J'ai appris à être pragmatique et réaliste : jamais une loi spécifique à l'agriculture des outre-mer n'aurait pu passer dans un délai raisonnable. En revanche, pour éviter sa dilution dans un texte répondant plutôt aux besoins d'une agriculture de zone continentale et tempérée, je serai sur le banc du Gouvernement avec mon collègue, M. Stéphane Le Foll, pendant la discussion au Parlement. Plutôt qu'une loi d'orientation et de modernisation, ce sera une loi d'une nouvelle catégorie juridique, une loi d'avenir qui sera porteuse de dispositifs opérationnels.
Au-delà d'une loi spécifique, ce qui nous manque, c'est un texte de codification à législation constante qui permettrait de réunir les textes aujourd'hui dispersés dans plusieurs codes : le code civil, le code de l'environnement, le code rural et le code de l'urbanisme. Avec un tel code, nous pourrions faire valoir nos particularités.
Je serai très attentif aux réflexions de votre Délégation que Mme Chantal Berthelot et M. Hervé Gaymard reprendront dans leur rapport.
Je ne rêve plus à l'autosuffisance alimentaire, tout au plus à une certaine autonomie. Cela nécessite de mettre au point, en amont, un système et des itinéraires techniques, toutes précisions qui ne figureront pas dans la loi. Celle-ci pourra affirmer la volonté de faire de nos îles et de la Guyane des territoires d'excellence écologique, mais jamais elle ne précisera que les seuls systèmes désormais tolérés dans les outre-mer seront la fertilisation croisée ou les pratiques biologiques et écologiques.
Comment passer de l'exploitation familiale à plusieurs unités de travail humain (UTH), intensive et productiviste, à l'agriculture raisonnée, biologique et écologique, dans des régions tropicales qui ne bénéficient pas des vertus de l'hiver ? Sous nos latitudes, il suffit d'intensifier quelque peu la production pour favoriser les maladies. En l'absence de solutions permettant de gagner en efficacité tout en respectant certains principes fondamentaux, l'épandage aérien s'est imposé comme une réponse. Il est temps de se tourner vers des systèmes agro-écologiques. C'est le moment ou jamais de parler de l'épandage aérien, des pesticides, des plans d'action à engager sur le chlordécone, notamment pour répondre aux réglementations de minimis que l'Union européenne veut imposer aux pêcheurs martiniquais et guadeloupéens à cause de la pollution des eaux dont ils ne sont pas responsables.
Le département de Mayotte est en effet confronté à un problème lié aux structures foncières, que ce soit les structures foncières en général ou les structures agricoles, et à des difficultés concernant aussi bien le cadastre que le plan local d'urbanisme (PLU), les règlements d'urbanisme ou encore les normes fixant la destination des sols et des zones agricoles protégées. C'est vrai chez nous aussi. Les SAR, schémas d'aménagement régionaux, devront en tenir compte en définissant des objectifs réalistes, des plans d'action dans la durée.
La conditionnalité peut commencer à travers les donneurs d'ordre que sont les maires en matière de cantine scolaire, les directeurs d'hôpitaux, les directeurs de maisons de retraite, les grandes entreprises qui proposent une restauration collective. L'agriculture doit s'organiser pour y répondre.
La structuration des filières soulève le problème des interprofessions. En Martinique et à La Réunion, l'interprofession, qui paie une redevance sur les importations de viande, tente d'organiser la filière de l'élevage en regroupant les éleveurs, les bouchers, les importateurs, les frigoristes. L'ARIBEV à La Réunion, l'AMIBEV à la Martinique, ça marche ! Il faut encourager ces groupements de producteurs, ces coopératives, ces mutuelles, qui ont, dans nos régions, un cycle de vie d'une quinzaine d'années, ce qui nécessite de les renouveler sans cesse. Entêtons-nous, poursuivons inlassablement ce travail de structuration ! La filière de la banane fonctionne parce qu'il s'agit d'un produit d'exportation. La banane produite en Martinique ne pourrait jamais être consommée localement, sauf si elle y était transformée, par exemple en petits pots pour bébé ou en jus.
Il faut maintenant chercher à développer des marchés intérieurs, en particulier celui de la restauration collective qui est considérable par sa permanence et sa régularité. C'est à cette seule condition que le maraîchage et la transformation auront suffisamment de débouchés. Quand les donneurs d'ordre, les maires, ajoutent à leurs critères d'attribution de marchés une clause de performance visant la fraîcheur et les émissions de CO2, ils contribuent à mettre en place l'agro-écologie et l'excellence, à travailler à la sauvegarde de la planète.
