Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 27 février 2013 à 8h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Je vous rappelle que nous avons enserré l'Adrar des Ifoghas : nous sommes présents à Kidal et à Tessalit ; nous avons un soutien de sécurité des Algériens, au nord, et nous bénéficions de la présence active des Tchadiens à l'est.

Les opérations au sol se poursuivent avec les forces tchadiennes. Des combats très violents se déroulent dans la zone de l'Adrar des Ifoghas, mais aussi dans la zone de Timétrine.

Nous sommes donc au contact de notre adversaire principal, AQMI.

La résistance farouche que nous rencontrons montre que nous arrivons là au repère principal. Nos adversaires sont là chez eux ; ils y vivent de longue date : certains se sont repliés là après les années noires algériennes. Cet endroit est aussi un point de passage et de repli sur ce que j'appelle « l'autoroute narco-jihadiste », qui va de la Somalie jusqu'à la Guinée-Bissau.

Nous avons commencé, avec les Algériens au nord et les Tchadiens à l'est, des opérations destinées à les prendre en tenaille. Cela implique des actions aériennes, mais aussi des actions au sol. Du 19 au 24 février, des accrochages violents ont eu lieu quotidiennement.

Aucun de nos soldats n'a été blessé. Les Tchadiens ont perdu vingt-trois militaires dans une seule opération. L'état-major tchadien va maintenant, semble-t-il, mieux s'articuler avec nous.

Nous poursuivons donc cet enserrement, en coordination avec l'armée tchadienne, mais la zone est évidemment très vaste. Ce processus est donc très lent.

Nous avons neutralisé de très nombreux jihadistes. Nous nous heurtons, je l'ai dit, à une résistance très déterminée. Nous arrivons là à leur sanctuaire. Nous trouvons beaucoup plus de matériel que nous n'en avons découvert dans la zone de Gao, et du matériel très performant : matériel de vision nocturne, fusils de précision, déclencheurs d'engins explosifs improvisés (improvised explosive device, IED) par téléphone, ceintures d'explosifs…

Face à cet adversaire aguerri, les troupes françaises se comportent de manière extrêmement professionnelle. Les opérations se poursuivent de façon méthodique. Nous sommes vraiment dans le dur !

Dans la zone de Gao, nous poursuivons nos patrouilles avec les soldats maliens et nigériens ; les dispositifs de nos adversaires sont un peu plus artisanaux. Nous menons des recherches dans les villages alentour pour dénicher les membres du Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest (MUJAO), qui mène des actions dissymétriques. L'opération la plus importante a eu lieu le 21 février, lorsqu'une trentaine de terroristes du MUJAO se sont infiltrés dans la ville de Gao ; ils ont été repoussés par les forces maliennes et les nôtres. C'est là que deux soldats français ont été blessés. On peut craindre que d'autres opérations de ce type ne se déroulent dans la zone de Gao. L'exploration de la région se poursuit de façon méthodique ; nos équipes sur le terrain sont opérationnelles pour appuyer les forces maliennes.

À Tombouctou, la situation est stable à ce stade.

Nous poursuivons notre progression dans les Ifoghas, et nous patrouillons à partir de Gao pour repérer les jihadistes.

Au nord comme au sud, les jihadistes neutralisés sont jeunes, voire très jeunes, même au nord. Ils sont de nationalités très diverses : c'est bien là le coeur du jihadisme international.

Pour continuer de progresser dans l'Adrar des Ifoghas, la question du renseignement est essentielle. Nous collaborons avec les Américains ; nous avons mis en place un dispositif de rassemblement et de vérification des renseignements que nous recevons. La géographie est très difficile : il y a des grottes, des souterrains…

Quant aux forces africaines, elles se rassemblent : elles comptent aujourd'hui environ 6 000 hommes, si l'on intègre les Tchadiens. Au nord, nous sommes un peu plus d'un millier, et les Tchadiens 1 800. Au sud, les unités africaines sont en cours d'implantation, avec un élargissement de leur zone de présence : il y a notamment des Nigériens, qui sont de bons soldats, mais aussi des soldats togolais, sénégalais, guinéens et nigérians.

L'état-major de la mission internationale de soutien au Mali (MISMA), dirigé par un général nigérian, prévoit que ses effectifs compteront rapidement 8 000 soldats, dont les niveaux de qualification seront toutefois très divers.

La mission de l'Union européenne pour l'entraînement des soldats maliens (European Union training mission, EUTM) est pré-opérationnelle. La France est nation-cadre et la force est dirigée par le général Lecointre. Environ 80 militaires, sur les 500 prévus, sont présents sur place ; les autres arrivent progressivement, sans problème. Nous rencontrons en revanche quelques difficultés pour trouver des protecteurs pour ces instructeurs. J'ai évoqué le problème à Bruxelles la semaine dernière lors d'une réunion de l'OTAN à laquelle participaient de nombreux ministres de la défense européens : il n'est pas convenable que la France assure seule cette protection. Le message a, je crois, été entendu : les Belges, les Tchèques et peut-être les Espagnols devraient nous envoyer des soldats pour assurer cette protection.

La formation commencera courant mars et s'échelonnera sur une année. Ce sera extrêmement utile, notamment pour le respect des droits de l'homme. Conscient du problème des exactions le général Dembélé, chef d'état-major de l'armée malienne, a déjà pris des mesures contre des officiers qui n'avaient pas été suffisamment vigilants.

La dimension internationale de ce conflit, enfin, relève surtout du ministre des affaires étrangères. Le passage de la MISMA à une mission de stabilisation des Nations-Unies au Mali (MINUMA), relevant d'un autre statut juridique, doit se faire par une résolution du Conseil de sécurité, que nous sommes en train de négocier. Ce changement pourrait se réaliser dans le courant du printemps ; nous souhaitons en tout cas qu'il ait lieu avant l'été : vous savez que des élections sont prévues au Mali au mois de juillet. Notre rôle serait alors d'appoint, de soutien – selon ce que seront précisément les termes de la résolution.

Vous voyez donc que nous sommes en train de resserrer notre étau. Les affrontements sont quotidiens.

Je n'ai pas évoqué la question des otages enlevés au Cameroun. Boko Haram, qui est à l'origine de ces enlèvements et en a d'ailleurs commis d'autres la semaine précédente, appartient à la grande nébuleuse du jihadisme narcotrafiquant : c'est une variante, mais ce sont les mêmes méthodes. Nous sommes en contact avec les autorités du Cameroun et du Nigéria. Tout est mis en oeuvre pour libérer les otages.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion