Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du 27 mars 2013 à 16h30
Commission des affaires économiques

Jean-Yves le Gall :

Comme vous l'avez dit, monsieur le président, M. le Premier ministre a fait savoir qu'il envisageait de proposer au Président de la République de me nommer à la fonction de président du conseil d'administration du CNES. Cette proposition a été confirmée avant-hier par le conseil du CNES, et j'ai été auditionné hier par vos collègues du Sénat.

Mon premier propos sera pour rendre hommage à tous ceux à qui nous devons cinquante ans de succès de notre politique spatiale, et au premier chef aux responsables politiques. Le CNES a, en effet, été créé par le législateur, en 1961, dans le cadre d'une loi organique amendée depuis par la loi relative aux opérations spatiales. Je remercie en particulier l'Assemblée nationale dont plusieurs membres m'ont fait l'honneur de me rencontrer, au titre de mes fonctions précédentes comme de mes fonctions actuelles de président d'Arianespace.

Je rends également hommage aux dix présidents qui se sont succédé à la tête du CNES, notamment aux professeurs Curien, Lions, Pellat et Lebeau avec lesquels j'ai eu le privilège de travailler, et, plus près de nous, à Alain Bensoussan et à Yannick d'Escatha, dont j'ai été collaborateur direct. Quant aux 2 400 femmes et hommes que compte l'établissement, je veux dire que je respecte au plus haut point leur engagement et leur professionnalisme.

Être aujourd'hui pressenti pour occuper la fonction de président du CNES est émouvant pour moi : en 1981, après mes études d'ingénieur, c'est une bourse du Centre qui m'a permis de préparer une thèse au CNRS. Depuis ce temps, j'éprouve un attachement très particulier pour cet établissement qui m'a ainsi mis le pied à l'étrier. J'ai ensuite mené une carrière relativement classique dans l'administration du ministère de l'industrie puis de celui de l'espace, aussi bien dans les services qu'au cabinet du ministre ; j'ai dirigé Novespace, une filiale du CNES chargée des transferts de technologie ; à la fin des années quatre-vingt-dix, je suis devenu directeur général adjoint au CNES, m'occupant de la stratégie et des programmes. Puis j'ai bifurqué vers le secteur des lanceurs en prenant la présidence de Starsem, société qui assure la coopération avec la Russie pour la commercialisation du lanceur Soyouz ; depuis ces dix dernières années, je suis président d'Arianespace.

Aujourd'hui, le CNES est une référence incontestable. C'est le bras séculier de l'État français. Avec 31 euros par habitant dédiés au spatial, la France a dans ce secteur le deuxième budget au monde derrière les États-Unis. Ceux-ci y consacrent chaque année 49 euros contre 17 euros pour l'Allemagne et 6 euros pour le Royaume-Uni.

La mission du CNES, définie par le législateur, est de proposer, puis de mettre en oeuvre notre politique spatiale à travers trois grands rôles : la représentation de la France au conseil de l'Agence spatiale européenne (ESA) où se décide une partie très importante de notre politique spatiale ; la représentation de la France à l'international, action de diplomatie économique qui peut se révéler tout à fait importante dans les relations commerciales ; enfin, un rôle d'actionnaire de plusieurs sociétés commerciales, dont Arianespace qui est chargée de garantir à la France et à l'Europe un accès autonome à l'espace.

Aujourd'hui, le CNES intervient dans cinq grands domaines : l'accès à l'espace avec Ariane ; les applications grand public avec les télécommunications et Galileo – dont la constellation sera en orbite à l'horizon 2015, quatre satellites sur vingt-deux ayant été lancés, les autres étant en construction ; les sciences de la terre, de l'environnement et du climat ; les sciences de l'univers ; la sécurité et la défense. Ses 2 400 agents sont répartis entre quatre centres d'excellence : le siège à Paris, la direction des lanceurs à Paris également, le centre spatial de Toulouse et le centre spatial guyanais qui, de mon point de vue, est le meilleur centre de lancement au monde. En 2013, le budget du CNES est supérieur à 2 milliards d'euros : 800 millions vont à l'Agence spatiale européenne pour les programmes européens et un peu plus de 800 millions sont consacrés aux programmes nationaux, les quelque 500 millions restants étant constitués de ressources propres.

Dans les années qui viennent, l'espace doit plus que jamais rester une ambition pour la France. Le CNES doit décliner la politique conduite dans ce domaine en fonction de deux objectifs principaux : l'innovation et l'emploi. En matière d'innovation, nous devons rester les premiers parce que c'est ce qui « tire » toute la recherche spatiale. Mais ce doit aussi être mis au service de l'emploi. L'espace procure 16 000 emplois directs, mais je suis persuadé que, si nous continuons à être les premiers dans l'innovation, nous pourrons augmenter ce nombre parce que nous fabriquerons et vendrons des produits toujours plus attractifs.

