Le groupe que je préside a été constitué il y a une dizaine d'années autour de la SNI, elle-même issue du ministère de la Défense. La SNI est à l'origine une société d'économie mixte, présente principalement dans le domaine du logement dit intermédiaire, c'est-à-dire du logement à loyer contractualisé avec des commanditaires publics, et, pour l'essentiel, non concernée par la réglementation relative aux HLM.
La SNI a ensuite aggloméré, entre autres, les filiales HLM de la Société de construction immobilière de la Caisse des dépôts (SCIC) – devenue Icade. Nous avons aussi pris, plus récemment, une participation significative au sein de l'ancienne SEM d'État SONACOTRA, en grande difficulté. Nous avons repris la gestion de cette société, rebaptisée ADOMA, pour en assurer le redressement.
Nous conduisons aussi des activités de reprise d'actifs immobiliers publics. Ainsi, nous assurons actuellement le « portage » d'un peu plus de 1 600 casernes de gendarmerie, soit 10 000 logements de gendarmes, d'infrastructures de pompiers… pour les gérer et les entretenir.
Au sein de son périmètre stricto sensu, le Groupe collecte, outre l'activité d'ADOMA, entre 1,3 et 1,4 milliard d'euros de loyers. Nous employons 4 500 salariés, auxquels s'ajoutent désormais 2 000 salariés dans le périmètre d'ADOMA.
Notre modèle économique est très proche de ceux qui viennent d'être décrits. Nos revenus sont au départ basés sur l'exploitation d'un parc locatif important. Cependant, pour répondre à la nécessité d'accroître nos ressources financières, nous sommes entrés dans une logique de rotation d'actifs, de manière maîtrisée et à un rythme lent, de façon à dégager des plus-values.
Notre Pôle de logements intermédiaires – la SNI et ses filiales directes non HLM – dégage environ 200 millions d'euros de résultat annuel, la moitié étant constituée par des revenus d'exploitation du parc et l'autre moitié par des plus-values de cession. Nos ratios sont proches de ceux indiqués par notre collègue du Logement français : soit une capacité de production de deux logements et demi environ pour un logement cédé. La structure de notre Pôle de logements HLM est très similaire, avec, chaque année, entre 150 et 200 millions d'euros de résultats, dont la moitié provenant de la rotation de logements. Pour éviter les dérives, nous veillons à ce que nos résultats d'exploitations récurrents restent du même ordre que les plus-values que nous dégageons, et que le stock de nos plus-values latentes dans le patrimoine augmente chaque année, en net.
Dans le cadre du plan de relance 2008-2009, nous avons engagé, à la demande des pouvoirs publics, un plan d'investissement exceptionnel qui nous a conduits en trois ans à augmenter notre parc de 30 000 logements neufs, également répartis entre logements sociaux et intermédiaires. Il s'agissait d'un investissement de 5 milliards d'euros, dont un milliard d'euros de fonds propres.
Nous avons concentré notre commande sur la douzaine de bassins d'habitat jugés les plus tendus. Cet effort exceptionnel a dégradé nos réserves de fonds propres disponibles et nos ratios bilanciels. Nous avons réussi à retrouver à peu près notre équilibre grâce à la politique de rotation d'actifs qui nous a permis de nous désendetter.
Cette expérience a mis en évidence les problématiques de fond du logement : en premier lieu, le fait que territoires métropolitains et extra-métropolitains se sont fortement différenciés en termes de tensions des besoins et d'approche de la question du logement. Les territoires extra-métropolitains sont avant tout marqués par la recherche d'enracinement et d'identité, tandis que dans les territoires métropolitains prédomine la recherche d'opportunités – familiales, professionnelles… – et de mobilité. D'autre part, les écarts entre les loyers de marché et les loyers administrés dans le secteur HLM sont beaucoup plus importants dans les territoires métropolitains, ce qui soulève des questions sur l'efficience des politiques publiques.
Par ailleurs, si une partie des actions conduites en matière de logement est de nature structurelle et s'inscrit réellement dans cette politique, d'autres, plus conjoncturelles, constituent, en réalité, des mesures de régulation en faveur de l'emploi. Les objectifs et les modes d'intervention de ces deux types d'actions sont différents et gagneraient à être clarifiés.
Par exemple, le soutien au logement très social vise à résoudre les problèmes de pouvoir d'achat et d'accès au logement des populations très fragiles. Il s'agit d'une démarche structurelle qui touche l'ensemble du territoire ; elle mérite d'être maintenue et stabilisée avec une bonne visibilité dans la durée. Lorsqu'on travaille à améliorer l'accès au logement social dans les marchés tendus (en zones A bis, A et B1 ; éventuellement dans certaines parties en zones B2), l'objectif est de répondre aux besoins créés par l'écart très élevé entre loyers de marché et loyers réglementés. Il s'agit aussi d'une logique structurelle.
Dans les autres cas, on se situe bien souvent dans une logique de régulation conjoncturelle. Légitime face à des situations d'effondrement de l'ensemble du secteur, elle doit être limitée dans le temps, ciblée, précisément encadrée et ses retombées doivent être effectives dans le champ du logement.
Cette ambiguïté chronique transparaît dans la communication des pouvoirs publics et dans le choix des indicateurs retenus : l'affichage du seul nombre total de logements produits relève d'une politique de l'emploi. Si on précise la localisation de ces logements, on se situe dans la politique du logement.
Je voudrais revenir sur le problème de la maîtrise des coûts. Depuis plusieurs décennies, le soutien au logement intermédiaire a été en proportion fiscalement plus coûteux que le soutien au logement social. De plus, jusqu'à une période récente, cette aide fiscale était la même sur l'ensemble du territoire. Ces deux éléments ont favorisé des politiques de marge sur les marchés détendus - où les soutiens publics étaient peut-être moins indispensables - qui se sont diffusées dans l'ensemble de la chaîne de production. Des aides publiques complémentaires ont alors été nécessaires pour débloquer les opérations en zones tendues.
