Intervention de Pierre Morel-A-L'Huissier

Réunion du 27 mars 2013 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur :

Les sections de communes sont une survivance du Moyen-Âge. Pour les présenter, je reprendrai volontiers l'image qu'emploie le président Georges-Daniel Marillia, conseiller d'État honoraire et grand spécialiste de ce sujet, dans un article à paraître. Ces sections de communes apparaissent souvent aux juristes comme des coelacanthes ; ils en ont entendu parler dans les manuels de droit administratif, mais en croyaient l'espèce éteinte.

Pourtant, mon expérience d'élu local, comme les auditions que j'ai pu mener en compagnie de notre collègue Alain Calmette, montrent qu'elles incarnent une réalité tout à fait vivace : ces quelque 27 000 entités juridiques, définies par le code général des collectivités territoriales comme « toute partie d'une commune possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune », constituent une réalité pratique dans plusieurs de nos territoires, au premier rang desquels la bordure méridionale du Massif central.

Cependant, les dispositions juridiques qui leur sont applicables se caractérisent par leur complexité, quand ce n'est pas leur ambiguïté. La définition précise des sections de commune, de leurs modalités de gestion ou de leurs relations avec les communes reste floue.

Ces incertitudes engendrent des contentieux, toujours abondants à l'heure actuelle. Dans certaines situations, le développement local et l'aménagement du territoire en pâtissent.

Malaisée, l'entreprise de rationalisation de ce droit n'est cependant pas vaine. Une décision du Conseil constitutionnel, rendue sur une question prioritaire de constitutionnalité le 8 avril 2011, a permis l'affirmation des principaux éléments constitutifs des sections de commune, au premier rang desquels une réalité juridique qui a parfois été oubliée dans les faits : les sections sont des personnes morales de droit public, et non une forme de propriété privée indivise. Sur ces bases, une réforme est envisageable, voir nécessaire, comme l'a estimé le Sénat.

La présente proposition de loi, déposée au Sénat le 25 mai 2012 par M. Jacques Mézard et plusieurs de ses collègues, puis adoptée par cette assemblée, vise à apporter des réponses à ces préoccupations. Son examen s'est appuyé sur plusieurs autres propositions de loi, notamment celle déposée le 1er août 2011 par M. Pierre Jarlier et plusieurs de ses collègues. L'ensemble de ces éléments et le travail effectué par le rapporteur du Sénat, M. Pierre-Yves Collombat, ont permis à la Commission des lois de cette assemblée de substantiellement enrichir ce texte.

Celui-ci permet in fine d'offrir toute une palette de solutions qui constituent un ensemble équilibré de dispositions tendant à clarifier ce régime juridique dans ses différentes dimensions, en prenant en compte un double impératif : d'une part, faciliter l'activité des sections de commune dont l'existence favorise la dynamisation de la gestion de certains biens, en rationalisant les règles applicables ; d'autre part, permettre plus aisément le transfert aux communes des biens de ces sections dans les cas où celles-ci ne reflètent plus aucune réalité.

C'est dans un même souci d'équilibre que je vous propose aujourd'hui d'examiner ce texte.

D'abord, on constate que la réalité des sections reste à la fois vivante et contrastée.

Je ne reviendrai pas ici en détail sur l'histoire des sections de commune : je me contenterai de rappeler que celles-ci sont issues des « biens communaux », souvent soustraits à la volonté des seigneurs féodaux de s'approprier les « biens sans maître ». En instituant 44 000 communes à la place des 100 000 paroisses, la Révolution française a conservé l'existence de ces biens appartenant à une section de commune.

Depuis les lois de décentralisation de 1982 et 1983, ce sont surtout les textes relatifs au développement de la montagne, comme la loi du 9 janvier 1985, qui ont fait évoluer leur statut juridique.

En pratique, il s'agit le plus souvent de terrains sur lesquels les habitants de la section disposent, en fonction d'un titre ou d'un usage local, de droits comme la jouissance des biens dont les fruits sont perçus en nature – par exemple, ceux qui sont issus de l'affouage ou de la cueillette. Dans les conditions fixées conjointement par le code rural ainsi que par le code général des collectivités territoriales, les exploitants agricoles installés sur le territoire de la section peuvent disposer des terres à vocation agricole ou pastorale : il s'agit d'encourager le développement d'une gestion de proximité en favorisant la situation des agriculteurs locaux.