La loi qui pose les grands principes doit être accompagnée de plans d'action. Ainsi, parallèlement à la loi de lutte contre la vie chère, des régions, des départements, des villes, des chambres consulaires, notamment à Pointe-à-Pitre et à Saint-Pierre-de-La-Réunion, ont créé des plates-formes logistiques, des centrales d'achat. Et cela fonctionne ! Je suis convaincu que si les petits commerçants de proximité se regroupaient aussi, ils arriveraient à faire baisser les prix dans les campagnes, tout en préservant leurs marges. Ce n'est pas de la loi qu'il faut attendre cela, il faut le décider, le vouloir. La structuration réclamée par M. Serge Letchimy, c'est l'affaire des professionnels. D'où l'importance d'avoir des chambres consulaires offrant un encadrement de qualité, des instituts de recherche compétents, ainsi que le courage politique de redéfinir et de réorienter les financements sur d'autres filières que la seule banane, sans que cela nuise à ce type de production. Le temps est venu de récolter les dividendes de l'argent public qui a été mis dans les mûrisseries, de regarder en toute transparence si les investissements sont payés de retour. C'est un dossier qui demandera un énorme travail.
Monsieur Letchimy, je vais vérifier où en est la demande de gestion directe des fonds européens par la Martinique.
Nous avons entamé la transposition, dans la loi de modernisation agricole (LMA), du texte relatif à la restauration collective qui sera examiné demain. Les critères de performance, qui n'étaient qu'optionnels, deviendront obligatoires dans les appels d'offres. Évidemment, en l'absence de production locale, ce critère ne sera pas pris en considération dans le marché.
Introduire la conditionnalité est séduisant, mais il faut s'assurer qu'elle ne sera pas censurée, en tant que mesure protectionniste, par les lois nationales et le droit communautaire. Les critères d'émission de CO2, les obligations de fournir des produits frais et relevant d'une agriculture de proximité, ont déjà passé l'épreuve de la censure de différents organismes, y compris le Conseil constitutionnel. Quant à soumettre l'obtention d'un marché à des conditions telles que l'embauche de jeunes de la commune, le respect de l'environnement ou d'un cahier des charges – un itinéraire technique en agriculture –, cela existe déjà. Pour cela non plus, il n'y a pas besoin de loi.
Les nouvelles filières en Martinique et en Guadeloupe en sont au démarrage. Dans le café, elles s'appuient sur des cultivars très connus, comme le jamaïcain, meilleur que le Blue Mountain. Il y a très longtemps, on nous avait demandé de renforcer la protection du café en fixant l'octroi de mer à 25 %, alors que le café consommé en Guadeloupe vient de Colombie. Pourtant, nous avons une petite production locale, de grande qualité, qui travaille un cultivar rare, et que nous pourrions relancer à travers une démarche de développement impliquant une très haute qualité environnementale et une labellisation. L'avenir de notre agriculture, comme de notre tourisme, est dans la très haute qualité.
S'agissant de l'accompagnement à l'exportation vers les pays voisins et de la protection a minima de la production agricole, dans une logique d'économies d'échelle et d'étendue de marché, il est incontestable que les pays voisins peuvent constituer de vrais débouchés dans la réciprocité. Mais je fais remarquer à M. le président Fruteau que certains responsables de La Réunion m'avaient reproché d'exposer à la ruine la production locale avec l'ouverture aux pays voisins dans la loi sur la régulation économique outre-mer. C'est pourquoi une condition de réciprocité avait été posée. Or, certains accords de partenariat économique ne comportent pas une telle condition, ce qui pose problème. Pendant une période d'asymétrie, les produits de l'Afrique, des Caraïbes et du pacifique (ACP) peuvent entrer chez nous, mais l'inverse n'est pas vrai. Je vais tâcher de rééquilibrer les termes de l'échange.
Comment, tout en restant dans le territoire douanier européen, sous le statut de région ultrapériphérique (RUP), s'ouvrir aux pays voisins ? Comment déroger aux normes européennes et importer, par exemple, du pétrole du Venezuela, du Brésil ou de Curaçao – du brut uniquement pour ne pas risquer la disparition de la Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA) ? J'ai déjà demandé à Shell si le pétrole guyanais qui sera exploité dans dix ans pourra être en partie raffiné à la Martinique. A priori, il irait à Trinidad, mais tout dépendra de l'importance du gisement. Il faudra être très vigilant.
Sur la protection a minima, le seul instrument dont nous disposions aujourd'hui est constitué par l'octroi de mer dont il faudrait pouvoir moduler les taux selon les cycles de production. En pleine saison de l'igname en Guadeloupe et en Martinique, par exemple, il n'est pas normal de faire entrer dans ces départements les ignames du Costa Rica, à des prix cassés et sans garantie de traitement sans chlordécone. Or, l'Europe ne nous permet pas d'aller au-delà de 30 %. C'est, là encore, un sujet que nous aurons à creuser lorsque le projet de loi arrivera.
À ce sujet, je vous indique, et je finirai là-dessus, que le texte sera soumis au Conseil d'État au mois de juin. Il vous reste donc deux mois pour formuler vos propositions, car c'est en amont qu'il faut apporter des enrichissements. Toute modification ultérieure devra passer par voie d'amendement, ce qui, vous le savez, est plus compliqué.