Avant d'y venir, je vous engage à regarder quelques années en arrière.
Nous sommes le 16 décembre 1984. Au terme de six mois d'intenses discussions, au bout d'une de ces nuits tendues dont la négociation sociale a le secret, un protocole d'accord interprofessionnel sur l'organisation du travail semble être trouvé, mais, après de rudes débats internes, les centrales retirent une à une leur promesse de signature. Un responsable de l'époque résume la situation : « Nous avons été à deux doigts de réussir ce qui aurait peut-être tout changé. » Les conséquences de cet échec se feront longtemps sentir, plongeant la négociation dans une longue phase de glaciation, incapable de traiter à nouveau ensemble tous les enjeux de l'emploi, n'avançant plus que par petits pas et sans vision refondatrice.
Mesdames et messieurs les députés, je vous propose aujourd'hui ce que je considère être une réussite.
Après plusieurs décennies d'avancées réelles mais partielles, d'échecs ou de renoncements, l'accord national du 11 janvier 2013 montre que notre pays n'a pas peur de se libérer de ce qui l'entrave, d'ouvrir des voies nouvelles, de prendre à bras-le-corps les principaux enjeux de notre marché du travail pour fonder un équilibre neuf, un équilibre dans lequel ce que les uns gagnent n'est pas ce que les autres perdent, mais qui ouvre, comme j'aime à le dire, un nouveau champ de possibles, un équilibre qui apporte – enfin, dirais-je – une réponse conciliant le besoin d'adaptation des entreprises et l'aspiration des salariés à la sécurité de leur emploi. L'accord puis le projet de loi sur la sécurisation de l'emploi prennent de front les problèmes que notre société traîne depuis trop longtemps : la lutte contre la précarité du travail, la déshérence du contrat à durée indéterminée, les droits individuels et collectifs, l'anticipation des mutations économiques, la recherche de solutions collectives pour sauvegarder l'emploi dans une conjoncture difficile, la nécessaire refonte des procédures de licenciements collectifs.
Oui, mesdames et messieurs les députés, la France est capable de se réformer profondément, et elle est capable de le faire par le dialogue.
Derrière l'accord, derrière la loi, il y a une méthode, ce que j'appelle de manière un peu triviale le dialogue social à la française. « Dialogue social », chacun voit ce que cela veut dire. « À la française » mérite évidemment une explication.
Le XXe siècle a vu – mais est-ce fini ? – deux gigantesques forces s'opposer : le marché et l'État. Tantôt l'une s'est imposée, tantôt l'autre, mais dans les deux cas la société a souvent été dominée, et ses acteurs sociaux, ses corps intermédiaires – si décriés par certains il y a peu – ont manqué d'espace pour s'exprimer. Le dialogue social, c'est donner la parole à ces acteurs légitimes qui trop souvent n'y ont pas droit, soumis à la dure main invisible du marché ou à la froide rigueur étatique, c'est donner la parole à ceux qui sont les mieux placés, les mieux à même de savoir ce qu'ils veulent, ce qu'ils sont prêts à concéder et ce sur quoi ils ne céderont jamais.
Telle était déjà l'inspiration des lois Auroux dont nous venons de fêter les trente ans.