Leur nombre a été estimé à 26 792 dans le rapport le plus récent consacré aux sections de commune, dirigé par M. Jean-Pierre Lemoine en 2003. Dans les deux tiers des cas, il s'agit de terrains boisés, dans un quart de pâturages, et pour le reste, de terres cultivées, voire de biens bâtis comme un four à pain, un lavoir ou une carrière.

Il existe donc des sections vivantes, pouvant avoir un patrimoine important de forêts entretenues et productives, et des sections en sommeil, les usages s'étant perdus, jusqu'à ce qu'un contentieux les ranime… Certaines situations peuvent même être d'une complexité extrême : il existe ainsi des biens indivis entre plusieurs sections, relevant de communes différentes.

Cette réalité contrastée explique en partie que les règles applicables aux sections de commune, tentant, au fil des lois, de réguler les pratiques, souffrent aujourd'hui d'une certaine complexité et de réelles ambiguïtés.

En effet, la définition juridique des sections de commune a longtemps fait l'objet de controverses : s'agit-il d'une personne publique ou d'une propriété privée indivise ? Le Conseil constitutionnel a mis fin à cette ambiguïté dans une décision récente, en indiquant expressément qu'« une section de commune est une personne morale de droit public possédant à titre permanent et exclusif des biens ou des droits distincts de ceux de la commune ».

En outre, si la section de commune est propriétaire des biens sectionaux, ses membres n'en ont que la jouissance. Mais qui doit bénéficier des revenus en espèces ? Le code introduit une certaine ambiguïté, prévoyant dans certains cas que le produit de la vente ne peut être employé que « dans l'intérêt de la section », et dans certaines situations, « dans l'intérêt des membres » de celle-ci – ce qui crée une forme de hiatus.

Enfin, la section de commune compte des parties prenantes de diverses natures évoquées par le code général des collectivités territoriales : membres de la section, ayants droit, électeurs de la commission syndicale, habitants ayant ou non un domicile réel et fixe sur le territoire, exploitants agricoles… Sans doute ces différents termes renvoient-ils à des fonctions diverses – les membres ou les ayants droit jouissent des biens de la section, les électeurs votent pour élire les membres de la commission syndicale appelée à gérer celle-ci, les habitants résident sur son territoire, etc. – mais aucune définition claire n'est donnée aujourd'hui de ces différentes notions qui, au demeurant, se recouvrent assez largement les unes les autres.

Les dispositions relatives à la gestion de la section de commune sont, elles aussi, sources de complexité.

Il est ainsi prévu un système de répartition des rôles dans cette gestion entre, d'une part, le conseil municipal et le maire, qui détiennent en quelque sorte la compétence de principe et, d'autre part, un organe de gestion ad hoc, dénommé commission syndicale, dont la compétence est d'attribution, concernant les intérêts fondamentaux de la section comme propriétaire – en cas de vente, d'échange, de location de longue durée des biens, de changement d'usage, ou de transactions et d'actions judiciaires notamment. Cet organisme n'est élu que lorsque des conditions cumulatives existent – un montant minimal de ressources à gérer et un nombre suffisant d'électeurs le demandant.

Ce mécanisme pose de nombreuses difficultés et crée autant de contentieux. Par exemple, le budget de la section de commune, qui constitue un budget annexe du budget municipal, est établi par la section de commune puis voté par le conseil municipal, mais celui-ci n'a le pouvoir que de l'adopter, sans le modifier.

Par ailleurs, les règles organisant la répartition des charges financières entre les budgets sectionaux et communaux sont peu opérantes en pratique : le principe est posé de l'interdiction pour la commune de financer ses dépenses sur le budget de la section de commune, à une exception près, à savoir le cas où des travaux d'investissement ou des opérations d'entretien relevant de la compétence de la commune sont réalisés au bénéfice non exclusif des membres ou des biens d'une section.

En pratique, il arrive que le juge admette que certaines dépenses, qui seraient à la fois d'intérêt communal et sectional, soient en partie financées avec des fonds sectionaux, dès lors que les charges de financement sont réparties entre la commune et la section au prorata du nombre de leurs habitants respectifs.

Enfin, s'il existe des régimes permettant le transfert de biens de la section de commune à la commune, ils sont caractérisés par leur relative inefficacité.

