Intervention de Thierry le Hénaff

Réunion du 3 avril 2013 à 16h15
Commission des affaires économiques

Thierry le Hénaff :

Assisté par MM. Bernard Boyer et Nicolas de Warren, je vous présenterai d'abord l'histoire du groupe Arkema, avant de vous exposer les conditions de la cession de l'entreprise Kem One au groupe Klesch. Arkema est un groupe mondial de taille moyenne avec un peu plus de six milliards d'euros de chiffres d'affaires dans le monde et près de 14 000 salariés. Nous nous efforçons de préserver un fort ancrage sur le territoire français malgré un certain déficit de compétitivité, dans la mesure de nos moyens financiers et dans un contexte économique difficile pour la chimie. La France ne compte que pour 10 % de notre chiffre d'affaires mais représente 45 % de notre production, 8 000 salariés et 75 % de nos dépenses de recherche. Nous portons actuellement plusieurs chantiers de modernisation sur les sites de Lacq, Carling, Jarrie et Pierre-Bénite, avec des investissements allant de 30 à plus de 100 millions d'euros, ce qui est extrêmement important à l'échelle de notre groupe. Arkema a été créée à la fin de l'année 2004 au sein du groupe Total, avec un portefeuille de lignes de produits que nombre d'observateurs à l'époque considéraient comme hétéroclite. L'entreprise a été introduite en bourse en 2006 et, partant d'une rentabilité très faible, a connu depuis une belle réussite. Arkema est aujourd'hui le seul grand groupe chimiste français qui subsiste. À titre de comparaison, l'Allemagne en compte six, de taille équivalente voire plus importante que le nôtre.

Concernant « Kem One », je vous remercie d'avoir accepté notre demande d'audition à huis clos, d'autant que nous avons appris par voie de presse – ce qui est pour le moins surprenant – que nous étions assignés par le groupe Klesch en vue d'une demande d'arbitrage. Pourquoi avons-nous cédé le pôle vinylique ? Depuis l'introduction en bourse et compte tenu de notre portefeuille d'activités hétérogène, nous avons poursuivi une stratégie de recentrage sur notre coeur de métier, à savoir la chimie de spécialités. C'est d'ailleurs ce qui nous a permis de surmonter la crise importante de 2009. La chimie de spécialités correspond à des petites niches d'activités à vocation mondiale et à haute valeur ajoutée, avec beaucoup de recherche et d'innovation, et peu cycliques. Il s'agit par exemple, dans l'automobile, de matières plastiques « sous capot moteur », de matériaux haute performance et très légers permettant de remplacer le métal, de résines acryliques pour les peintures, de la chimie du soufre pour la nutrition animale, de polymères fluorés qui entrent dans la composition des batteries lithium ion ou dans le photovoltaïque. Nous avions deux défis à relever et qui mobilisent toutes nos ressources : l'ouverture internationale du groupe et la modernisation des sites français.

Nous avons donc cédé notre activité PVC, regroupée dans l'entreprise Kem One. Nous avons affaire là à de la chimie de commodités, dont les activités sont cycliques par nature, très sensibles à l'évolution du cours des matières premières et au coût de l'énergie. À titre d'illustration, le marché mondial du PVC est dix fois plus important que la plus grande des niches de la chimie de spécialités sur lesquelles Arkema s'est recentrée. Lorsque nous l'avons cédée, l'activité PVC ne représentait plus que 15 % de notre groupe mais nous avions préalablement dépensé près de 400 millions d'euros pour la renforcer. Je tiens à souligner que beaucoup de grands chimistes européens ont fait ce même choix de se séparer de leur activité PVC.

Le groupe Klesch a pris l'initiative de contacter Arkema à la fin de l'année 2010. Ce groupe est d'un chiffre d'affaires à peu près comparable au nôtre mais est spécialisé dans le marché de certaines grandes commodités cycliques, avec des compétences dans l'électrolyse, procédé de production du chlore et du PVC, mais aussi dans l'achat d'éthylène, de dérivés pétroliers et d'électricité. Le groupe Klesch avait de surcroît une expérience dans la reprise de sites industriels, qui lui avaient été cédés par Corus, Alcan ou Shell. Il est actuellement en pourparlers en Sardaigne avec le groupe Alcoa. Le groupe Klesch n'est donc pas un inconnu ! Lorsque nous avons entamé les premières négociations, il venait de surmonter le choc de la crise de 2009, ne s'en était pas trop mal sorti et avait recommencé à investir. Dans le cadre de la cession, le groupe Klesch avait pris des engagements très clairs vis-à-vis de Kem One, d'Arkema et des pouvoirs publics pour développer l'activité des sites repris. Il était parfaitement conscient que le redressement de Kem One prendrait du temps et nécessitait des investissements pour optimiser l'activité, en intégrant ses contraintes et sa nature cyclique.

Il convient de revenir sur les allégations du Groupe Klesch au sujet de la cession. Arkema est une société cotée et nous avons procédé de manière très classique. Lorsque nous avons procédé à la transaction, nous nous sommes appuyés sur une grande banque d'affaires, BNP – Paribas, sur un cabinet d'avocats spécialisés, Willkie, Farr et Gallagher, et sur un cabinet d'audit, Ernst and Young, tous trois parmi ce qui se fait de mieux au niveau international. Des discussions préliminaires ont été menées et un long processus de dix huit mois a été enclenché, celui-ci ayant pris fin le 2 juillet 2012 avec la cession. Entre l'annonce du projet et la finalisation, c'est-à-dire la cession, huit mois se sont écoulés pendant lesquels le projet a été rendu public. Ainsi, toutes les personnes intéressées qui souhaitaient réagir ont pu le faire. En termes d'information interne, le groupe Klesch a eu le temps de mener les « due diligences » et de poser toutes les questions utiles. En termes d'informations externes, une information-consultation du comité central d'entreprise a été effectuée sur une période de plus de cinq mois avec des experts mandatés. La société a par ailleurs été très bien dotée : aucune dette transmise, près de 100 millions d'euros de garanties diverses, un apport de 100 millions d'euros de trésorerie, un besoin en fonds de roulement de 180 millions d'euros. Autant donc de conditions très favorables. Nous avons également mis en place une fiducie à la demande des organisations syndicales, avec des moyens conséquents. C'est pourquoi nous considérons que nous avons tenu nos engagements par rapport à Kem One et à l'égard des organisations syndicales. On ne peut pas en dire autant, me semble-t-il, du groupe Klesch ; toutes ses allégations en sens contraire sont totalement dénuées de fondement et nous comptons bien le mettre en face de ses responsabilités.

Connaissant la situation dans laquelle nous l'avons cédé, nous avons été très étonnés de voir que Kem One était placé en redressement judiciaire au bout de huit mois seulement. Nous n'avons pas de connaissance particulière de ce qui s'est passé chez Kem One car c'est en quelque sorte une « boîte noire » pour nous, mais nous nous posons plusieurs questions. La trésorerie dont l'entreprise avait été dotée a-t-elle été utilisée conformément à l'objet social de Kem One ? Les organisations syndicales semblent dire le contraire, et la procédure de redressement judiciaire sera l'occasion de le vérifier. Il y a eu une nette dégradation de l'économie française depuis l'automne, notamment dans les secteurs de l'automobile et de la construction : quel en a été l'impact sur Kem One ? Comment le groupe a-t-il été géré depuis la cession ? Kem One s'est-il adapté à la conjoncture dégradée ? Gary Klesch a-t-il pris les bonnes décisions ? Les efforts nécessaires ont-ils été effectués ? Nous avons vendu un groupe intégré, avec une activité amont et une activité aval mais le groupe Klesch semble avoir cassé les synergies qui existaient dans l'entreprise : est-ce volontaire ? A-t-il fragilisé l'amont ? Si c'est le cas, c'est totalement inacceptable.

Dans ce contexte, au moment où Kem One a eu un problème de fourniture de matières premières de la part du vapocraqueur de Lavéra qui a subi un incendie, nous avons accepté de repousser 60 millions d'euros de créances échues que Kem One nous doit.

Voilà la situation dans laquelle nous nous trouvons.

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