Une autre observation essentielle : on ne peut envisager le logement de manière pertinente que comme une chaîne continue. Si, de manière théorique, des barrières étanches ont été édifiées entre la composante sociale et la composante dite « intermédiaire libre », sur le terrain, il y a un consensus pour développer des programmes mixtes. Ainsi, les programmes de plus de 120-150 logements conjuguent-ils en général les trois composantes : accession privée, investissement locatif et logement social, avec des mécanismes de péréquation et de soutien implicites qui reportent une partie de la charge foncière du logement social sur les logements en investissement locatif (intermédiaire libre).
Or, on a assisté au cours du dernier trimestre 2012 à une augmentation significative des gels d'opérations sociales parce que les composantes accession et investissement locatif n'avaient pu aboutir. Cette dernière composante, qui a été la plus impactée, est essentielle dans les opérations complexes comme les ventes en état futur d'achèvement, car elle supporte le surcoût des charges foncières. Aussi est-il indispensable, pour développer le logement social en quantité, de se préoccuper des besoins en logements intermédiaires et de leur production.
C'est encore plus nécessaire dans la période de crise actuelle : seuls 304 000 logements ont été construits en 2012 et les perspectives de la Fédération française du bâtiment pour 2013 descendent à 280 000 logements. Il est nécessaire de soutenir la production de logements là où ils sont utiles et en particulier celle des logements intermédiaires. Pour ce faire, le dispositif Duflot ouvre des possibilités d'investissement aux particuliers, mais il ne s'adresse pas aux institutionnels. En outre, les dispositifs de soutien à l'investissement locatif des particuliers (Besson, Borloo, Méhaignerie, Scellier…) présentent des inconvénients structurels : l'essentiel de l'avantage fiscal ne revient pas à l'investisseur, mais est capté par les réseaux de défiscalisation mobilisés pour diffuser ces produits (dans une proportion de 7 à 8 % du prix) ou sert à stabiliser certaines marges dans la chaîne de production.
Le retour des investisseurs institutionnels présente a contrario nombre d'avantages : la maîtrise des coûts est mieux assurée car les négociations de prix se font de professionnel à professionnel et les surcoûts des réseaux de commercialisation disparaissent. Au final, l'assiette sur laquelle portera l'avantage fiscal serait réduite de 20 %.
Je synthétiserais mes propos en trois points :
– en premier lieu, les modes d'intervention publique ont été insuffisamment différenciés entre les territoires métropolitains et les autres. Un indicateur élémentaire de l'impact des politiques publiques est la mesure de l'écart de loyer obtenu pour un euro investi entre le loyer administré et le loyer de marché.
– ensuite, il faut distinguer les actions structurelles, qui doivent être stables et s'inscrire dans la durée, et les politiques de régulation conjoncturelle, qui doivent être limitées dans le temps pour obtenir un effet ciblé sur les objectifs recherchés.
– enfin, dans les situations de crise grave, il faut penser « logement » et pas seulement « logement social ». L'équilibre des opérations impose de conjuguer leurs diverses composantes.
Quelques observations complémentaires me paraissent importantes : une des grandes difficultés actuelles est l'absence de fluidité dans la gestion du parc.
En 20 ans, le taux de rotation dans le secteur HLM a baissé de 5 points, passant d'un rythme annuel de 15 % à moins de 10 %. Sur un parc de 4,5 millions de logements sociaux, la perte d'opportunités de relogement se chiffre à 200 000 par an, soit le double de la production neuve maximale du secteur !
Selon les régions, 25 à 35 % des demandeurs de logements sociaux sont déjà dans le secteur HLM. Répondre à leur demande allègerait la pression sur le parc social. La gestion des flux doit remplacer celle des stocks qui se focalise sur l'attribution des nouveaux logements. Les demandes de ces locataires, qui ne diminuent en rien l'offre globale puisqu'accéder à leur requête libère un autre appartement, ne devraient même pas être décomptées dans les effectifs en attente et devraient être prioritaires.
L'évolution d'ensemble du secteur de l'habitat ne peut être déconnectée de l'évolution de la société et de l'économie, laquelle est caractérisée par un processus d'individualisation. Les technologies numériques doivent ainsi être très largement développées afin de permettre un dialogue direct avec chacun.
Plus fondamentalement, notre devoir est de restaurer la confiance. Cela veut dire, pour sortir de la crise de l'accession à la propriété par exemple, développer la notion d'accession réversible. Nous l'avons fait en garantissant une reprise dès la première demande, même en dehors des difficultés induites par les accidents de la vie, à hauteur de 85 ou 90 % du prix d'acquisition initial de l'actif, pour remettre le bien en gestion locative. Organiser la fongibilité des patrimoines est un enjeu majeur. Cela aurait pu être une des missions, non bancaires, du Crédit immobilier de France, à travers, par exemple, le développement du viager institutionnel.
Il faut également restaurer la confiance des collectivités territoriales. Je suis moi aussi favorable au maintien des logements HLM mis en accession dans le décompte de la loi SRU pendant 10 ans plutôt que 5. En contrepartie, il est essentiel que nous, opérateurs sociaux, développions une filière de gestion des copropriétés sociales - qui constituent actuellement le maillon faible de la chaîne du logement social - avec un suivi plus important que dans les copropriétés classiques. Nous devons garantir aux collectivités d'accueil qu'il n'y aura pas de changement dans la gestion des résidences concernées.