Coexistent trois régimes en la matière : un premier, par demande conjointe entre le conseil municipal et la commission syndicale ; un deuxième, si cette dernière n'a pas été constituée ; un troisième, s'il existe une forme de présomption d'absence d'activité réelle de la section ou un désintérêt de ses ayants droit, dans un des trois cas suivants : lorsque depuis plus de cinq années consécutives, les impôts ont été payés sur le budget communal ou admis en non-valeur ; quand les électeurs n'ont pas demandé la création d'une commission syndicale alors que les conditions pour ce faire étaient réunies ; lorsque moins d'un tiers des électeurs a voté lors d'une consultation.

Si, dans les trois cas, le préfet est seul compétent pour prononcer le transfert, les procédures sont éparses et sources de contentieux.

C'est la raison pour laquelle la présente proposition de loi procède à une révision équilibrée des règles applicables aux sections de commune.

Si l'enrichissement progressif du texte par la commission des Lois du Sénat, puis par ce dernier en séance publique, n'a pas facilité sa lecture, il n'en poursuit pas moins trois objectifs.

Le premier axe, prévu par la proposition de loi initiale, est de faciliter le transfert des biens sectionaux aux communes. D'une part, en assouplissant les critères permettant de juger que la section n'a plus d'existence réelle : quand moins de la moitié des électeurs se sont déplacés ou quand les impôts dus par la section n'ont pas été payés depuis plus de trois ans. D'autre part, en instaurant la possibilité de demander le transfert dans un objectif d'intérêt général. Le conseil municipal en sera à l'initiative, le préfet prononçant ensuite ce transfert par arrêté motivé. Un mécanisme d'indemnisation des ayants droit est prévu.

Deuxièmement, l'organisation d'un recensement exhaustif des sections de commune, demandé par les auteurs de la proposition de loi, a été écartée par la commission des Lois du Sénat, au motif que l'ampleur de la tâche ne devait pas reporter encore d'autant la modernisation du statut des sections.

Troisièmement, le Sénat, en enrichissant considérablement le texte initial, y a ajouté trois autres aspects.

Tout d'abord, sa commission des Lois a précisé les éléments de définition et de gestion des sections.

Ainsi que l'ont montré les échanges lors de la séance publique du 15 octobre 2012 au Sénat, « toutes les sections ne sont pas problématiques », selon l'expression utilisée par M. Jacques Mézard. Dès lors, poursuivait celui-ci, il convient non seulement de faciliter la suppression de celles qui ne fonctionnent que peu ou plus en assouplissant le régime des transferts de biens, mais aussi de « faciliter et de rationaliser le fonctionnement des sections » quand elles ont une existence réelle et un fonctionnement quotidien.

La commission des Lois du Sénat a donc précisé que la section de commune était une personne morale « de droit public » et interdit la constitution à l'avenir de nouvelles sections.

Ensuite, afin de clarifier le droit, elle a défini et unifié les notions de membre de la section de commune, d'ayant droit et d'électeur de la commission syndicale, en mettant en place deux catégories aisément identifiables : d'une part, les membres, qui sont les habitants ayant « leur domicile réel et fixe » sur le territoire de la section de commune – en supprimant toute notion d'ayants droit pouvant arguer de droits anciens dans la section sans y résider ; d'autre part, les électeurs, qui sont les membres de la section inscrits sur les listes électorales de la commune.

Elle a aussi donné pouvoir à la municipalité, en l'absence de commission syndicale, pour représenter la section de commune en justice – sauf dans l'hypothèse où les intérêts respectifs de la commune et de la section seraient opposés, auquel cas une commission ad hoc représenterait alors celle-ci.

Puis, à l'initiative de M. Pierre Jarlier, elle a clarifié le régime d'attribution des baux et contrats d'exploitation des terres de la section et acté que le conseil municipal déciderait à l'avenir de l'adhésion d'une section de commune à une structure de regroupement de gestion forestière, afin d'en favoriser l'exploitation rationnelle.

Enfin, elle a entrepris de clarifier le régime financier de la section. Elle a ainsi réaffirmé le principe de l'interdiction pour les membres d'une section de commune de tirer des revenus en espèces des biens sectionaux.

En ce qui concerne le budget sectional, la commission des Lois du Sénat a assoupli les modalités du partage des compétences entre la commission syndicale et le conseil municipal, en donnant à ce dernier le pouvoir de modifier, le cas échéant, le budget et en ouvrant la possibilité à la commune, « lorsque les besoins de la section sont satisfaits », de procéder au financement de dépenses communales par la voie du budget de la section de commune.

S'agissant, enfin, des amendements que j'ai déposés sur le présent texte, ils ne reviennent pas sur les apports proposés par le Sénat, mais les précisent et améliorent leur rédaction, en codifiant les innovations insérées par cette assemblée, en tirant les conséquences des amendements adoptés par elle et en uniformisant les différents régimes de transfert, afin d'éviter les erreurs et autant que possible les contentieux.

Le travail que le Sénat a entrepris, et que je vous propose de poursuivre, n'est pas partisan. En auditionnant toutes les parties prenantes – associations d'élus, représentants des ayants droit, représentants des utilisateurs de ces terres, que sont les chambres d'agriculture, l'Office national des forêts (ONF) ou les communes forestières –, nous avons cherché à permettre un réel développement de ces sections, trop souvent laissées à l'abandon. Il en va de l'avenir d'une partie importante de nos territoires.

Pour finir, je souhaite faire plusieurs observations.

Concernant les aspects juridiques, je rappelle les définitions que mettent en place trois décisions du Conseil d'État : selon celle du 25 mai 1988, la section est une personne publique titulaire d'un droit de propriété ; celle du 12 décembre 1997 précise que les biens sectionaux relèvent du domaine privé des personnes publiques ; enfin, celle du 22 juillet 2011 indique que les membres de la section sont titulaires non pas d'un droit de propriété sur les biens de la section, mais d'un droit de jouissance.

Au contraire, l'association « Force de défense des ayants droit des sections de commune » (AFASC), que nous avons auditionnée, soutient qu'au regard de l'article 542 du code civil, les biens de section sont la propriété privée des habitants, et en appelle à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

J'ai tenu à examiner toutes les propositions que cette association a pu faire sur l'ensemble du texte adopté par le Sénat, sauf sur la notion de membre, sur laquelle l'AFASC est d'accord. Celle-ci conteste toutes les propositions du Sénat ayant retenu comme base de travail un droit de propriété et non de jouissance. Une pétition a été lancée sur ce point, sachant que se posent le problème des éoliennes installées sur le territoire des sections ainsi que celui du projet de Notre-Dame-des-Landes. Cette association a en outre tenu à nous alerter des conséquences de l'interdiction de la répartition des revenus entre ayants droit dans la mesure où certaines sections ont des revenus importants, que certains se partagent en espèces.

J'ai également pu rencontrer à ce sujet la FNSAFER (Fédération nationale des sociétés d'aménagement et d'établissement rural), notre collègue Alain Marleix, les représentants de la chambre d'agriculture du Cantal, le président du conseil général de la Lozère, M. Jean-Paul Pourquier, les représentants de la chambre d'agriculture de ce département, une secrétaire de mairie, qui pendant trente-sept ans, a géré ce genre de problèmes, ainsi que M. Jean-Pierre Lemoine, déjà cité. J'étais même intervenu auprès du président Jean-Jacques Urvoas pour la création d'une mission d'information, mais nous avons finalement convenu que le travail fait par le Sénat suffisait.

Selon l'AFASC, les biens de section seraient des terres agricoles appartenant aux habitants d'un village ou d'une section. Depuis leur origine, qui remonte bien avant le Moyen-Âge, elles auraient été destinées à permettre aux pauvres de vivre en faisant paître leur troupeau de moutons, de chèvres ou de vaches, et de pratiquer l'affouage. Or l'actualité nous montre qu'il y a de plus en plus de pauvres. Aujourd'hui, les biens sectionaux permettraient une agriculture vivrière, l'installation de jeunes paysans, ou la coupe de bois de chauffage et d'oeuvre pour tous les habitants d'un village : ils seraient aux ruraux ce que les jardins ouvriers ou partagés sont aux citadins.

Le rapporteur du Sénat a répondu sur tous ces points : le texte ne prévoit pas de disparition des biens de section ; il opère une clarification de leur régime juridique, dans le respect du droit de jouissance des ayants droit – avec une indemnisation –, des prérogatives des SAFER et des orientations agricoles.

Je vous propose donc, dans le prolongement du travail du Sénat, d'essayer de clarifier ce sujet ô combien difficile pour nos territoires de montagne.

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