Pour cela, il faut comprendre le contexte et être à l'écoute. Par rapport à la situation qui prévalait en 1961, l'environnement a considérablement changé. D'abord, surtout depuis le traité de Lisbonne, l'Europe a gagné en poids avec l'Agence spatiale européenne et avec EUMETSAT – l'Organisation européenne pour l'exploitation des satellites météorologiques. Aujourd'hui, elle conduit les deux programmes phares que sont Galileo, pour la localisation par satellites, et GMES Copernicus, pour la maîtrise de l'environnement. Ensuite, l'industrie spatiale française et européenne est beaucoup montée en puissance au cours des dernières années. Le CNES continue à être maître d'ouvrage vis-à-vis de cette industrie, ce qui lui confère une responsabilité particulière. Le contexte international a, lui aussi, évolué avec les approches nouvelles adoptées par les États-Unis et le Japon et les ambitions des pays émergents que sont la Chine, l'Inde, la Russie et le Brésil.

Dernier élément du contexte que nous ne pouvons en aucun cas oublier : la contrainte budgétaire, qui doit nous conduire à repenser nos méthodes. À cet égard, je suis particulièrement impressionné par le parcours effectué par le CNES au cours des trois dernières années pour la définition d'Ariane 6. Ses ingénieurs ont su faire de cette contrainte budgétaire une chance, en mettant au point un lanceur à coût de développement, durée de développement et coût d'exploitation minimaux. En regard, le développement d'Ariane 5, engagé il y a trente ans, a été beaucoup plus guidé par des considérations technologiques. Nous en avons retiré des bénéfices puisque le haut niveau de l'industrie spatiale française et européenne est le résultat des milliards d'euros qui ont été injectés à l'époque, mais nous voyons bien que la problématique ne saurait être la même pour les lanceurs du futur.

Les quatre centres d'excellence du CNES contribuent à la mise en oeuvre de la politique spatiale, chacun dans sa spécialité. Le siège, implanté à Paris, pilote cette politique dont les enjeux européens et internationaux sont très importants. Mais il importe aussi de la faire connaître et de la populariser, en particulier auprès des jeunes et des enseignants : puisque l'État consent au spatial un effort de 2 milliards par an, le secteur doit pour le moins chercher à se faire aimer du plus grand nombre. Le siège du CNES s'est déjà attelé à cette tâche de communication et de diffusion de la connaissance. Le deuxième centre, la direction des lanceurs, à Paris également, est en charge aujourd'hui du développement d'Ariane 6. Le centre spatial de Toulouse, troisième centre, conduit des programmes qui sont autant de fleurons de notre recherche, lui conférant une importance considérable sur l'échiquier de la politique spatiale européenne et mondiale. Ainsi l'instrument ChemCam qui équipe le robot Curiosity envoyé par la NASA à la surface de Mars a été développé à Toulouse. C'est dire si les ingénieurs de ce centre ont des compétences pointues qu'il faut préserver et développer. Enfin, le Centre spatial guyanais (CSG) est aujourd'hui, comme je l'ai dit, la meilleure base de lancement du monde, et il faut continuer de le préparer à relever les défis du futur.

Quelle sera ma méthode ? Le dialogue, clé de la compréhension. J'ai déjà eu l'occasion de rencontrer certains d'entre vous dans le cadre de la préparation de la dernière conférence ministérielle de l'Agence spatiale européenne. Si vous en êtes d'accord, je souhaiterais poursuivre cette démarche, car il me semble important de comprendre les aspirations de la représentation nationale quand on veut définir une politique spatiale. Au sein du CNES, je compte voir les spécialistes et le personnel, mais j'entends aussi rencontrer l'ensemble de nos partenaires, dans la mesure où nous sommes au centre d'un écheveau de coopérations multilatérales en Europe, dans l'Agence spatiale européenne, et de coopérations bilatérales dans des domaines d'intervention divers et variés. Instaurer un dialogue avec toutes ces parties prenantes est indispensable pour avancer. Enfin, les relations avec l'État sont régies par le contrat État-CNES.

Nous avons devant nous de grandes échéances. Tous les deux ou trois ans, les conférences ministérielles européennes arrêtent la feuille de route de l'Europe spatiale pour les années suivantes. La dernière a eu lieu en novembre 2012 et la prochaine se tiendra en 2014. L'une de mes premières tâches sera de la préparer avec beaucoup de soin avec nos partenaires européens, notamment avec l'Allemagne et l'Italie. Autre date clé, 2020 : c'est l'année au cours de laquelle Ariane 6 devrait faire son premier vol et où de nombreux autres programmes connaîtront des avancées. Dès lors, pourquoi ne pas lancer un plan Ambition 2020 ?

Il importe enfin de communiquer. Je suis convaincu que la conférence ministérielle de 2012 a été un succès en raison de l'élan donné par les nombreux succès obtenus dans le domaine spatial. Ces succès, il faut les faire connaître, d'où l'importance de la communication et de la vulgarisation dans ce secteur dont il peut être ardu de maîtriser tous les tenants et aboutissants.

Malgré plus de cinquante ans de succès, le CNES est toujours face à des défis immenses. Ce serait, pour moi, un très grand honneur que d'avoir à le conduire encore plus haut. Dans ce secteur, qui n'avance pas recule. Avec votre soutien, je veillerai à ce que cela ne soit pas le cas du Centre national d'études spatiales.

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