Intervention de Marie-Noëlle Battistel

Réunion du 3 avril 2013 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Noëlle Battistel, rapporteure :

Première difficulté, et elle est de taille, aucun autre pays européen n'ouvre son parc hydroélectrique.

Issus de pays voisins de la France, les candidats à la reprise des concessions hydroélectriques invoquent largement le droit européen pour justifier de la nécessité d'une mise en concurrence du parc hydraulique national.

Mais la France est la seule à se lancer dans une telle procédure. Les autres pays européens appliquent des régimes différents qui leur permettent de contourner la nécessité d'une mise en concurrence. Trois cas différents peuvent être distingués. Premier cas, les ouvrages hydrauliques sont sous le régime de l'autorisation : sous la propriété d'un opérateur national – très souvent public –, ils ne sont pas soumis, par définition, aux règles applicables aux concessions. C'est le cas de la Suède.

Deuxième cas, l'exploitation de la force hydraulique est soumise à un régime mixte combinant autorisation et concession ; dans de tels pays (Allemagne, Espagne), les règles du jeu sont particulièrement complexes pour les nouveaux entrants.

Dernier cas, certaines règles réduisent les possibilités offertes aux candidats à la reprise des concessions non nationaux ; par exemple, en Norvège, tout candidat à l'attribution d'une concession doit être au minimum à 70 % public, ce qui oblige un exploitant étranger, s'il souhaite pénétrer ce marché à intégrer un consortium (de type SEM) avec une entreprise publique ou une collectivité locale norvégienne.

Le cas de non-réciprocité le plus flagrant est celui de la Suisse, pays dans lequel les directives sectorielles sur l'énergie ne sont même pas applicables : doit-on ouvrir nos concessions à des entreprises dont le but est de pénétrer le marché unique, sans que ces mêmes entreprises ne se conforment aux règles communautaires sur leur territoire national ?

Deuxième difficulté, en remettant en concurrence les concessions, on perd définitivement le contrôle sur la production d'électricité la plus compétitive du mix énergétique.

Le parc hydroélectrique français se caractérise par deux qualités déterminantes : sa flexibilité et sa compétitivité. Nous ne détaillerons pas davantage le rôle de clé de voûte du système électrique joué par les barrages, pour nous concentrer sur l'impact de la mise en concurrence sur le prix de l'électricité payé par le consommateur français.

Le parallèle avec le cas du nucléaire est particulièrement éclairant. Sous la pression européenne, la France a été contrainte de mettre en place le mécanisme de l'ARENH pour permettre aux fournisseurs alternatifs de concurrencer EDF sur le marché français. Toutefois, comme le parc nucléaire historique est une propriété des Français, l'article L. 336-2 du code de l'énergie pose une condition fondamentale : les fournisseurs ont un droit à l'ARENH qui correspond aux besoins de leurs clients français.

Avec le processus de remise en concurrence, aucune condition similaire ne pourrait être imposée pour l'hydraulique : l'exploitant disposerait à sa guise de l'électricité produite et pourrait donc alimenter des clients hors du territoire national. Les consommateurs d'électricité français, qui ont financé la construction des barrages, ne bénéficieraient plus de l'électricité compétitive qui en est issue.

Cette question revêt une importance majeure pour la survie d'une industrie électro-intensive sur notre territoire. L'hydroélectricité est historiquement liée au développement de certaines activités, comme la production d'aluminium. Mais ce particularisme fort qu'est le lien entre électro-intensifs et hydroélectricité dans les régions montagneuses est désormais menacé. Les électro-intensifs qui ont des usines en France, comme FerroPem, dont nous avons visité le site, Alteo, Rio Tinto Alcan, Métaux Spéciaux , Ugitech, etc. sont particulièrement touchés par la concurrence des sites industriels situés hors d'Europe qui, eux, continuent à bénéficier de conditions tarifaires particulièrement intéressantes. Le tarif L québécois, ou bien les prix négociés islandais atteignent respectivement 32 €MWh et 20 à 25 €MWh, coût du transport compris. Pour les groupes possédant leurs propres ouvrages, au Brésil, dans certains Etats américains, en Norvège, en Ecosse, au Québec, en Colombie Britannique, en Russie, la situation est encore plus favorable.

Dans le cadre du débat sur la transition énergétique, la question se pose donc de recréer un instrument de politique énergétique qui permette de renforcer la compétitivité du site France pour les électro-intensifs. En tout état de cause, la remise en concurrence des concessions hydrauliques irait à l'encontre d'un tel objectif.

Troisième difficulté, le découpage inadéquat des vallées remises en concurrence désoptimise le système et rend l'exploitation des barrages particulièrement complexe.

Les différents contrats de concession arrivent à échéance selon un calendrier échelonné dans le temps. Dans la grande majorité des cas, des ouvrages situés dans une même vallée sont remis en concurrence dans un intervalle de temps très important

Cette situation rend le renouvellement des contrats « au fil de l'eau » particulièrement inadapté. En effet, les ouvrages situés sur une même vallée sont dans une situation de dépendance hydraulique forte. En segmentant la mise en concurrence, plusieurs exploitants différents pourraient se retrouver à exploiter des ouvrages qui se suivent. Le résultat des exploitants se situant à l'aval dépendrait des décisions de ceux qui se trouvent à l'amont, ce qui donnerait lieu à de nombreuses contestations possibles.

