par jour de retard.

C'est dire l'importance, d'abord, d'assurer une « veille européenne » efficace, afin d'anticiper les difficultés éventuelles en amont, dès la négociation des directives, et ensuite, de transposer correctement et en temps et en heure ces textes.

Le présent projet de loi comporte vingt-quatre articles, qui transposent onze instruments européens ou internationaux.

Les articles 1er et 2 transposent la directive de 2011 concernant la lutte contre la traite des êtres humains. C'est la directive dont la transposition est la plus urgente, puisqu'elle doit être effectuée avant le 6 avril 2013. La directive conduit notamment à modifier la définition de l'infraction de traite et à renforcer les droits procéduraux des mineurs victimes.

L'article 3 transpose la directive de 2010 relative au droit à l'interprétation et à la traduction dans le cadre des procédures pénales.

L'article 4 transpose la directive de 2011 relative à la lutte contre les abus sexuels et l'exploitation sexuelle des enfants. Il aggrave certaines peines et crée ou étend certaines infractions en la matière.

Les articles 5 et 6 transposent la décision-cadre de 2009 sur les décisions rendues en l'absence de la personne concernée lors du procès.

Les articles 7 et 8 transposent la décision de 2008 sur le renforcement d'Eurojust, dont le caractère opérationnel et l'efficacité seront accrus.

Les articles 9, 20, 21 et 22 transposent la décision-cadre de 2008 qui a pour objet de faciliter les transfèrements de condamnés entre États membres.

L'article 10 transpose le troisième protocole additionnel aux conventions de Genève de 1949, qui a créé un signe distinctif humanitaire additionnel, le « cristal rouge », dont l'usage doit être encadré.

Les articles 11 et 12 transposent une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui a institué, pour succéder aux deux tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda, une juridiction intitulée « mécanisme résiduel » chargée d'exercer les fonctions restantes de ces deux juridictions.

Les articles 13, 14 et 18 transposent une convention des Nations unies de 2006 relative aux disparitions forcées.

Les articles 15 et 23 adaptent la législation française à l'accord de 2006 entre l'Union européenne et la Norvège et l'Islande, accord qui met en place un mécanisme inspiré du mandat d'arrêt européen avec ces deux pays. L'article 15 met également notre droit en conformité avec un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 5 septembre 2012 sur le mandat d'arrêt européen.

Les articles 16 et 17 transposent la convention du Conseil de l'Europe de 2011 sur les violences faites aux femmes.

L'article 19 répare une omission de la loi du 9 août 2010 sur la Cour pénale internationale, en prévoyant l'inscription des auteurs de crimes contre l'humanité au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG).

Ces dispositifs couvrent l'ensemble du champ de la protection des droits fondamentaux des victimes de la criminalité, de la lutte contre celle-ci et de la coopération judiciaire et de la procédure pénale.

Je voudrais, pour conclure, préciser l'esprit dans lequel j'ai cherché à travailler en tant que rapporteure de ce projet de loi.

Le sentiment premier, lorsque le Parlement est saisi d'un projet de loi de transposition, est que le législateur a peu de marge de manoeuvre pour modifier le texte qui lui est soumis. Certes, nombre d'éléments des textes européens et internationaux sont contraignants pour le législateur – d'où l'intérêt de la « veille européenne » que nous menons avec Guy Geoffroy pour les textes relevant de la compétence de la commission des Lois –, toutefois, le rapporteur d'un projet de loi tel que celui dont notre Commission est saisie peut jouer un double rôle.

D'abord, il convient de chercher à s'assurer que la transposition est exhaustive et fidèle, et que le projet de loi n'a pas omis de transposer ou n'a pas mal transposé – ne serait-ce que sur un plan strictement rédactionnel – le texte européen ou international. La majorité des amendements que je proposerai aura ainsi pour objet d'améliorer la qualité et la fidélité de la transposition réalisée par le projet de loi.

Sur l'article 4, par exemple, je vous propose de créer une nouvelle infraction afin de transposer l'obligation de pénaliser l'assistance à un spectacle pornographique impliquant la participation d'un enfant.

Il convient ensuite de chercher à utiliser au mieux les marges de manoeuvre dont dispose le législateur national dans l'exercice de transposition, car ces marges existent et le législateur a encore de nombreux choix politiques à faire lorsqu'il transpose des textes européens ou internationaux.

Nous avons eu pour souci d'évaluer les incidences de la nouvelle législation grâce à de nombreuses auditions préalables en vue de proposer des amendements. Je donnerai ici deux exemples de dispositions pour lesquelles je proposerai des modifications qui, tout en étant pleinement conformes aux textes internationaux à transposer, visent à aménager les choix de transposition proposés par le projet de loi du Gouvernement.

Sur l'article 8 relatif à Eurojust, le texte à transposer laisse trois options possibles concernant les pouvoirs conférés au membre national d'Eurojust d'accomplir certains actes d'investigation. Les pouvoirs prévus peuvent être soit de simples pouvoirs de proposition, soit des pouvoirs décisionnels, sur demande ou autorisation d'une autorité judiciaire compétente, soit même des pouvoirs propres exercés sans demande ni autorisation, en cas d'urgence. Le choix opéré dans le projet de loi est de transposer a minima, c'est-à-dire de ne conférer au membre national qu'un pouvoir de proposition. Il me semble que le parlement français, qui oeuvre activement pour la création d'un parquet européen à partir d'Eurojust, doit être plus ambitieux. Il ne devrait pas retenir l'option minimale lors de la transposition de ce texte. Je vous propose donc d'amender le projet de loi sur ce point, et de retenir l'option intermédiaire, celle qui confère au membre national d'Eurojust un pouvoir décisionnel, sur demande ou autorisation de l'autorité judiciaire compétente.

Sur l'article 9, qui prévoit la possibilité de transférer une personne condamnée à une peine de prison d'un État membre à un autre sans son consentement, ce qui est une innovation très importante, je proposerai une modification consistant à ajouter un cas de refus de ce transfèrement : le cas où il a été porté atteinte aux droits fondamentaux de la personne condamnée, si elle l'a été en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques ou encore de son orientation ou identité sexuelle. Ce cas de refus n'est pas expressément prévu par le dispositif de la décision-cadre que transpose l'article 9, mais l'ajout que je propose est autorisé par l'un des considérants de la décision-cadre et totalement conforme à l'esprit de la construction de l'espace pénal européen. Un tel ajout a d'ailleurs déjà été réalisé par plusieurs États membres, dont la France, et accepté par la Commission européenne, en matière de mandat d'arrêt européen.

Je vous signale enfin que l'un de mes amendements vise à tirer les conséquences de l'arrêt du 14 mars dernier par lequel la Cour européenne des droits de l'homme a condamné la France, dans l'affaire Eon c. France, pour violation de l'article 10 de la Convention, garantissant la liberté d'expression. Il abroge, à cette fin, le délit d'offense au chef de l'État.

Pour toutes ces raisons, je vous invite à adopter le projet de loi dont nous sommes saisis, sous réserve des amendements que je vous soumettrai.

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