Les mêmes questions m'ont été posées hier, lors d'une réunion avec mes collègues de la Chambre des Lords et de la Chambre des Communes visant, comme ici, à faire le point sur la situation en Syrie. « Pouvons-nous continuer de rester les bras croisés ? » demandaient les uns. « Qu'en sera-t-il ensuite ? » demandaient les autres. J'ai été contraint de répondre qu'il n'y a pas de bonne solution. Toute décision que nous prendrons - intervention ou non-intervention – aura de mauvaises conséquences, et l'Histoire jugera si l'action entreprise a causé moins de dommages que n'en aurait causés l'abstention. L'hypothèse de la livraison d'armes rend vos interrogations légitimes – comment être sûr qu'elles ne finiront pas entre de mauvaise mains ? Doit-on craindre, au lendemain de ce conflit, des luttes interconfessionnelles ? Mais rester les bras ballants, c'est laisser le nombre de morts passer de 75 000 à 80 000, puis 100 000, puis 120 000… et cela, après Srebrenica et le Ruanda ?
Les gouvernements cherchent à définir l'option la moins mauvaise, celle qui fondera le meilleur avenir pour la Syrie. Dans ce contexte difficile, nous avons une ligne de conduite. Nos contacts avec la coalition de l'opposition ont augmenté à mesure qu'elle se renforçait, de même que notre soutien, qui s'est traduit par l'envoi de moyens de communication, de blindés et de matériel de protection individuelle dont nous savons où ils aboutissent car ils sont en nombre limité. Ce qui est inquiétant, ce sont les livraisons d'armes faites par d'autres pays, qui pourraient être détournées. À ce jour le Royaume-Uni n'a pas pris de décision au sujet des livraisons d'armes ; l'éventualité de détournements fait partie de notre réflexion et nous procédons avec la plus grande prudence, mais le dilemme demeure.
Vous m'avez jugé optimiste à propos des négociations de paix au Proche-Orient. Jeffrey Feltman, ancien Secrétaire d'État adjoint chargé de ces questions, avait coutume de dire à ce sujet qu'à chaque fois que l'on pensait avoir atteint le fond, on se leurrait. Cela étant, ne pas se bercer de faux espoirs aide à progresser. Nous sommes réalistes, et nous savons que nous avons fort à faire pour démontrer un engagement plus ferme dans ce processus. Cependant, le Président Obama aurait pu décider de s'en remettre entièrement à M. John Kerry, et je ne pense pas qu'il en sera ainsi. La nouvelle coalition gouvernementale israélienne présente beaucoup d'inconnues, mais nous sommes en droit de dire à toutes les parties qu'il est temps de prendre le risque d'une paix qu'elles ont jusqu'à présent refusée de cent manières. Si rien ne change, le moment est proche où, étant donné l'évolution démographique, Israël sera soit un État juif, soit un État démocratique ; que ce pays devienne un État non-démocratique serait tragique. L'urgence du changement est donc absolue, et il faut saisir la nouvelle occasion d'y travailler. Sans l'être exagérément, les politiques se doivent d'être optimistes – sinon, ils ne se présenteraient pas aux élections.
Vous vous interrogez sur la vision que se font les États-Unis du Moyen-Orient. Je les pense revenus à plus de réalisme, et je n'entends plus les néoconservateurs expliquer qu'il faut imposer la démocratie, ce que je juge bienvenu. Mais les États-Unis maintiennent que les populations sont en droit de consentir à une forme de gouvernement, et ils continuent d'user d'une formulation assez abrupte quand ils parlent de la protection des droits de l'homme et des attentes des peuples.
Cela me conduit à évoquer l'évolution de la situation en Tunisie, en Égypte et en Libye. Le Royaume-Uni n'a jamais imaginé que puisse se dérouler, dans ces pays, un processus linéaire vers une démocratie à l'occidentale. Après l'optimisme initial, une deuxième page est en train de s'écrire, la plus difficile, et nous ignorons quel consensus politique sera trouvé. Mais, même si les symptômes sont identiques, les différences sont manifestes entre les pays du Maghreb et les autres. La Tunisie est un pays structuré, qui a une administration ; la coalition au pouvoir fait face à de nombreuses difficultés, et notamment à un problème sécuritaire, mais il existe une base sur laquelle travailler, et elle s'y efforce même si l'étape en cours est compliquée.
En Libye, il n'y a pas de réel gouvernement. De nouvelles élections se profilent sans cesse ; cela a pour effet que les autorités évitent, de manière chronique, de prendre aucune décision. Je n'ai aucun doute sur les bonnes intentions des personnalités au pouvoir, mais aussi longtemps que la sécurité nationale n'aura pas été rétablie, elles seront confrontées à de grandes difficultés. Nous devons, de concert, les encourager à progresser en matière de sécurité et de respect des droits de l'homme.
L'Égypte est à la peine. Ce qui s'y passe découle-t-il d'un plan prévu de longue date par les Frères musulmans, ou le Gouvernement et l'opposition tâtonnent-ils ? Les chefs de l'opposition doivent se rassembler et travailler avec la majorité au pouvoir, laquelle doit admettre que ce n'est pas parce qu'elle a gagné les élections que la minorité n'a pas son mot à dire. Par ailleurs, l'économie égyptienne ne laisse pas d'inquiéter.
Nos relations avec les trois pays sont bonnes. Nous croyons aux vertus du dialogue, que nous poursuivons avec eux, et nous sommes un membre actif du partenariat de Deauville, conçu pour accompagner l'enracinement de la démocratie. Que ces pays soient confrontés à de très grands défis n'est pas surprenant outre mesure. Après l'exubérance du changement vient le temps de l'approfondissement de structures politiques dont ces pays ont une faible expérience. Notre rôle est de veiller à ce qu'ils continuent de se fixer pour objectifs certains principes : respect des droits des minorités, liberté de réunion, liberté de culte et – très important – respect du droit des femmes.