Permettez-moi de vous décrire une situation que je connais bien et qui en fournit une illustration. Dans ma circonscription, trois barrages se succèdent sur une même vallée. Le barrage de tête est la propriété d'un producteur individuel. Les deux autres sont exploités par EDF sous le régime des concessions, mais seul l'un des deux fait partie du programme de remise en concurrence que vous a décrit M. Straumann. Cela signifie que dans le cas où un nouvel opérateur arrivait, trois exploitants différents opéreraient sur une même chaîne !

De l'avis des personnes chargées de faire fonctionner les sites, cette question est bien trop complexe pour être réglée par un simple contrat. L'optimisation de la production se faisant désormais à la minute près, il est impossible de définir des règles communes a priori.

Quatrième difficulté, les acteurs locaux ne disposeront d'aucune garantie sur les usages de l'eau.

Conçus à l'origine comme des ouvrages industriels, dont le seul objet poursuivi était énergétique, les barrages font désormais partie intégrante du paysage des vallées des territoires de montagne. Lorsqu'il fait varier le niveau d'eau des rivières et des lacs de retenue, l'exploitant a une prise très forte sur l'irrigation, la pêche et le tourisme. Il joue également un rôle très important en matière de prévention des crues. Enfin, si aucun dispositif n'est mis en place pour favoriser la continuité écologique des cours d'eau, les barrages ont un impact significatif sur la qualité écologique des cours d'eau et des lacs, ou encore la présence de bois flottant.

L'ensemble de ces enjeux doit être pris en compte par l'exploitant, ce qui nécessite de tisser un rapport étroit avec les habitants et les élus.

Le cahier des charges n'est pas l'outil le plus adapté pour cela. Plutôt que de favoriser la coopération, il impose une vision juridique de la gestion des enjeux locaux. Soit il est exhaustif et, dans ce cas, toute nouvelle contrainte imposée par l'autorité concédante entraîne obligation d'indemnisation du concessionnaire. Soit il est volontairement imprécis, pour permettre une évolution des missions remplies par le concessionnaire et laisser la place à des actions de collaboration volontaire. Mais alors la contrainte s'imposant à ce dernier est moins forte et le risque existe qu'une entreprise privée, a fortiori lorsqu'elle ne dispose pas d'importants effectifs sur place, ne souhaite pas aller au-delà des efforts minimums exigibles.

Enfin, les destructions d'emploi nous apparaissent inévitables.

Dans le processus actuel de remise en concurrence, il est prévu un droit d'option pour les salariés immédiatement attachés à un ouvrage remis en concurrence : ils peuvent faire le choix de rester attachés à cet ouvrage – dans ce cas le nouveau concessionnaire a obligation de les reprendre – ou bien de rester au sein du concessionnaire sortant.

Néanmoins, l'exercice possible du droit d'option ne résout pas la difficulté posée par les personnels qui ne sont pas immédiatement attachés à l'ouvrage. À titre d'indication, la jurisprudence de la Cour de cassation considère qu'à partir de 80 % de son occupation une personne est dite affectée à une activité, ce qui exclurait une grande partie des travailleurs actuels de l'hydroélectricité.

Les conséquences seront défavorables. Pour les salariés d'une part : certains d'entre eux devront accepter une mobilité géographique. Pour l'entreprise EDF, d'autre part, qui devra réaffecter à une nouvelle activité les salariés préférant demeurer dans l'entreprise plutôt que de partir chez le nouvel exploitant. En fonction du nombre de concessions remportées par ses concurrents, EDF pourrait devoir gérer des sureffectifs. À long terme, il est probable que la division hydraulique de l'entreprise soit gréée à la mesure du parc qu'EDF garde sous son contrôle.

Les concurrents étrangers à la remise en concurrence des concessions considèrent qu'il n'y aura pas de pertes nettes d'emploi car ils se doteront eux-mêmes des ressources nécessaires à l'exploitation des ouvrages qu'ils auront remportés. Mais la logique de l'optimisation économique les poussera à conserver leur activité de support dans leur pays d'origine. Dans le cas – tout à fait plausible – où plusieurs concurrents, originaires de pays frontaliers, comme la Suisse et l'Italie, remporteraient chacun une concession, aucun d'entre eux n'atteindrait la taille suffisante pour justifier l'implantation d'une division hydraulique importante. Ils feraient appel ponctuellement à leurs équipes pour intervenir sur les barrages français.

A l'inverse, le maintien d'un parc intégré garantit le maintien d'une compétence hydroélectrique forte sur le territoire national et favorise la création de nouveaux emplois. EDF est l'un des leaders mondiaux du secteur. Exploiter plus de 20 000 MW de capacités lui donne la crédibilité et l'expérience nécessaire pour candidater aux projets internationaux les plus ambitieux.

L'ensemble de ces raisons plaident en faveur d'un aménagement significatif du processus de remise en concurrence. Nous avons l'obligation de trouver une procédure qui résolve les problèmes que nous avons identifiés, dans un cadre juridique extrêmement contraint.

Plusieurs pistes sont ouvertes, mais nous ne sommes pas parvenus au terme de nos analyses. Il demeure notamment des inconnues sur les conséquences pratiques de chacune des options.

C'est pourquoi nous sollicitons, Monsieur le président, un délai supplémentaire avant la remise définitive de notre rapport.

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